— Exact, confirma Crick. Donc nous avons sacrément intérêt à prendre la station, messieurs-dames.
— Excusez-moi, fis-je. Il y a un petit détail qui me tracasse.
— Oui, lieutenant Perry.
— Le succès de l’offensive repose sur la prise de la station de repérage qui tient à jour l’arrivée de nos vaisseaux.
— Exact.
— C’est la même station de repérage qui va nous pister quand nous-mêmes sauterons dans l’espace de Corail.
— Exact.
— J’étais sur un vaisseau repéré à son arrivée, si vous vous en souvenez. Il a été désintégré et tous ceux qui étaient à bord avec moi sont morts. Ne craignez-vous pas un peu qu’il nous arrive la même mésaventure ?
— Nous nous sommes déjà faufilés dans l’espace de Corail sans être détectés, rappela Tagore.
— Je le sais puisque c’est l’Épervier qui m’a sauvé. Et, croyez-moi, j’en suis reconnaissant. J’ai cependant la forte impression que ce genre de tour d’adresse ne réussit qu’une fois. Et même si nous sautons dans le système de Corail assez loin de la planète pour éviter d’être détectés, il nous faudra plusieurs heures pour atteindre cette planète. Le timing ne sera pas respecté. Si on veut que ça marche, l’Épervier doit sauter à proximité. Alors je veux savoir comment nous allons procéder en espérant encore que le vaisseau restera en un seul morceau.
— La réponse est extrêmement simple, dit Crick. Nous n’espérons pas que le vaisseau restera en un seul morceau. Nous escomptons qu’il soit rayé du ciel. Mieux, nous comptons là-dessus.
— Pardonnez-moi ?
Je balayai la table du regard, m’attendant à découvrir des mines aussi confuses que la mienne. Tout au contraire, chacun avait l’air un rien pensif. Je trouvai tout cela très désorientant.
— Insertion en orbite haute, alors, c’est ça ? demanda le lieutenant Dalton.
— Oui, répondit Crick. Modifiée, évidemment.
Je tombai bouche bée.
— Vous avez déjà fait ça ? demandai-je.
— Pas ça précisément, lieutenant Perry, intervint Jane, attirant mon attention sur elle. Mais oui, à l’occasion, nous avons introduit des Forces spéciales directement de l’espace. En général lorsque l’emploi de navettes n’était pas une option, comme dans la mission qui nous attend. Nous avons des tenues de parachutage qui nous isolent de la chaleur à l’entrée dans l’atmosphère. À part ça, il s’agit d’un saut en parachute normal.
— Sauf que, dans ce cas, on va tirer sur votre vaisseau par en dessous.
— C’est là où le bât blesse, concéda Jane.
— Vous êtes complètement fous, dis-je.
— C’est une excellente tactique, souligna le commandant Crick. Si le vaisseau vole en éclats, les troupes feront partie des débris. Les FDC viennent de nous envoyer un drone de saut avec des informations récentes sur l’emplacement de la station de repérage. Nous pouvons ainsi sauter au-dessus de la planète d’une position permettant à nos gens de descendre droit dessus. Les Rraeys croiront qu’ils ont annihilé notre assaut avant qu’il ait commencé. Ils ne sauront que nous sommes là qu’au moment de l’attaque. Et alors ce sera trop tard.
— À supposer que l’un de vous survive à la frappe initiale, fis-je remarquer.
Crick jeta un regard à Jane et acquiesça.
— Les FDC nous ont octroyé une marge de manœuvre, déclara Jane au groupe. Elles ont commencé de placer des propulsions de saut sur des grappes de missiles protégés par bouclier et de les lancer dans l’espace de Corail. Sitôt leurs boucliers frappés, ils déclencheront les missiles, qui sont pour les Rraeys très difficiles à atteindre. Nous avons descendu plusieurs de leurs vaisseaux de cette manière ces deux derniers jours. Désormais, ils attendront quelques secondes avant de faire feu, afin de repérer avec précision ce qui a été lancé contre eux. Nous devrions disposer de dix à trente secondes avant que l’Épervier ne soit frappé. Ça ne laisse pas le temps de réagir à un bâtiment qui ne s’attend pas à être attaqué, mais ça nous suffit à faire sauter tous nos gens du vaisseau.
» Ça suffira peut-être aussi à l’équipage de la passerelle pour lancer une offensive de diversion.
— L’équipage de la passerelle va rester sur le vaisseau pour ça ? demandai-je.
— Nous endosserons la tenue de parachutage comme les autres et manœuvrerons le vaisseau via Amicerveau, expliqua le commandant Crick. Mais nous resterons à bord au moins jusqu’à ce que notre première salve de missiles soit lancée. Lorsque nous aurons quitté le bâtiment, nous n’activerons les Amicerveaux qu’une fois descendus profondément dans l’atmosphère de Corail. Sinon cela trahirait que nous sommes en vie à tout Rraey susceptible de surveiller. Cela comporte des risques, mais c’est le lot de tous ceux à bord de ce vaisseau. Ce qui nous amène, soit dit en passant, à vous, lieutenant Perry.
— À moi ?
— Naturellement, vous ne souhaitez pas vous trouver sur le vaisseau lorsqu’il sera frappé, dit Crick. De surcroît, vous n’avez pas la formation pour cette mission, et nous avons également promis que vous seriez ici en qualité de conseiller. En bonne conscience, nous ne pouvons pas vous demander de participer. Après ce briefing, on vous fournira une navette et un drone de saut sera renvoyé à Phénix avec les coordonnées de votre navette et une requête de récupération. Phénix maintient en permanence des vaisseaux de récupération stationnant à la distance de saut. Vous serez recueilli dans la journée. Toutefois, nous vous laisserons des vivres pour un mois. Et la navette est équipée de drones de saut d’urgence si les choses en arrivaient là.
— Donc vous vous débarrassez de moi.
— Ça n’a rien de personnel. Le général Keegan va vouloir un briefing sur la situation et les négociations avec les Consus, et, en tant qu’officier de liaison avec les FDC conventionnelles, vous êtes le plus apte à vous en charger.
— Mon commandant, avec votre autorisation, j’aimerais rester.
— Lieutenant, nous n’avons pas de place pour vous. Vous servirez mieux cette mission en retournant sur Phénix.
— Mon commandant, avec le respect que je vous dois, il y a au moins un absent dans vos rangs. Le sergent Hawking est décédé durant nos négociations avec les Consus. Il manque la moitié d’un bras au soldat Aquinas. Vous n’aurez pas la possibilité de renforcer vos troupes avant la mission. Certes, je n’appartiens pas aux Forces spéciales, mais je suis un vétéran. Je vaux, tout au moins, mieux que rien.
— Il me semble me souvenir que vous nous avez tous traités de fous, intervint le capitaine Jung.
— Mais vous êtes tous complètement fous. Donc, si vous exécutez vos plans, vous aurez besoin de toute l’aide qui se présentera à vous. Et puis, mon commandant, enchaînai-je en me tournant vers lui, n’oubliez pas que j’ai perdu tous mes hommes sur Corail. Je n’ai pas le droit, à mon sens, de me tenir à l’écart du combat.
Crick regarda Dalton.
— Où en sommes-nous avec Aquinas ? demanda-t-il.
Dalton haussa les épaules.
— Nous l’avons placée en régime de soins accélérés. Faire repousser un bras aussi vite fait un mal de chien, mais elle sera rétablie au moment du saut. Je n’ai pas besoin de lui.
Crick se tourna vers Jane, qui m’observait.
— À votre tour, Jane, dit-il. Hawking était votre sous-off. Si vous voulez Perry, vous pouvez l’avoir.
— Non, je n’en veux pas, répondit Jane en me regardant droit dans les yeux. Mais il a raison. Il me manque un homme.
— Parfait, conclut Crick. Décrassez-le en vitesse. (Il se tourna vers moi.) Si le lieutenant Sagan estime que vous ne ferez pas l’affaire, on vous fourre dans une navette. Vous m’avez compris ?