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Harry fut intégré dans l’équipe chargée de développer les applications pratiques de cette technologie. Il en était ravi. Jesse se plaignait que cela le rendait invivable. Son refrain quant à son niveau insuffisant en maths devint caduc, vu que personne d’autre ne l’avait pour ce boulot. Donnée qui renforça l’idée que les Consus étaient une espèce avec laquelle il ne fallait pas déconner.

Quelques mois après la seconde bataille de Corail, la rumeur circula que les Rraeys étaient revenus dans l’espace consu, les implorant de leur fournir davantage de technologie. Les Consus répondirent en faisant imploser le vaisseau rraey avant de le catapulter dans le trou noir le plus proche. Réaction qui me paraît encore maintenant excessive. Mais ce n’est qu’une rumeur.

Après Corail, les FDC m’attribuèrent une succession d’affectations peinardes. À commencer par la visite quotidienne des colonies au titre de dernier héros des FDC, afin de montrer aux colons comment les Forces de défense coloniales se battent pour VOUS ! Je dus assister à quantité de parades et participer au jury de maints concours de cuisine. Au bout de quelques mois d’exhibition, j’étais prêt à changer de mission, même s’il était agréable de visiter des planètes sans être obligé de tuer leurs habitants.

Après mon poste de relations publiques, les FDC me firent cornaquer les troupeaux sur un nouveau vaisseau de transport de recrues. J’étais devenu le type chargé de s’adresser à un millier de vieillards dans leurs corps tout neufs pour leur ordonner de s’amuser, puis, une semaine plus tard, de leur annoncer que dans dix ans les trois quarts d’entre eux seraient morts. La douceur amère de cette tâche était presque insupportable. Lorsque j’entrais dans le mess du vaisseau, je voyais des groupes d’amis se former et s’unir comme je l’avais fait avec Harry et Jesse, Alan et Maggie, Tom et Susan. Je me demandais combien d’entre eux tiendraient le coup. Tous, j’espérais. Je savais que la majorité échoueraient. Au bout de quelques mois, je demandai une autre assignation. Nul ne trouva rien à redire. Ce n’était pas le genre de poste qu’un militaire a envie d’occuper très longtemps.

En définitive, je demandai à retourner au combat. Ce n’est pas que j’aime me battre, quoique je sois étrangement doué pour cela. Mais il se trouve que, dans cette vie, je suis un soldat. J’en ai accepté le statut. J’avais l’intention de me retirer un jour de l’armée, mais, en attendant, je désirais être au front. On m’attribua une compagnie et on me muta sur le Taos. C’est là où je suis maintenant. C’est un bon vaisseau. Je commande de bons soldats. Dans cette vie, on ne peut guère demander davantage.

N’avoir jamais revu Jane n’est pas si éprouvant. Après tout, ce n’est pas si terrible de ne pas voir quelqu’un. Jane avait pris la première navette pour l’Amarillo. Constatant qu’elle appartenait aux Forces spéciales, le médecin du vaisseau l’avait rangée dans un coin du poste médical afin qu’elle demeure en stase jusqu’au retour sur Phénix et qu’elle soit remise entre les mains des techniciens médicaux dont elle relevait. Je regagnai finalement Phénix sur le Bakersfield. À ce moment-là, Jane était dans les entrailles de l’aile médicale des Forces spéciales et inaccessible à un simple mortel comme moi, tout héros flambant neuf qu’il fût.

Peu après, je fus décoré, promu et affecté à ma tournée promotionnelle des colonies. Finalement, je reçus un message du commandant Crick m’annonçant que Jane s’était rétablie et qu’on l’avait affectée, avec la plupart de l’équipage survivant de l’Épervier, sur un nouveau vaisseau nommé Cerf-Volant. Il ne servait à rien d’essayer de lui envoyer un message. Les Forces spéciales, c’étaient les Brigades fantômes. On n’est pas censé savoir où elles vont, ce qu’elles font ni même qu’elles sont là, devant vous.

Toutefois, je sais qu’elles sont là. Chaque fois que des soldats des Forces spéciales m’aperçoivent, ils m’adressent un ping par Amicerveau : de brèves petites bouffées d’information émotionnelle exprimant le respect. Je suis l’unique vrai-né à avoir servi parmi eux, si brièvement soit-il. J’ai sauvé l’une des leurs et j’ai transformé de justesse une mission vouée à l’échec en succès. Je leur renvoie la pareille, un accusé de réception, mais je n’ajoute rien ouvertement pour ne pas les trahir. Les Forces spéciales préfèrent qu’il en soit ainsi. Je n’ai jamais revu Jane sur Phénix ni ailleurs.

Mais j’ai entendu parler d’elle. Peu après mon affectation sur le Taos, Fumier m’informa que j’avais un message en attente d’un expéditeur anonyme. C’était nouveau. Je n’avais jamais reçu de message anonyme via Amicerveau. Je l’ouvris et découvris l’image d’un champ de blé, d’une ferme dans le lointain et d’un lever de soleil. Peut-être d’un coucher de soleil, mais il me semblait que non. Il me fallut une seconde pour comprendre que cette image faisait office de carte postale. Puis j’entendis sa voix, la voix que j’avais connue toute ma vie de deux femmes différentes.

Tu m’as demandé un jour où les soldats des Forces spéciales allaient quand ils prenaient leur retraite et je t’ai répondu que je n’en savais rien. Aujourd’hui, je le sais. Nous avons un refuge où nous pouvons aller si nous en avons envie et où nous apprenons pour la première fois comment être humain. Le moment venu, je pense que je m’y rendrai. Je pense aussi que j’aimerais que tu m’y rejoignes. Tu n’es pas obligé de venir. Mais, si tu le veux, viens. Tu es des nôtres, tu sais.

J’arrêtai le message un instant pour réfléchir et le remis en marche.

Une partie de moi a jadis été quelqu’un que tu as aimé – disait-elle. Je crois que cette partie-là désire à nouveau être aimée de toi et désire t’aimer aussi. Je ne suis pas cette femme-là. Je ne peux qu’être moi-même. Mais je crois que tu pourrais m’aimer si tu le voulais. Je le veux aussi. Viens me rejoindre dès que tu pourras. Je serai là.

Et voilà.

Je repense au jour où je suis allé pour la dernière fois sur la tombe de ma femme et lui ai tourné le dos sans regret parce que je savais que ce qu’elle était ne se trouvait pas là, sous terre. Je suis entré dans une nouvelle vie et l’ai retrouvée dans une femme qui avait sa propre personnalité. Quand cette vie sera terminée, je lui tournerai le dos sans regret non plus, parce que je sais qu’elle m’attend dans une autre vie, une vie différente.

Je ne l’ai jamais revue, mais je sais que je la reverrai. Bientôt. Très bientôt.