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J’espère que je verrai les constellations là où je vais. (Lui.)

Il renvoie le même message. Il l’envoie encore. Après cela, il n’envoie plus rien.

Des pépiements. Des coussinets rugueux qui me saisissent par le bras. Fumier reconnaît ces pépiements et me transmet une traduction.

— Celui-là est encore en vie.

— Laisse-le. Il va bientôt mourir. Et les verts ne sont pas bons à manger. Ils ne sont pas mûrs.

Des reniflements que Fumier traduit comme [rires].

— Bon Dieu, regarde-moi ça, dit quelqu’un. Ce fils de pute est vivant.

— Laisse-moi voir, fait une autre voix, familière.

Silence. La voix familière de nouveau :

— Retire-lui cette branche. On va le ramener.

— Bon Dieu, chef, dit la première voix, regardez-le. Vous devriez lui tirer une balle dans la tête. C’est le meilleur service qu’on peut lui rendre.

— On nous a dit de ramener les survivants, rappelle la voix familière. Figure-toi qu’il a survécu. C’est le seul qui ait survécu.

— Si vous pensez que son état le qualifie de survivant.

— Prêt ?

— Oui, m’dame.

— Bien… Maintenant, retire cette branche. Les Rraeys vont nous tomber dessus à bras raccourcis.

Ouvrir mes yeux équivaut à soulever des portes en métal. Ce qui me permet de le faire, c’est la douleur cuisante que je ressens quand on me retire la branche du torse. Mes yeux s’ouvrent brusquement et j’aspire l’équivalent dénué de mâchoires d’un cri.

— Bon Dieu ! s’exclame la première voix.

J’avise un homme blond qui jette au loin la grosse branche.

— Il est réveillé.

Une main chaude sur le côté indemne de mon visage.

— Hé, fait la voix familière. Hé, tu vas bien maintenant. Tout va bien. Tu es en sécurité. Nous te ramenons. Tout va bien. Tu vas bien.

Son visage apparaît dans mon champ de vision. Ce visage, je le connais. Je l’ai épousé.

Kathy est venue à mon secours.

Je pleure. Je sais que je suis mort. Ça m’est égal.

Je commence à sombrer dans le coma et j’entends le blond demander :

— Tu as déjà vu ce gars ?

— Ne sois pas idiot. (Kathy.) Bien sûr que non.

Je disparais.

Dans un autre univers.

TROISIÈME PARTIE

Un

— Oh, vous êtes réveillé, me dit quelqu’un lorsque j’ouvris les yeux. Écoutez, n’essayez pas de parler. Vous êtes immergé dans une solution. Vous avez un tube transpiratoire planté dans le cou. Et vous n’avez plus de mâchoire.

Je promenai un regard à la ronde. Je flottais dans un bain de liquide épais, chaud et translucide. J’aperçus des objets au-delà de la cuve mais ne pus accommoder sur aucun. Comme annoncé, un tube respiratoire serpentait du panneau placé sur le côté de la cuve vers mon cou. Je tâchai de le suivre des yeux jusqu’à moi, mais mon champ de vision était bloqué par un appareil qui entourait la moitié inférieure de ma tête. J’essayai en vain de le toucher. Impossible de remuer le bras. Cela me préoccupa.

— Ne vous inquiétez pas pour ça, dit la voix. Nous avons mis en suspens votre mobilité. Une fois que vous serez sorti de la cuve, nous vous la rendrons. Plus que deux jours. À propos, vous avez toujours accès à votre Amicerveau. Si vous souhaitez communiquer, utilisez-le. C’est de cette façon que nous vous parlons.

Où diable suis-je ? demandai-je par Amicerveau. Et que m’est-il arrivé ?

— Vous êtes au centre médical Brenneman, au-dessus de Phénix, répondit la voix. Le meilleur de tous. Vous êtes en soins intensifs. Je suis le docteur Fiorina et je m’occupe de vous depuis votre arrivée. Quant à ce qui s’est passé, eh bien… Tout d’abord, je tiens à vous annoncer que vous êtes maintenant en bonne forme. Cela dit, vous avez perdu votre mâchoire, votre langue, presque toute la joue et l’oreille droites. Votre jambe droite a été fracturée à la moitié du fémur ; la gauche a subi de multiples fractures et il manque trois orteils et le talon à votre pied gauche. Nous pensons qu’ils ont été rongés. La bonne nouvelle est que votre moelle épinière a été sectionnée en dessous de la cage thoracique, ce qui vous a évité de trop souffrir. À propos des côtes, six sont cassées, dont une qui a transpercé la vésicule biliaire, et vous avez eu une hémorragie interne générale. Sans mentionner la septicémie et une multitude d’autres infections à la fois générales et spécifiques qui se sont propagées par les plaies restées ouvertes pendant des jours.

Je me suis cru mort. (Ma réponse.) Mourant, du moins.

— Puisque vous n’êtes plus en danger de mort, je crois avoir le droit de vous dire qu’en effet vous devriez être décédé, répondit le Dr Fiorina. Si vous étiez un homme non modifié, vous seriez bel et bien mort. Remerciez votre Sangmalin de vous avoir sauvé la vie. Il a coagulé avant que vous vous soyez vidé et a empêché les infections de se propager. Toutefois, vous avez frôlé la mort. Si on ne vous avait pas retrouvé alors que vous alliez y passer, vous seriez décédé peu après. Les choses étant ce qu’elles sont, lorsqu’ils vous ont ramené sur l’Épervier, ils vous ont stocké dans une cuve de stase pour vous transporter ici. Ils ne pouvaient pas faire grand-chose d’autre sur le vaisseau. Vous aviez besoin de soins spécialisés.

J’ai vu ma femme, transmis-je. C’est elle qui m’a sauvé.

— Votre femme est-elle soldat ?

Elle est morte depuis des années.

— Oh, fit le médecin. (Il ajouta après un silence :) Eh bien, vous étiez déjà parti très loin. Les hallucinations n’ont rien d’inhabituel à ce stade. Le tunnel étincelant, les parents du mort et tout le tremblement. Écoutez, caporal, votre organisme nécessite encore beaucoup de soins. Vous ne pouvez rien faire d’autre là-dedans que flouer. Je vais vous remettre en mode sommeil pendant quelque temps. La prochaine fois que vous vous éveillerez, vous serez sorti de la cuve. Et une assez grande partie de votre mâchoire aura repoussé pour que vous puissiez tenir une conversation. D’accord ?

Qu’est-il arrivé à mon escadron ? On s’est écrasés…

— Dormez maintenant, fit le médecin. Nous parlerons davantage quand vous serez sorti.

J’allais donner une réponse exaspérée mais une vague de fatigue m’emporta. Je m’endormis sans même avoir le temps de m’étonner de la rapidité avec laquelle je sombrais.

— Hé, regarde qui est revenu, dit une nouvelle voix. L’homme trop bête pour mourir.

Cette fois, je ne flottais plus dans une cuve de glu. Je levai les yeux et découvris d’où venait la voix.

— Harry, fis-je du mieux que je pus avec ma mâchoire immobile.

— Lui-même, dit-il en faisant une petite courbette.

— Désolé de ne pouvoir me lever, bredouillai-je. Je suis un peu déglingué.

— Un peu déglingué ! s’écria-t-il en roulant des yeux. Seigneur ! Tu n’avais quasiment plus de carcasse, John. Je le sais, je les ai vus te remonter sur le vaisseau. Quand ils ont dit que tu étais encore en vie, ma mâchoire est tombée par terre.

— Très drôle.

— Excuse-moi. Je n’avais pas l’intention de blaguer. Mais, John, tu étais méconnaissable. Un tas disloqué. Ne le prends pas mal, mais j’ai prié pour que tu décèdes. Jamais je n’aurais imaginé qu’ils puissent te rafistoler aussi bien.