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La proposition d’Ambre fut une nouvelle fois soumise au vote. Elle fut acceptée à l’unanimité moins zéro voix, Bertram ne dormant plus et affichant un sourire énigmatique.

– Je n’irai pas avec toi, Ambre, annonça-t-il.

– Quoi ?

– J’ai une autre idée ! J’ai besoin d’agir seul…

– Mais enfin, explique-toi, Bertram ! le pressa la jeune fille.

– Inutile. Je vous demande simplement de me faire confiance.

Ils le regardèrent tous avec inquiétude et, malgré leurs efforts, ne parvinrent pas à le faire changer d’avis.

Le jeune Sorcier rassembla ses affaires et se hâta de partir, arguant qu’il ne devait pas tarder s’il voulait que son projet ait une chance d’aboutir.

Les Chevaliers s’étaient donc rendus un par un aux Orks de Thunku qui les attendaient au pied du temple où ils avaient tenté de se réfugier. Ils furent désarmés, rudoyés et enchaînés, avant d’être conduits dans les sous-sols de la ville et jetés dans des geôles humides.

– Tout le monde va bien ? s’enquit, une fois les Orks partis, le Commandeur à travers les barreaux de la porte de son cachot où il avait été enfermé avec une dizaine de ses hommes.

Il reçut une réponse positive de toutes les cellules, sauf du cachot jouxtant le sien.

– Valentin est mourant, annonça tristement Qadehar.

Dissimulé sous l’armure turquoise d’un Chevalier, le Sorcier n’avait pas été démasqué, pas même par Thunku lorsqu’il était passé devant lui. Il avait heureusement obtenu des Orks de pouvoir porter le majordome grièvement blessé sur ses épaules, ce qui avait ajouté à son incognito… Les prêtres de Yénibohor, des hommes maigres au crâne rasé, vêtus de blanc, avaient pourtant cherché parmi eux le Sorcier de la Guilde. Il leur avait bien semblé l’apercevoir au cours de la bataille, et ils avaient aussitôt activé des pouvoirs neutralisant la magie des étoiles. Qadehar avait abandonné son manteau de Sorcier dans une anfractuosité de la terrasse, et il ne le regrettait pas ! Les prêtres avaient finalement renoncé, déçus…

Le Commandeur fit l’appel de ses troupes : ils étaient cent vingt Chevaliers survivants, dont une quarantaine de blessés légers, sur les deux cents que comptait la compagnie avant la bataille…

– C’est la défaite la plus cuisante de la Confrérie depuis sa fondation, dit simplement le Commandeur à Ambor, qui était enfermé avec lui.

– Nous avons perdu une bataille, pas la guerre ! s’exclama le fougueux capitaine.

– Peut-être, fit un autre, dubitatif. Mais le problème, c’est que nous ne sommes plus en mesure de la mener, cette guerre !

– Quelles sont nos chances, Commandeur ? demanda une voix depuis un autre cachot.

– Elles sont minces, je ne vous le cache pas, répondit celui-ci. Mais elles existent ! Gérald et Qadwan, les deux Maîtres Sorciers, sont libres et à l’extérieur : je ne doute pas une seconde qu’ils ont déjà décidé d’un plan. A mon avis, ils ont pris la route d’Ys d’où ils ramèneront sûrement du renfort.

Même si elles comportaient beaucoup d’incertitudes, les paroles du Commandeur rassérénèrent les Chevaliers.

XVIII La Balance des Clartés

Guillemot émergea du coma dans lequel il avait sombré après avoir subi le déchaînement des ténèbres, la tête bourdonnante et la gorge brûlante. Il étancha sa soif en buvant goulûment.

Il se sentit mieux. Il constata avec surprise, et soulagement, que les barrières magiques malmenées par l’Ombre avaient repris leur place. L’Armure d’Ægishjamur, renforcée par Odala, le Graphème protecteur des espaces clos, luisait de sa rassurante lumière bleue. Les huit branches de Hagal, la Grande Mère, crépitaient tranquillement de leurs flammes froides et rouges. Enfin, il sentait toujours sous lui, enfoncé profondément dans la pierre, Mannaz, le lien avec les Puissances, l’œuf stellaire qui l’avait définitivement mis à l’abri de son ennemi…

L’Apprenti aurait cru, pourtant, qu’après les assauts de l’Ombre, et compte tenu de l’état de faiblesse dans lequel il se trouvait, ses protections magiques se seraient effondrées. Car c’était bien l’Ônd, le souffle vital, qui chargeait en énergie les Graphèmes à l’origine des sortilèges ! Un Sorcier fort faisait une magie forte, un Sorcier faible, une magie faible. C’était étrange : on aurait dit que les Graphèmes vivaient une existence propre et qu’ils avaient régénéré les sortilèges sans faire appel à lui ! On aurait même dit que les Graphèmes le protégeaient…

Guillemot ne gaspilla pas ses forces à s’étonner ni à chercher une explication : c’était très bien ainsi. Dans son état, il n’aurait pas pu résister à une autre attaque de son implacable adversaire sans l’aide des Graphèmes…

Lorsque l’Ombre pénétra à nouveau dans la pièce, elle marqua un temps de stupeur en découvrant les barrières magiques, manifestement neuves.

– Bien… très bien, mon garçon… J’espère que tu as dépensé beaucoup d’énergie… pour restaurer tes sortilèges…

Il y avait, dans les chuchotements de l’Ombre, quelque chose de presque joyeux qui inquiéta Guillemot, plus encore que la colère qu’elle avait manifesté la dernière fois.

– Je me sens d’attaque aujourd’hui… Une victoire… en appelle une autre… n’est-ce pas, mon garçon…

– Que voulez-vous dire ? demanda Guillemot d’une voix faible, ce qui sembla réjouir son adversaire.

– J’aime voir mourir les fleurs turquoise… dans les champs de poussière…

Les propos de l’Ombre étaient encore plus difficiles à saisir que d’habitude, et l’Apprenti n’insista pas.

– Tu n’aurais pas dû… te donner tout ce mal avec tes barrières… reprit l’Ombre aussitôt. C’est toi bientôt… qui les feras disparaître… pour te jeter dans mes bras…

– Compte dessus ! cria Guillemot d’une voix cassée.

L’Ombre ricana. Elle s’assit contre un mur du cachot, du moins telle fut l’impression de Guillemot ; à cette distance, il la distinguait mal.

– Bavardons un peu, veux-tu… Nous avons tant à nous dire…

La voix caverneuse s’était faite caressante. Guillemot se sentit mal à l’aise.

– Dis-moi, mon garçon… Parle-moi de tes parents… Comment vont-ils ?…

Le cœur de Guillemot battit plus fort.

– Je n’ai rien à vous dire ! Ma vie ne vous regarde pas !

– Mais au contraire, mon garçon… au contraire… Dis-moi… ta mère est-elle toujours aussi jolie ?… La blonde Alicia… à la peau si douce…

Guillemot ouvrit la bouche de stupéfaction. Comment… comment savait-il ? Et que signifiaient ces allusions ?

– Taisez-vous ! hurla-t-il.

La voix de l’Ombre s’adoucit encore.

– J’ai tous les droits, mon garçon… Surtout celui de te parler de ta mère…

– Non ! Pas de ma mère !

Dans la tête de Guillemot, les pensées se bousculaient, s’entrechoquaient. Lui échappaient. Il avait l’impression qu’une main aux ongles acérés s’était introduite dans sa poitrine et s’amusait à lui griffer le cœur.

– Parlons de ton père, alors…

– De mon père ? Pourquoi de mon père ?

Guillemot se sentait près de fondre en larmes.

– Pourquoi… Tu me demandes pourquoi… Mais enfin, mon garçon… Parce que ton père, que tu n’as jamais connu… ton père que l’on t’a caché depuis que tu es né… celui qui a aimé ta mère Alicia… ton père, Guillemot… C’EST MOI…

– NOOON ! NOOON !

L’Apprenti Sorcier se prit la tête entre les mains, et hurla. Il devenait fou. Son père, ce monstre, ce démon ! C’était impossible ! Il ne voulait pas le croire. Il ne devait pas le croire !