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— Vous n’étiez jamais d’accord avec Bender avant.

— Ce n’est pas vrai. J’ai dit qu’il n’y connaissait que dalle et que son devoir était envers nous. Mais je n’ai pas dit qu’il avait tort. Il aurait dû m’écouter. S’il avait suivi les ordres, il serait encore en vie, bon sang. À la place, il a fallu que je racle ses restes de la semelle de mes bottes.

— Il dirait probablement qu’il est mort pour ce en quoi il croyait.

Viveros renifla.

— Je t’en prie. Bender est mort pour Bender. Point, barre. S’approcher d’une assemblée de gens dont nous venons de détruire la planète et se conduire comme s’il était leur ami. Faut vraiment être con. Si j’avais été whaidienne, je lui aurais tiré dessus, moi aussi.

— Faut vraiment être fortiche pour s’opposer aux idéaux pacifistes de Bender.

Viveros sourit.

— Si la paix et non pas son ego avait été le principal souci de Bender, il aurait fait ce que je fais et ce que tu devrais faire toi aussi, Perry. Exécuter les ordres. Rester en vie. Franchir son temps de service dans l’infanterie. S’inscrire à la formation des officiers et monter en grade. Intégrer ceux qui donnent les ordres, et non plus ceux qui se contentent de les suivre. C’est de cette façon que nous ferons la paix quand nous le pourrons. Voilà pourquoi j’arrive à vivre « en suivant uniquement les ordres ». Parce que je sais qu’un jour, ces ordres-là, je vais les modifier.

Elle se cala contre son dossier, ferma les yeux et dormit le restant de la traversée jusqu’à notre vaisseau.

Luisa Viveros mourut deux mois plus tard dans un dangereux amas de boue nommé Eau-Profonde. Notre escadron tomba dans un piège dressé dans des catacombes naturelles situées sous la colonie hann’ie que nous avions reçu l’ordre de nettoyer. Au cours du combat, nous nous sommes retrouvés entassés dans une grotte où quatre autres tunnels débouchaient, tous encerclés par l’infanterie hann’ie. Viveros nous ordonna de nous replier dans notre tunnel et commença de tirer vers l’entrée. Le tunnel s’effondra, nous coupant de la grotte. Les données d’Amicerveau révélèrent qu’elle s’était ensuite avancée et avait entrepris de liquider les Hann’is. Elle n’avait pas tenu longtemps. Le restant de l’escadron rebroussa chemin vers la surface. Une opération périlleuse, vu la façon dont nous avions été entassés, mais cela valait mieux que de périr dans une embuscade.

Viveros reçut une médaille posthume pour bravoure. Je fus promu caporal et reçus son escadron. On donna le lit de camp et l’armoire de Viveros à un nouveau gars nommé Whitford, qui était assez correct, comme l’avenir le montra.

L’institution avait remplacé une dent de la crémaillère.

Viveros me manquait.

Cinq

Thomas mourut à cause d’un produit qu’il absorba.

Ce qu’il ingéra était si nouveau que les FDC ne lui avaient toujours pas trouvé de nom, et cela sur une colonie si nouvelle qu’elle n’avait pas non plus de nom mais une simple désignation officielle : colonie 622, 47 de la Grande Ourse. (Les FDC continuaient d’employer les appellations stellaires de la Terre, pour la même raison qu’elles continuaient de diviser la journée en vingt-quatre heures et l’année en 365 jours : il était plus facile de procéder ainsi.) Conformément à la procédure standard en vigueur, les nouvelles colonies sont tenues d’envoyer une compilation quotidienne de toutes leurs données dans un drone de saut, qui retourne sur Phénix afin que le Gouvernement puisse tenir à jour ses fiches sur les affaires coloniales.

La colonie 622 envoyait des drones depuis sa fondation, six mois auparavant. Excepté les disputes, la pagaille et les échauffourées habituelles qui sont le lot de toute colonie à ses origines, rien de spécial n’avait été rapporté à part le fait qu’une vase locale encrassait presque tout. Elle s’infiltrait dans les machines, les ordinateurs, les enclos des animaux et même les quartiers d’habitation. Une analyse génétique de ce matériau avait été envoyée à Phénix, accompagnée de la demande que soit mis au point un fongicide qui débarrasse les cheveux des colons de cette vase. Immédiatement après, des drones de saut vides étaient revenus sans aucune information téléchargée par la colonie.

Thomas et Susan servaient sur le Tucson, mandaté pour mener une enquête. Le Tucson se mit en orbite et s’efforça de contacter la colonie. En vain. L’observation visuelle ne révéla aucun mouvement entre les bâtiments : aucun humain, aucun animal, rien. Toutefois, les bâtiments eux-mêmes n’avaient pas l’air endommagés. La compagnie de Thomas reçut l’ordre de mener une opération de reconnaissance.

La colonie était recouverte de glu, un manteau de vase qui atteignait plusieurs centimètres d’épaisseur à certains endroits. Elle dégoulinait des lignes électriques et enveloppait tout l’équipement de communication, ce qui apparut d’abord comme une bonne nouvelle : il était possible que la vase eût simplement engorgé les capacités de transmission de l’équipement. Cet élan d’optimisme tourna court quand l’escadron de Thomas gagna les enclos des animaux et découvrit que tout le bétail était mort et en état de décomposition avancée, suite à la besogne industrieuse de la vase. Il découvrit peu après les colons, peu ou prou dans le même état. Presque tous (ou ce qu’il en restait) se trouvaient dans leur lit ou tout près. Sauf les familles où les parents étaient dans la chambre des enfants, ou dans le couloir y menant, et les colons se relayant par équipe au cimetière, qu’on retrouva à leur poste ou à proximité.

Thomas proposa d’emmener l’un des cadavres dans le centre médical de la colonie pour procéder à une autopsie sommaire susceptible de révéler un indice sur la cause de la mort des colons. Son chef de section donna son assentiment. Thomas et l’un de ses compagnons se penchèrent sur l’un des corps les plus intacts. Thomas le saisit par les aisselles et son compagnon par les pieds. Puis Thomas lui dit de le soulever à trois. Quand il fut parvenu à deux, la vase se leva du cadavre et le gifla au visage. Il poussa un hoquet de surprise. La vase se faufila dans sa bouche et coula jusque dans sa gorge.

Les soldats de sa section demandèrent aussitôt à leurs combinaisons de les protéger d’un casque. Juste à temps car, en quelques secondes, la vase jaillissait des crevasses et des fentes pour attaquer. Dans toute la colonie, des agressions similaires eurent lieu presque en même temps.

Thomas eut beau s’escrimer à chasser la vase de sa bouche, elle s’enfonça plus profondément dans sa gorge, bloquant ses bronches, obstruant ses poumons et s’infiltrant de l’œsophage jusque dans l’estomac. Il demanda par son Amicerveau à ses compagnons de le transporter au centre médical afin qu’on tente d’aspirer assez de vase de son organisme pour lui permettre de respirer à nouveau. Sangmalin informa qu’ils disposaient de quinze minutes avant que Thomas ne souffre de lésions cérébrales irréversibles. C’était une excellente idée qui aurait sans doute été efficace si la vase n’avait pas commencé de sécréter des acides digestifs concentrés dans les poumons de Thomas, les dévorant de l’intérieur alors qu’il était encore en vie. Les poumons de Thomas se sont dissous aussitôt. Et le malheureux mourut du choc et d’asphyxie quelques minutes plus tard. Les six autres soldats connurent le même destin, celui, comme chacun s’accorda par la suite pour le reconnaître, qui avait éliminé les colons.

Le chef de la compagnie de Thomas donna l’ordre de l’abandonner sur place, ainsi que les autres victimes. La compagnie se replia sur la navette et regagna le Tucson. La navette ne reçut pas l’autorisation d’arrimage. Les soldats furent amenés un par un dans le vide afin de tuer la vase susceptible d’imprégner encore leurs combinaisons, puis soumis à une décontamination intensive, à la fois externe et interne. Les cris de douleur ne furent en rien une comédie.