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À la place, on choisit Corail, pour les créatures semblables à des coraux qui participaient à la création de magnifiques archipels et récifs sous-marins autour de la zone équatoriale et tropicale de la planète. Contrairement à la règle, l’expansion humaine était réduite au minimum, et les colons préféraient dans une large part mener une existence bucolique, presque préindustrielle. C’était l’un des rares mondes dans l’univers où les humains tâchaient de s’adapter à l’écosystème existant plutôt que de le bouleverser et d’y introduire, disons, du blé et du bétail. Et cela marchait. La colonie, peu nombreuse et accommodante, vivait en harmonie dans la biosphère de Corail et prospérait d’une façon à la fois modeste et contrôlée.

Elle n’était donc pas préparée à l’arrivée de la force d’invasion des Rraeys, dont l’effectif égalait celui des colons. La garnison des FDC qui stationnait en orbite et sur Corail opposa une brève mais vaillante riposte avant d’être écrasée. Les colons eux-mêmes firent payer aux Rraeys leur agression. En peu de temps, néanmoins, la colonie fut dévastée et ses survivants littéralement dépecés, les Rraeys ayant acquis depuis longtemps un goût prononcé pour la viande humaine.

L’une des brèves diffusées jusqu’à nous via Amicerveau était un extrait d’un programme alimentaire dans lequel un de leurs maîtres queux les plus célèbres discutait de la meilleure façon de découper un humain en vue de multiples usages alimentaires, les os du cou étant particulièrement prisés pour les soupes et les consommés. Si cette vidéo nous soulevait le cœur, la présence de ces grandes toques sur Corail apportait une preuve supplémentaire que le massacre avait été organisé avec soin. À l’évidence, les Rraeys avaient l’intention de s’implanter.

Ils appliquèrent sans perdre de temps l’objectif principal de leur invasion. Sitôt tous les colons tués, ils firent descendre à la surface des plateformes pour commencer l’exploitation à ciel ouvert des îles de Corail. Ces aliens avaient auparavant tenté de négocier avec le gouvernement colonial l’extraction du corail. Les récifs coralliens du monde natal de cette espèce avaient été abondants jusqu’à ce que la pollution industrielle, combinée à leur exploitation commerciale, les eût détruits. Le Gouvernement avait refusé pour deux raisons : les colons de Corail souhaitaient garder intacte leur planète et les tendances anthropophages des Rraeys étaient bien connues. Personne ne voulait les voir survoler les colonies en quête d’humains sans méfiance pour les transformer en viande boucanée.

L’erreur du Gouvernement avait été de ne pas reconnaître la priorité accordée par les Rraeys à cette exploitation du corail – outre son commerce, elle comportait un aspect religieux que les diplomates coloniaux avaient grossièrement sous-estimé – ni jusqu’où ils étaient prêts à aller pour parvenir à leurs fins. Les Rraeys et le gouvernement colonial s’étaient heurtés à plusieurs reprises. Les relations n’avaient jamais été bonnes : comment se sentir à l’aise avec une espèce qui vous considère comme un élément nutritif d’un petit-déjeuner complet ? Toutefois, dans l’ensemble, ils s’occupaient de leurs oignons et nous des nôtres. Ce ne fut que récemment, lorsque le dernier des récifs coralliens de leur planète fut en voie d’extinction, que leur ardent désir de s’emparer des ressources de Corail nous frappa à la figure.

— C’est drôlement moche, disait le lieutenant Keyes à ses chefs d’escadron, et ça le sera davantage à notre arrivée.

Nous étions dans la salle de briefing de la compagnie et nos tasses de café refroidissaient tandis que nous consultions nombre de pages de rapports d’atrocités et de renseignements de surveillance du système de Corail. Nos drones de saut qui n’avaient pas été rayés du ciel par les Rraeys signalaient l’arrivée d’un flot ininterrompu de vaisseaux, à la fois en vue de la bataille et du halage du corail. Moins de deux jours après le massacre de Corail, presque un millier de vaisseaux rraeys planaient dans l’espace au-dessus de la planète, attendant de lancer leur grande opération de prédation.

— Voici ce que nous savons, poursuivit Keyes en affichant un graphique du système de Corail dans nos Amicerveaux. Nous estimons que l’activité de leurs vaisseaux dans le système est essentiellement commerciale et industrielle. D’après ce que nous savons du design de leurs bâtiments, environ un quart, soit trois cents et quelque, possèdent des capacités offensives et défensives de niveau militaire, et bon nombre de ceux-là sont des transports de troupes avec une protection et une puissance de feu minimales. Mais ceux de la classe des croiseurs de combat sont à la fois plus grands et plus résistants que les nôtres. Nous estimons également à cent mille individus leurs forces au sol, et elles ont entrepris leur déploiement en vue de l’invasion.

» Ils s’attendent à ce que nous luttions pour défendre Corail mais, selon nos meilleures sources, ils pensent que nous lancerons une attaque dans quatre à six jours : le temps qu’il nous faudra pour amener un nombre suffisant de nos grands vaisseaux en position de saut. Ils savent que les FDC préfèrent effectuer des déploiements de force massifs et que ça nous prendra un certain temps.

— Alors quand allons-nous attaquer ? s’enquit Alan.

— D’ici onze heures.

Nous nous trémoussâmes, tous mal à l’aise sur nos sièges.

— Comment pourrions-nous réussir ? demanda Ron Jensen. Les seuls vaisseaux que nous aurons de disponibles sont ceux qui se trouvent déjà à distance de saut et ceux qui le seront dans quelques heures. Combien en aurons-nous ?

— Soixante-deux en comptant le Modesto, répondit Keyes.

Nos Amicerveaux téléchargèrent la liste des vaisseaux disponibles. Je notai en passant la présence du Routes d’Hampton dans la liste ; le bâtiment sur lequel Jesse et Harry avaient été affectés.

— Six autres vaisseaux, enchaîna Keyes, prennent de la vitesse pour atteindre la distance de saut, mais nous ne pouvons pas compter sur leur présence quand nous frapperons.

— Seigneur, Keyes, intervint Ed McGuire, ça fait cinq vaisseaux contre un, et deux contre un pour les forces au sol en supposant que nous arrivions à toutes les faire atterrir. Je crois que je préfère notre tradition de la force massive.

— Lorsque nous aurons assez de grands vaisseaux alignés pour passer à l’attaque, ils nous attendront de pied ferme, dit Keyes. Mieux vaut envoyer une force moins nombreuse tant qu’ils ne sont pas préparés et causer tout de suite autant de dégâts que possible. Dans quatre jours, nous aurons une force plus nombreuse : deux cents vaisseaux gonflés à bloc. Si nous faisons notre boulot correctement, ils pourront aisément liquider ce qui restera des forces ennemies.

Ed ricana.

— Nous ne serons plus là pour l’apprécier.

Keyes eut un sourire pincé.

— Quel manque de confiance ! Écoutez, les gars, je sais qu’il ne s’agit pas d’une agréable randonnée sur la Lune. Mais nous n’agirons pas bêtement. Nous ne lutterons pas pied à pied. Nous allons arriver avec des cibles précises. Nous détruirons leurs transports de troupes encore en route pour les empêcher de descendre des renforts en surface. Nous larguerons des troupes chargées de stopper les opérations minières avant qu’elles ne progressent et de rendre difficile aux Rraeys de nous atteindre sans frapper leurs propres troupes et leur équipement. Nous descendrons leurs appareils commerciaux et industriels chaque fois que l’occasion se présentera et nous essaierons d’attirer leurs grands canons hors de l’orbite de Corail, si bien qu’à l’arrivée de nos renforts nous serons devant et derrière eux.