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Il était le troisième et dernier Consu qui émergerait du bouclier avant l’affrontement. Le premier était apparu il y avait douze heures ; un petit gradé dont le grognement au timbre plein de défi avait servi à signaler officiellement l’intention des Consus de se battre. Le grade inférieur de l’émissaire avait pour but d’exprimer le peu de considération accordée par les Consus à nos troupes, l’idée étant que, si nous avions été réellement importants, ils auraient envoyé un haut gradé. Aucun d’entre nous ne s’en offensa ; le messager était toujours de rang inférieur quel que fût l’adversaire. De surcroît, à moins d’être extraordinairement sensible aux phéromones consues, ils se ressemblaient tous.

Le deuxième Consu avait émergé du bouclier quelques heures plus tard, il avait mugi comme un troupeau de vaches coincées dans une batteuse, puis explosé, projetant du sang rosâtre, des morceaux d’organes et de carapace sur le bouclier, qui grésillèrent légèrement en retombant en pluie sur le sol.

Les Consus croyaient, semblait-il, que si un soldat isolé était préparé selon les rites, il était possible de persuader son âme d’effectuer une reconnaissance de l’ennemi pendant un laps de temps déterminé avant qu’elle ne migre là où vont les âmes consues. Ou quelque chose de ce genre. C’est un honneur notoire qui n’est pas octroyé à la légère. Ce rite me paraissait un excellent moyen de perdre rapidement ses meilleurs soldats, mais, vu que j’appartenais à l’ennemi, il m’était difficile de voir le revers de la médaille dans la pratique.

Ce troisième Consu appartenait à la plus haute caste. Son rôle se réduisait à nous expliquer les raisons de notre mort et comment nous allions tous périr. Ensuite, nous pourrions marcher au casse-pipe et rendre l’âme. Toute tentative d’accélérer les événements en tirant préventivement sur le bouclier se solderait par un échec. À part le jeter dans un noyau stellaire, il y avait en effet peu de procédés capables d’esquinter un bouclier consu. Tuer un messager ne servirait qu’à leur faire recommencer les rituels d’ouverture, retardant d’autant le combat et le massacre.

De surcroît, les Consus ne se cachaient pas derrière le bouclier. Ils devaient simplement accomplir toutes sortes de rituels préalables à la bataille et ils préféraient le faire sans être interrompus par l’intrusion inopinée de balles, de rayons de particules ou d’explosifs. En vérité, les Consus n’aimaient rien tant qu’un bon combat. L’idée de débouler sur une autre planète, de s’y implanter, de défier les indigènes et de les expulser, l’arme au poing, ne les intéressait pas.

Ce qui était le cas ici. Les Consus se moquaient éperdument de coloniser cette planète. Ils avaient réduit en pièces une colonie humaine uniquement pour faire savoir aux FDC qu’ils étaient dans les parages et qu’ils ne refuseraient pas un peu d’action. Ignorer les Consus était exclu, car ils continueraient de tuer les colons jusqu’à ce que quelqu’un se présente pour les affronter officiellement. On ne pouvait jamais savoir non plus ce qu’ils allaient considérer comme un défi officiel. Il fallait continuer de renforcer les troupes jusqu’à ce qu’un messager consu sorte et annonce la bataille.

À part leurs boucliers impressionnants et impénétrables, la technologie de combat des Consus était d’un niveau similaire à celle des FDC. Ce qui n’était pas aussi encourageant que l’on pourrait le penser. En effet, les rapports filtrant des batailles consues avec les autres espèces indiquaient que leur armement et leur technologie étaient toujours plus ou moins du même niveau que ceux de leur adversaire. Cela corroborait l’idée qu’en réalité les Consus ne faisaient pas la guerre mais du sport. Un peu comme un match de foot, avec des colons massacrés en guise de spectateurs.

Frapper les premiers n’était pas une option. Tout leur habitat était protégé par bouclier. L’énergie générant ce bouclier provenait de la compagne naine blanche du soleil cousu. Elle avait été entièrement domestiquée à l’aide d’un procédé de capture tel que toute l’énergie qui en émanait alimentait le bouclier. Franchement, on ne déconne pas avec des gens capables de faire ça. Mais les Consus ont un code d’honneur insolite. Éliminez-les d’une planète au cours d’un combat et ils ne reviendront pas. Comme si la bataille était le vaccin, et nous l’antivirus.

Toutes ces informations étaient fournies par notre banque de données de la mission, à laquelle notre officier commandant, le lieutenant Keyes, nous avait donné l’ordre d’accéder avant le combat. Le fait que Watson semblait tout en ignorer signifiait qu’il n’avait pas consulté le rapport. Ce n’était guère surprenant, car, dès l’instant où j’avais rencontré Watson, j’avais compris que c’était un fils de pute trop sûr de lui, dont l’ignorance obstinée le ferait tuer, lui ou ses camarades. Mon problème tenait à ce que j’étais son compagnon de section.

Le Consu déploya ses bras-faux – développés à un moment de leur évolution pour affronter quelque créature extrêmement horrible sur leur monde natal, sans doute – et, en dessous, ses membres antérieurs, plus semblables à des bras, se levèrent au ciel.

— Ça commence, dit Viveros.

— Je pourrais l’exploser facilement, proposa Watson.

— Fais-le et je te flingue, avertit Viveros.

Dans le ciel éclata un bruit semblable au coup de fusil de Dieu en personne, suivi par ce qui évoquait une tronçonneuse sciant un toit. Le Consu chantait. J’accédai à Fumier et lui demandai de me traduire dès le début.

Oyez, honorés adversaires,

Nous sommes les instruments de votre mort joyeuse.

À notre façon, nous vous avons bénis.

L’esprit des meilleurs parmi nous a sanctifié notre bataille.

Nous vous louerons en avançant au milieu de vous

Et chanterons vos âmes conduites à leur récompense.

Vous n’avez pas eu la fortune de naître parmi le Peuple,

Alors nous vous menons sur le chemin qui conduit à la rédemption.

Soyez braves, battez-vous avec ardeur

Afin d’entrer dans notre bercail à l’heure de votre renaissance.

Cette bataille bénie sanctifie le terrain,

Et tous ceux qui meurent et renaissent seront délivrés.

— Quel boucan ! dit Watson en plantant et tournant un doigt dans son oreille.

Je doutais qu’il se fût donné la peine d’obtenir une traduction.

— Par Dieu, ce n’est ni la guerre ni un match de foot, dis-je à Viveros. C’est un baptême.

Le caporal haussa les épaules.

— Les FDC ne le pensent pas. C’est leur façon de commencer un combat. On croit que c’est leur équivalent de l’hymne national. Ce n’est qu’un rituel. Regarde, le bouclier descend.

Elle désigna le bouclier qui maintenant scintillait et faiblissait sur toute sa longueur.

— Il est temps, bordel, dit Watson. J’allais piquer un roupillon.

— Écoutez-moi tous les deux, reprit Viveros. Restez calmes, restez concentrés et restez le cul baissé. Nous avons une bonne position et le lieutenant veut qu’on mitraille ces salauds à mesure qu’ils sortiront. Rien de spectaculaire… Juste leur tirer dans le thorax. C’est là où loge leur cerveau. Un qui tombe, c’est un de moins à liquider pour les autres. Des tirs de fusil uniquement, tout le reste ne fera que nous trahir plus vite. Fini les bavardages, les Amicerveaux uniquement à partir de maintenant. Vous m’avez comprise ?