Six, non sept droit sur nous.
Un crac soudain retentit à proximité.
Ça fait cinq, rectifia-t-elle en refermant son outil. Passez sur grenades, puis on attaque et on se casse.
J’acquiesçai, Watson sourit aux anges et, lorsque Viveros envoya Feu, nous lançâmes tous les trois nos grenades par-dessus les rochers. Trois chacun, comptai-je. Au bout de neuf explosions, je lâchai un grand soupir, fis une prière et me relevai. J’avisai les restes d’un Consu, un autre, hébété, qui s’éloignait de notre position en se traînant, et deux qui cherchaient vaille que vaille à se mettre à l’abri. Viveros abattit le blessé. Watson et moi, chacun un des deux autres.
— Bienvenue à la fête, têtes de nœud ! s’esclaffa Watson.
Il sauta sur son rocher en exultant, juste à temps pour se retrouver nez à nez avec le cinquième Consu, qui avait franchi le tir des grenades et était resté planqué pendant que nous liquidions ses amis. Le Consu abaissa un canon droit sur le nez de Watson et fit feu. Un cratère s’ouvrit dans le visage de Watson, puis un geyser de Sangmalin et de tissu à l’emplacement de sa tête éclaboussa le Consu. L’unitard, conçu pour se raidir sous l’impact des projectiles, ne réagit que lorsque le coup atteignit l’arrière du casque, relançant le projectile, le Sangmalin, des morceaux de crâne et de cerveau ainsi qu’Amicerveau par la seule ouverture disponible.
Watson ne sut pas ce qui l’avait frappé. La dernière chose qu’il transmit par le canal de son Amicerveau était une vague d’émotions qu’on pouvait au mieux décrire comme une perplexité désorientée, la légère surprise de celui qui a vu quelque chose à quoi il ne s’attendait pas mais sans comprendre ce que c’était. Puis la connexion fut coupée, comme une ligne de com qui s’interrompt de façon inattendue.
Le Consu qui tira sur Watson chanta à l’instant où son visage fut arraché. J’avais laissé branché mon circuit de traduction et, ainsi, je vis le sous-titre donné à la mort de Watson, le mot RACHETÉ qui se répétait sans cesse tandis que des morceaux de sa tête formaient des gouttelettes dégoulinant sur le thorax du Consu. Je hurlai et ouvris le feu. Le Consu fut projeté en arrière puis pulvérisé tandis que les balles s’enfonçaient l’une après l’autre sous sa plaque thoracique et détonaient. J’ai dû gaspiller trente projectiles sur un cadavre avant d’arrêter.
— Perry, dit Viveros en repassant en vocal pour m’arracher à ma frénésie de tir. Y en a d’autres qui arrivent. Il est temps de dégager. Allons-y.
— Et Watson ?
— Laisse-le. Il est mort, pas toi, et il n’y a personne pour le pleurer sur ce monde, de toute façon. Nous viendrons chercher le corps plus tard. Partons. Restons en vie.
Nous remportâmes la victoire. La technique du double tir réduisit le troupeau consu d’une manière substantielle avant qu’ils ne fassent preuve de sagesse et reculent pour changer de tactique. Ils se rabattirent sur les attaques au lance-roquettes plutôt que de tenter un nouvel assaut frontal. Au bout de plusieurs heures, les Consus battirent complètement en retraite, rétablirent leur bouclier, laissant en arrière un escadron pour effectuer le suicide rituel qui signalait l’acceptation de leur défaite. Après qu’ils eurent plongé leur couteau de cérémonie dans leur cavité cérébrale, tout ce qui restait à faire était de collecter nos morts et les blessés restés sur le champ de bataille.
Pour cette journée, la 2e compagnie s’en était très bien tirée : deux morts, en comptant Watson, et quatre blessés dont une grave, seulement. Cette femme passerait le mois suivant à attendre que ses intestins inférieurs repoussent, tandis que les trois autres seraient rétablis et reprendraient leur devoir dans quelques jours. Tout bien considéré, les choses auraient pu être pires. Un aéroglisseur blindé consu s’était forcé un chemin jusqu’à la position de la section C de la 4e compagnie et avait détoné, emportant seize des nôtres avec lui, y compris le chef de compagnie et deux chefs de section, et blessant une grande partie du restant de la compagnie. Si le lieutenant de la 4e n’était pas encore mort, à mon avis, il devait le regretter après un fiasco pareil.
Après avoir reçu du lieutenant Keyes le signal de fin d’alerte, je retournai chercher Watson. Un groupe de charognards à huit pattes s’acharnait déjà sur lui. J’en tuai un, ce qui incita les autres à s’éclipser. En peu de temps, ils avaient été très rapides en besogne. Je fus désagréablement surpris par le peu de poids d’un homme à qui on a retiré la tête et une grande partie de ses organes. Je posai ce qui restait de Watson sur une civière de pompier et attaquai les deux bornes qui me séparaient de la morgue temporaire. Je dus m’arrêter une seule fois pour vomir.
Alan me surveillait du coin de l’œil.
— Besoin d’aide ? demanda-t-il en me rejoignant.
— Ça va. Il n’est plus très lourd.
— Qui c’est ?
— Watson.
— Oh, lui, grimaça Alan. Ma foi, je suis sûr qu’il manquera à quelqu’un quelque part.
— Évite de pleurnicher sur mon épaule, veux-tu ? Comment ça a marché pour toi, aujourd’hui ?
— Pas mal. J’ai gardé presque tout le temps la tête baissée, levé de temps à autre mon fusil et tiré quelques projectiles dans la direction générale de l’ennemi. J’ai dû en atteindre. Je n’en sais rien.
— Tu as entendu le chant de mort avant la bataille ?
— Bien sûr. On aurait dit l’accouplement de deux trains de marchandises. Tu es obligé de l’entendre.
— Je voulais savoir si tu as reçu la traduction. As-tu écouté ce que ce chant disait ?
— Ouais. Je ne suis pas certain d’apprécier leur projet de nous convertir à leur religion, vu qu’il implique notre mort, tu vois, euh…
— Les FDC pensent qu’il ne s’agit que d’un rituel. Comme une prière qu’ils récitent parce qu’ils l’ont toujours fait.
— Qu’en penses-tu, toi ? demanda Alan.
Je désignai du menton Watson.
— Le Consu qui l’a tué hurlait « racheté, racheté » à pleins poumons, et je suis sûr qu’il aurait fait pareil en m’étripant. Je pense que les FDC sous-estiment ce qui se passe ici. À mon avis, la raison pour laquelle les Consus ne reviennent pas après une bataille est qu’ils ne considèrent pas qu’ils l’ont perdue. Je ne pense pas que la victoire ou la défaite détermine l’issue du combat. De leur point de vue, cette planète est maintenant consacrée par le sang. Ils pensent en être les maîtres.
— Dans ce cas, pourquoi ne l’occupent-ils pas ?
— Ce n’est peut-être pas le moment. Peut-être doivent-ils attendre une sorte d’Armageddon. Mais, selon moi, les FDC ignorent si les Consus la tiennent pour leur propriété ou non. Je crois qu’un jour ou l’autre elles auront une très grosse surprise.
— D’accord. Toutes les armées dont j’ai entendu parler ont péché par suffisance. Mais qu’est-ce que tu proposes de faire ?
— La barbe, Alan. Je n’en ai pas la moindre idée. À part être mort depuis longtemps quand ça se produira.
— Pour passer à un sujet totalement différent et moins déprimant, tu as fait du bon boulot en imaginant la solution de tir pour ce combat. Pas mal des nôtres étaient vraiment furieux de tirer sur ces salauds et de les voir se relever et continuer d’avancer. On va te payer à boire pendant deux semaines.
— Mais on ne paye pas nos boissons. C’est un voyage aux enfers tous frais inclus, si tu te souviens bien.
— Enfin, si les coups à boire n’étaient pas gratuits, on te les paierait !