Je m’agenouillai au-dessus de Jane qui continuait de se contorsionner et avisai l’éclat de roche qui avait pénétré le côté de sa tête. Le Sangmalin coagulait rapidement, mais de petites giclées s’échappaient des bords de la plaie. Je lui parlai. Elle ne répondit pas. J’accédai à son Amicerveau, recevant des échos émotionnels et irréguliers de choc et de douleur. Ses yeux bougeaient sans voir. Elle allait mourir. Je lui serrai la main avec force et m’efforçai de maîtriser la montée affolante de vertige et de déjà-vu.
La contre-attaque s’était déclenchée à l’aube, peu après que nous nous fûmes emparés de la station de repérage, et elle avait été plus que massive. Comprenant que leur système de protection avait été anéanti, les Rraeys avaient riposté avec violence pour récupérer la station. Leur assaut se déroulait au petit bonheur la chance, trahissant leur manque de temps et de préparatifs, mais il reprenait vague par vague. Des transports de troupes se succédaient au-dessus de l’horizon, amenant de nouvelles forces rraeys.
Les soldats des Forces spéciales firent appel à leur mélange particulier de sens tactique et de témérité insensée pour accueillir les premiers de ces vaisseaux de troupes. Des escouades fonçaient au-devant d’eux lors de l’atterrissage, bombardant roquettes et grenades dans les soutes au moment où les portes s’ouvraient. Les Rraeys finirent par s’adjoindre un soutien aérien et les troupes commencèrent de débarquer sans être liquidées à l’instant où elles atterrissaient. Pendant que le gros de nos forces défendait le centre de commandement et le trésor technologique consu qu’il recelait, notre compagnie patrouillait à la périphérie, harcelant les Rraeys et rendant ainsi leur progression beaucoup plus difficile. C’est pourquoi Jane et moi nous trouvions sur l’affleurement rocheux, à plusieurs centaines de mètres du centre.
Juste en contrebas de notre position, un autre groupe de Rraeys commençait de s’avancer vers nous. Il était temps de déguerpir. Je balançai deux roquettes pour les retarder, puis me penchai et installai Jane sur un brancard. Elle gémit, mais impossible de m’en préoccuper. J’avisai un gros rocher que nous avions utilisé à l’aller et m’y élançai. Derrière moi, les Rraeys visèrent. Des projectiles fusèrent ; des débris de rocher m’entaillèrent la figure. Je me glissai derrière le rocher, posai Jane, jetai une grenade vers l’ennemi. Je fonçai alors à découvert, surgis devant les Rraeys, couvrant presque toute la distance en deux longues foulées. Ils se mirent à piailler. Ils ne savaient que faire du bonhomme qui déboulait devant eux. Je basculai mon MF sur tir automatique et les dégommai à bout portant avant qu’ils ne s’organisent. Je retournai auprès de Jane en courant et accédai à son Amicerveau. Toujours là. Toujours vivante.
La tranche suivante de notre parcours allait être ardue. Une centaine de mètres de terrain ouvert s’étendait entre nous et le petit hangar de maintenance où je voulais me réfugier. Les lignes de l’infanterie rraey entouraient ce périmètre. Un avion se dirigeait dans la direction que je voulais prendre, en quête d’humains à liquider. J’accédai à Amicerveau pour localiser la position des soldats de Jane et en trouvai trois non loin de moi : deux au bord du champ à trente mètres et un autre à l’autre bout. Je leur intimai l’ordre de me couvrir, repris le brancard et courus vers la remise.
Un déluge de feu s’abattit sur le terrain. Des mottes de terre sautaient sur moi quand les balles s’enfonçaient là où mes pieds s’étaient posés ou allaient se poser. Je fus touché à la hanche gauche par un tir oblique. Mes jambes se tordirent tandis qu’une douleur cuisante me traversait. J’allais m’offrir au moins un hématome. Je réussis à garder l’équilibre et à continuer de courir. Derrière moi, je percevais le choc des roquettes percutant les positions rraeys. La cavalerie était arrivée.
L’aéronef rraey pivota pour me tirer dessus puis fit un écart afin d’éviter la roquette lancée par l’un de nos soldats. Il réussit cette manœuvre mais sa chance tourna : les deux autres roquettes lancées d’une autre direction le touchèrent. La première s’écrasa sur le moteur, la seconde dans le pare-brise. L’engin piqua, prit de la gîte, mais demeura dans les airs assez longtemps pour être frappé par une dernière roquette, qui se logea dans le pare-brise en miettes et explosa dans le cockpit. L’appareil s’écrasa dans un grondement saccadé tandis que j’atteignais le hangar. Dans mon dos, les Rraeys qui me visaient reportèrent leur attention sur les soldats de Jane, bien plus dangereux que moi. J’ouvris la porte à la volée et me glissai dans le coin réservé aux réparations.
Dans le calme relatif, je vérifiai encore une fois les organes vitaux de Jane. La blessure à la tête était entièrement plâtrée de Sangmalin. Il était impossible de déterminer la gravité des blessures ni la profondeur où les fragments rocheux s’étaient introduits dans le cerveau. Son pouls restait fort mais sa respiration était creuse et irrégulière. C’était là où la surcapacité de transport d’oxygène du Sangmalin allait s’avérer précieuse. Je n’étais plus certain qu’elle allait mourir mais je ne savais pas quoi faire pour la maintenir en vie.
J’accédai à Amicerveau pour connaître les options. Il m’en fournit une : le centre de commandement abritait une petite infirmerie. Le nombre de lits était réduit mais elle possédait une chambre de stase portable. Cela stabiliserait l’état de Jane jusqu’à ce qu’elle puisse regagner un vaisseau et retourner à Phénix pour recevoir des soins médicaux. Du coup, je me souvins qu’elle-même et l’équipage de l’Épervier m’avaient enfermé dans une chambre identique après mon premier atterrissage sur Corail. Il était temps de rendre ce service.
Une salve de projectiles siffla à travers une fenêtre en hauteur. Quelqu’un s’était souvenu de ma présence. Il était de nouveau temps de filer. J’établis mon nouveau point de chute : une tranchée de cinquante mètres construite par les Rraeys devant moi, à présent occupée par les nôtres. Je les prévins de mon arrivée. Pendant que je courais vers eux, ils eurent l’obligeance d’arrêter le tir. Je me trouvais de nouveau derrière nos lignes. Le restant du parcours jusqu’au centre de commandement se déroula sans incident majeur.
J’arrivai juste quand les Rraeys se mirent à balancer des obus contre le centre de commandement. Reprendre leur station de repérage ne les intéressait plus : ils avaient à présent l’intention de la détruire. Je levai les yeux vers le ciel. Même à travers la lumière étincelante du matin, des éclairs scintillants brillaient dans l’azur. La flotte coloniale était arrivée.
Les Rraeys n’allaient pas mettre longtemps à démolir le centre et la technologie cousue avec lui. Je devais agir vite. Je plongeai dans le bâtiment et fonçai à l’infirmerie tandis que tous les autres en sortaient.
Il y avait quelque chose de massif et de compliqué dans l’infirmerie du centre : le système de repérage consu. Dieu seul sait pourquoi les Rraeys avaient décidé de le placer ici. En tout cas, ils l’avaient fait. En conséquence de quoi, l’infirmerie restait l’unique pièce du centre qui n’avait pas été mitraillée. Les Forces spéciales avaient reçu l’ordre de rapporter le dispositif en un seul morceau. Nos gars et nos filles avaient attaqué les Rraeys dans cette infirmerie à la grenade aveuglante et au couteau. Leurs victimes étaient toujours là, étendues, couvertes d’entailles.
Le système de repérage bourdonnait comme avec plaisir, plat et lisse, contre le mur de l’infirmerie. L’unique indice de connexion était un petit moniteur et une broche d’accès à un module de mémoire rraey posée avec négligence sur une table de chevet de malade à côté. L’appareil cousu ignorait que, dans quelques minutes, il ne serait plus qu’un tas de ferraille détruit par le prochain obus des Rraeys. Tout notre boulot pour sécuriser ce maudit gadget allait être réduit à néant.