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– Les tribus du Peuple de la Mer vivent sur la mer qui est salée, mais boivent de l’eau douce. Et il n’y a le long des côtes que trois sources où elles peuvent venir se ravitailler sans craindre l’attaque des Gommons. Je le sais, mon amie Matsi me les a montrées, sur une sorte de carte ! Si nous attendons ici, nous rencontrerons fatalement des gens du Peuple de la Mer…

Romaric était impressionné.

– Combien de temps, à ton avis, faudra-t-il attendre ?

Coralie réfléchit.

– Il y a trente tribus. Elles peuvent tenir environ trois semaines avec le plein d’eau douce. Elles ne vont jamais aux sources ensemble. Tu imagines l’embouteillage, avec leur vingtaine de radeaux par tribu ? Avec trois sources, donc… Disons que l’on ne devrait pas attendre trop longtemps ! Il suffira de demander aux premiers qui viendront de nous prendre à bord et de nous conduire à la Sixième Tribu, celle de Wal et Matsi !

Le garçon ne trouva rien à répondre. Pourquoi est-ce que Coralie se révélait toujours une fille exceptionnelle quand ils n’étaient que tous les deux ? Il aimerait tant pouvoir savourer sa fierté devant les autres !

Ils dénichèrent à l’aplomb de la source, entre deux rochers, un recoin suffisamment grand pour les abriter du vent, et qui offrait, de surcroît, une vue dégagée sur la mer. Ils s’y installèrent.

– Je peux me mettre contre toi ? Ce sera plus confortable pour tous les deux…

Sans attendre sa réponse, Coralie se blottit contre la poitrine de Romaric. Celui-ci resta un moment interdit, puis l’entoura finalement de ses bras. Elle soupira d’aise.

– Ça va ? demanda-t-il après avoir soufflé sur les cheveux sombres qui lui chatouillaient la figure.

Il reçut en réponse un oui qui le fit frissonner des pieds à la tête. Il s’enhardit et posa sur les mêmes cheveux qui revenaient lui caresser la joue un baiser furtif qu’elle ne sentirait jamais. Puis il la serra plus fort dans ses bras.

Le soir amena la fraîcheur. Ils déroulèrent leurs duvets, qu’ils avaient pris en même temps que les provisions chez les parents d’Agathe, et s’y glissèrent tout habillés.

– Tu penses que le Peuple de la Mer pourra faire quelque chose pour Guillemot ?

– Je ne sais pas, avoua Coralie. Mais ils détestent les prêtres de Yénibohor qui enlevaient autrefois leurs enfants. Ils seront sans doute heureux de nous aider.

– Ils ont quand même une drôle de vie, continua Romaric, qui se sentait exceptionnellement bavard. Passer son temps sur des radeaux, à éviter les méduses Brûleuses en mer et les Gommons près des côtes !

– Tu sais, avant, il n’y avait pas de Gommons dans le Monde Incertain, répondit Coralie en se mordillant les lèvres. C’est nous qui les leur avons envoyés ! Quand la Confrérie les a chassés d’Ys, à la fin du Moyen Age… Autrefois, le Peuple de la Mer vivait dans des villages, sur la côte, comme les pêcheurs qui nous ont hébergés sur l’île du Milieu. Après, ils n’ont pas eu le choix : c’était vivre sur la mer ou mourir sur la terre…

– C’est terrible ! comprit Romaric, subitement grave. Je suis sûr que personne à Ys ne sait que nous sommes responsables de ce malheur !

– Au début, j’ai réagi comme toi. Mais Wal, le Gardien des Objets, et Matsi, sa fille, m’ont fait voir les choses différemment… En fait, le destin ne s’est pas acharné contre eux : il leur est seulement clairement apparu et il leur a montré deux chemins possibles ! En choisissant le plus difficile, ils ont accepté de voir leur monde avec un œil neuf. Les Brûleuses, qui règnent sur la Mer des Brûlures, étaient leurs ennemies lorsqu’ils étaient pêcheurs ; elles sont devenues leurs protectrices. Les Gommons, en les tenant éloignés des côtes, les ont préservés du danger des autres hommes ! Aujourd’hui ils n’ont pas besoin de travailler, ils ne dépendent d’aucun maître, ils vont et viennent à leur guise ! Tu vois, ils ont su transformer ce qui était au départ une contrainte en liberté…

Le discours enflammé de Coralie laissa Romaric songeur. Ses propres repères provenaient du Pays d’Ys, et il était stupéfait de voir son amie si bien comprendre des gens tellement différents…

– On devrait peut-être établir des tours de garde, lui suggéra Romaric alors qu’elle s’apprêtait à se pelotonner encore contre lui. Si tes amis viennent cette nuit, on risque de les rater !

– Tu as raison, approuva-t-elle. Alors tu commences…

Romaric referma une nouvelle fois ses bras autour d’elle et sourit. Les veilles sur les remparts de Bromotul étaient quand même beaucoup moins agréables qu’ici !

XX La Route des Marchands

Gontrand et Agathe avaient quitté les Collines Grises en même temps que leurs compagnons. Ils avaient immédiatement pris la direction du sud-ouest, au grand étonnement d’Agathe, car elle s’était laissé dire que le géant Tofann habitait les steppes du Nord Incertain. Gontrand lui avait expliqué qu’il avait longuement réfléchi à la question, et qu’il était arrivé aux deux conclusions suivantes : le Tofann qu’il connaissait aimait bien trop le danger et les batailles pour s’embêter sagement dans une steppe, et le Nord Incertain était de toute façon beaucoup trop loin pour faire le trajet en six jours seulement ! Le garçon pensait donc plus raisonnable, et plus intelligent, de rejoindre la route reliant Virdu à Ferghânâ, et de se renseigner, auprès des marchands qu’ils y rencontreraient, au sujet des mercenaires pouvant ressembler à Tofann…

Agathe n’avait rien trouvé à redire au plan de Gontrand, et ils avaient cheminé ainsi jusqu’à atteindre, dans la soirée, la Route des Marchands.

Ce n’était en fait qu’un large chemin de terre, pavé par endroits, souvenir de temps plus fastes où elle était entretenue. Des ornières profondes indiquaient qu’elle restait malgré tout très fréquentée, et pour cause : elle reliait Virdu, la cité des Petits Hommes qui extrayaient de leurs mines les pierres précieuses servant de monnaie dans le Monde Incertain, et Ferghânâ, la principale ville commerçante. Autrefois, la route se prolongeait d’un côté jusqu’à Djaghataël – aujourd’hui à l’abandon -, et de l’autre jusqu’à Yâdigâr, l’actuel repaire des pires brigands de cette terre.

Gontrand et Agathe repérèrent un bosquet d’arbres rabougris, proche de la route, et décidèrent de s’y installer, dans l’attente du passage de marchands susceptibles de les mettre sur la piste de Tofann. Si jamais il s’agissait de voleurs, il suffirait aux jeunes gens de rester cachés derrière les arbres…

– Cette marche m’a épuisée !

– Tu n’es pas la seule. J’ai cru qu’on n’y arriverait jamais…

– C’est dingue quand même, la vie, continua Agathe en étalant avec précaution son duvet sur le sol. Si on m’avait dit, il y a une semaine, que je dormirais au bord d’une route infestée de bandits, dans l’attente d’un beau guerrier barbare, à côté d’un garçon que je connais à peine !

– Tu exagères, répondit Gontrand. On commence à se connaître, depuis le temps ! Rappelle-toi : on s’est rencontrés pour la première fois dans le palais de Thunku…

– Je n’étais pas à mon avantage ! l’interrompit Agathe, amusée, en entrant dans son jeu. Toute sale, couverte de chaînes…

– Peut-être mais, pour une fois, quelqu’un était heureux de nous voir débarquer là où on ne nous attendait pas !

Ils éclatèrent de rire.

– La deuxième fois, reprit Gontrand, c’était à Dashtikazar, pour la Samain. Je dansais avec une fille, que j’ai dû laisser tomber pour te courir après sur la lande.

– Tu le regrettes ?

– Disons que… on ne s’est pas trop mal amusés, chez les Korrigans !

– Tu appelles ça t’amuser ? Remarque, en y réfléchissant… il y a eu des moments assez comiques, c’est vrai. Quand Bertram a essayé de faire de la magie, par exemple : la tête qu’il a faite quand il s’est rendu compte que ça ne marchait pas !