La station de repérage était située sur une colline près de l’un des plus petits établissements humains que les Rraeys avaient investis, dans un vallon fermé du côté de la station. Ce terrain était à l’origine occupé par le centre de commandement de la colonie et ses bâtiments annexes. Les Rraeys s’y étaient implantés pour bénéficier des lignes électriques et s’approprier les ressources informatiques, de transmission et autres du centre de commandement. Ils avaient érigé des positions défensives dans et autour du centre, mais les images en temps réel du site (fournies par un membre de l’état-major de Crick, qui avait sanglé carrément un satellite espion sur sa poitrine) révélaient que ces positions n’étaient que modérément armées et pourvues en personnel. Les Rraeys étaient trop sûrs que leur technologie et leurs vaisseaux spatiaux neutraliseraient toute menace.
D’autres compagnies investiraient le centre de commandement, localiseraient et sécuriseraient les machines intégrant les informations de repérage émises par les satellites et préparant leur chargement sur les vaisseaux rraeys postés en orbite. Le boulot de la nôtre consistait à prendre le contrôle de la tour de transmission d’où les signaux au sol partaient sur les vaisseaux. Si le matériel de transmission était un équipement consu avancé, nous devions déconnecter la tour et la défendre contre l’inévitable contre-attaque de l’ennemi. Si ce n’était que du bricolage rraey, nous nous contenterions de la faire sauter.
Dans l’un et l’autre cas, la station de repérage serait fermée et les vaisseaux rraeys contraints de se diriger en aveugles, incapables de détecter quand et où les nôtres apparaîtraient. La tour se trouvait à l’écart du centre de commandement et elle était fortement gardée en comparaison du restant du secteur, mais nous avions des plans pour décimer une partie du bétail avant de toucher terre.
Sélection des cibles. (Message de Jane.)
Une surimpression de notre zone de cibles apparut en gros plan dans nos Amicerveaux. Les soldats rraeys et leurs machines brillaient en infrarouge. Sans menace apparente, ils ne protégeaient pas leurs traces de chaleur. Par escadrons, équipes, puis individuellement, les cibles furent sélectionnées et préparées. Chaque fois que possible, nous décidions de frapper les Rraeys et non leur équipement, que nous pourrions utiliser dès que leur sort serait réglé. Les armes ne tuent pas, mais les aliens derrière la détente, si. Sitôt nos cibles établies, nous nous éloignâmes tous un peu les uns des autres. Tout ce qui restait à faire était d’attendre la distance d’un kilomètre.
À un kilomètre, nos derniers robots déployèrent une paravoile manœuvrable, réduisant la vélocité de notre descente avec une brutalité à vous retourner l’estomac, mais nous permettant d’osciller et de filer sans nous percuter. Nos voiles comme notre tenue de combat étaient camouflées contre le noir et la chaleur. À moins de savoir qui chercher, on ne nous verrait pas arriver.
Frappe des cibles. (Envoi du commandant Crick.)
Le silence de notre descente prit fin avec le crépitement déchirant des MF déchargeant une averse de métal. Au sol, soldats rraeys et personnel eurent la tête et les membres arrachés. Leurs compagnons n’eurent qu’une fraction de seconde pour comprendre ce qui se passait avant de connaître le même destin. Quant à moi, je visai trois Rraeys en faction près de la tour de transmission. Les deux premiers tombèrent sans un cri. Le troisième pointa son arme dans le noir, prêt à tirer. Je l’atteignis avant qu’il eût le temps de corriger sa visée. En cinq secondes environ, tous les Rraeys qui étaient dehors et visibles furent abattus. Nous étions encore à plusieurs centaines de mètres d’altitude à ce moment-là.
Des projecteurs s’allumèrent. On les fit exploser aussitôt. Nous tirâmes des roquettes dans les tranchées et les trous de snipers, arrosant ceux qui y étaient installés. Les soldats rraeys, sortant en nombre du centre de commandement et des campements, remontèrent la trajectoire des roquettes et firent feu. Nos soldats s’étaient depuis longtemps écartés et descendaient l’ennemi qui tirait à découvert.
Je sélectionnai un point d’atterrissage près de la tour de transmission et demandai à Fumier de calculer une trajectoire de manœuvre d’évitement pour l’atteindre. À mon arrivée, deux Rraeys jaillirent de la porte d’un baraquement près de la tour et tirèrent vers moi tout en fonçant vers le centre de commandement. Le premier, je l’atteignis à la jambe. Il tomba en hurlant. Le second cessa de tirer et s’enfuit en s’aidant de ses pattes musculeuses, semblables à celles d’un oiseau, pour prendre de la distance. Je demandai à Amicerveau de libérer la paravoile. Elle se désintégra tandis que ses filaments électrostatiques s’effondraient et que les robots se transformaient en poussière inerte. Je franchis les derniers mètres me séparant du sol, effectuai un roulé-boulé, me relevai et visai le Rraey qui s’éloignait à fond de train. Il préférait s’enfuir en ligne droite plutôt que de courir en zigzag pour faire une cible moins facile. Un seul tir et il s’écroula. Derrière moi, l’autre poussait encore des cris perçants, puis, tout à coup, un hoquet abrupt y mit fin. Me retournant, j’avisai Jane, son MF pointé vers le cadavre du Rraey.
Tu me suis. (Envoi de Jane, qui d’un geste me désigna le baraquement.)
Comme nous approchions, deux autres Rraeys bondirent de la porte, tandis qu’un troisième ouvrait le feu de l’intérieur. Jane s’aplatit et riposta pendant que je poursuivais les Rraeys en fuite. Ceux-là détalaient en zigzaguant. Je tuai le premier, mais l’autre m’échappa en glissant sur les fesses du haut d’un talus. Pendant ce temps, Jane en eut marre d’échanger des salves avec le Rraey planqué dans la remise et lança une grenade. Il y eut un piaillement étouffé, puis un violent bruit de chute, suivi de gros morceaux du Rraey s’envolant par la porte.
Nous entrâmes dans le baraquement ; le sol était couvert des restes du Rraey et le local bourré d’électronique. Un scan Amicerveau confirma qu’il s’agissait de matériel rraey. C’était le centre opérationnel de la tour. Jane et moi ressortîmes et bombardâmes la bâtisse de grenades et de roquettes. Elle explosa dans un feu d’artifice. La tour était maintenant déconnectée, même s’il restait encore à s’occuper de l’équipement de transmission proprement dit installé à son sommet.
Jane reçut les rapports de statut de ses chefs d’escadron. La tour et ses environs étaient sous contrôle. Après notre tir initial, les Rraeys n’avaient pu s’organiser à aucun moment. Nous avions quelques blessés légers, aucun mort à signaler. Les autres phases de l’attaque se déroulaient aussi bien. Le combat le plus intense avait lieu dans le centre de commandement, où les soldats progressaient de pièce en pièce en liquidant les Rraeys. Jane envoya deux escadrons en renfort, un troisième pour surveiller les cadavres ennemis et l’équipement dans la tour, enfin deux autres pour établir un périmètre de sécurité.
Et toi, dit-elle par Amicerveau en se tournant vers moi et en désignant la tour, monte là-haut et dis-moi ce qu’on a.
Je levai les yeux : c’était une tour radio traditionnelle. Environ cent cinquante mètres de haut, des parois lisses mais un échafaudage en métal qui fixait ce qui se trouvait au sommet. Jusqu’à présent, c’était la création la plus impressionnante des Rraeys. La tour n’existait pas lorsqu’ils étaient arrivés. Donc ils avaient dû l’installer presque aussitôt. Ce n’était certes qu’une tour radio, mais, d’un autre côté, essayez de construire une tour radio en une journée et dites-m’en des nouvelles. Elle était munie de pointes formant une échelle qui menait jusqu’au sommet. La physiologie et la taille des Rraeys étaient assez proches de celles des humains pour que je puisse m’en servir. Je grimpai.