— On vous a comprise, dis-je.
— Absolument, ajouta Watson.
— Parfait.
Le bouclier disparut finalement. Le terrain séparant les humains des Consus fut aussitôt strié de roquettes préparées depuis des heures. Les hoquets concussifs de leurs explosions étaient aussitôt suivis par des hurlements humains et les piaulements métalliques des Consus. Pendant plusieurs secondes, il n’y eut plus que la fumée et le silence. Puis un long cri en dents de scie tandis que les Consus s’élançaient pour attaquer les humains, qui, eux, gardèrent leurs positions et tentèrent d’abattre autant d’adversaires que possible avant le heurt des deux fronts.
— Finissons-en, lança Viveros.
Sur ce, elle leva son MF, visa un Consu éloigné et ouvrit le feu. Nous l’imitâmes aussitôt.
Comment se préparer au combat.
D’abord, les systèmes vérifient votre fusil d’infanterie MF-35. Les MF-35 s’autocontrôlent, s’autoréparent et peuvent, à la rigueur, utiliser un bloc de munitions comme matériau brut pour réparer un dysfonctionnement. L’unique façon de détruire définitivement un MF est de le placer sur la trajectoire d’un propulseur de feu manœuvrable. Dans la mesure où on est probablement collé à son arme à ce moment-là, si c’est le cas, on a d’autres chats à fouetter.
Ensuite, enfiler sa tenue de combat : l’unitard standard hermétique d’une pièce qui couvre tout le corps sauf le visage. L’unitard est conçu pour faire oublier les désagréments physiques le temps du combat. Le « tissu » de nanorobots organisés laisse filtrer la lumière pour la photosynthèse et régule la chaleur. Qu’on se trouve sur une banquise arctique ou une dune de sable du Sahara, la seule différence que l’on remarquera sera le paysage. S’il arrive qu’on transpire, l’unitard absorbera la sueur, la filtrera et stockera l’eau jusqu’à ce qu’on puisse la transférer dans un bidon. On peut faire de même avec l’urine. Déféquer dans son unitard n’est pas recommandé.
On reçoit un projectile dans les tripes (ou n’importe quoi d’autre) et l’unitard se raidit au point d’impact, diffuse l’énergie sur toute la surface de la combinaison au lieu de permettre au projectile de pénétrer. C’est très douloureux mais ça vaut mieux que de laisser un pruneau ricocher comme un petit fou dans les intestins. Hélas, ça ne marche que jusqu’à un certain point. Donc éviter le feu ennemi reste à l’ordre du jour.
Ajouter le ceinturon, qui comprend le couteau de combat, l’outil multifonctionnel – le rêve incarné de tout couteau suisse de l’armée –, une impressionnante tente pliable, le bidon, des gaufrettes énergétiques pour une semaine et trois encoches pour les blocs de munitions. Se barbouiller la figure de crème truffée de nanorobots, qui sera interfacée avec l’unitard pour partager les informations sur l’environnement. Basculer en camouflage. Essayer de se retrouver dans le miroir.
Tertio, ouvrir un canal Amicerveau avec le restant de l’escadron et le laisser ouvert jusqu’au retour sur le vaisseau, ou mourir. Je me trouvais très futé d’avoir pensé à ça au camp d’entraînement, mais il s’avéra que c’était la règle non officielle la plus sacrée dans le feu du combat. La communication par Amicerveau implique de ne pas lancer d’ordres ni de signaux, et de ne pas parler pour éviter de trahir sa position. Si on entend un soldat des FDC dans le feu du combat, soit il est idiot, soit il hurle parce qu’il a été blessé.
L’unique inconvénient de la communication Amicerveau est qu’elle risque aussi de transmettre des informations émotionnelles si l’on n’y prête pas attention. Il peut être perturbant d’avoir soudain l’impression que l’on va se pisser dessus de terreur pour s’apercevoir aussitôt qu’il ne s’agit pas d’un sentiment personnel mais de celui d’un camarade. C’est également un détail qu’aucun de vos camarades ne vous laissera oublier.
Se connecter uniquement aux compagnons d’escadron. On garde une liaison ouverte à toute sa compagnie et, soudain, soixante personnes seront en train de jurer, de se battre et de mourir dans votre tête. On n’a pas besoin de ça.
Enfin, tout oublier, sauf d’exécuter les ordres, de tuer tout ce qui n’est pas humain et de rester en vie. Pour ce faire, les FDC ont adopté une solution simple : pendant les deux premières années de service, tous les soldats sont des fantassins, qu’ils aient été chirurgiens ou concierges, sénateurs ou clochards. Si on franchit le cap des deux ans, alors on a la possibilité de se spécialiser, de gagner un ticket permanent de colonial au lieu d’être transbahuté d’une bataille à l’autre, de faire son trou et d’assumer tous les rôles qu’offre chaque corps militaire. Mais, pendant deux ans, tout ce qu’on aura à faire sera d’aller là où on nous dira d’aller, de rester planqué derrière le fusil et de tuer sans se faire tuer. C’est simple, mais simple n’est pas synonyme de facile.
Il fallait deux coups pour abattre un soldat consu. C’était nouveau : rien dans les renseignements à leur sujet ne mentionnait une protection personnelle. Mais quelque chose leur permettait d’encaisser le premier tir. Il les faisait tomber sur ce qu’on peut appeler leur cul, mais ils se relevaient en quelques secondes. Donc, deux coups. Un pour les faire tomber et l’autre pour les empêcher de se relever.
Deux tirs consécutifs sur la même cible qui bouge n’est pas aisé lorsqu’on fait feu à travers un champ de bataille de quelques centaines de mètres pour le moins effervescent. Après avoir découvert cela, j’avais demandé à Amicerveau de créer une routine de tir spécialisée qui envoyait deux projectiles chaque fois que je pressais la détente, le premier à pointe creuse et le second avec une charge d’explosif. Les données furent relayées à mon MF entre deux tirs. Une seconde avant, je lâchais un seul pruneau standard de fusil et, la seconde d’après, je tirais mon spécial tueur de Consu.
Ah ! ce que j’aimais mon fusil.
Je transmis les données de tir à Watson et Viveros. Viveros les répercuta le long de la chaîne de commandement. Une minute plus tard, le champ de bataille était parsemé du bruit de sèches doubles détonations, suivi de douzaines de Consus qui éclataient alors que les charges d’explosif projetaient leurs organes internes contre les flancs de leur carapace. On eût dit du pop-corn sautant dans une poêle. Je jetai un coup d’œil à Viveros. Elle visait et tirait sans aucune émotion. Watson tirait et souriait jusqu’aux oreilles comme un gamin qui vient de gagner un animal en peluche au stand de tir d’une foire.
Oh, oh… (Viveros.) On est repérés.
— Quoi ? fit Watson en pointant la tête.
Je l’aplatis au sol tandis que des roquettes s’enfonçaient dans les rochers qui nous servaient d’abri. Nous fûmes recouverts par les gravillons qui venaient de se former. Je jetai un coup d’œil juste à temps pour voir une pierre de la taille d’une boule de bowling tourbillonner follement en direction de mon crâne. Sans réfléchir, je la frappai pour l’écarter ; ma combinaison se durcit le long de mon bras et la pierre s’éloigna comme une balle perdue paresseuse. Mon bras me faisait mal. Dans ma première vie, j’avais été le fier propriétaire de trois os flambant neufs du bras, courts et affreusement mal alignés. Pas question de me fracturer de nouveau le bras.
— Sapristi, c’était pas loin, dit Watson.
— La ferme, lui fis-je tout en envoyant à Viveros : Et maintenant ?
Tenir bon. (Sa réponse.)
Elle sortit son outil multifonctionnel de son ceinturon et, d’un ordre, le transforma en miroir puis s’en servit pour lorgner par-dessus son rocher.