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– Il posait aussi des devinettes, ce sphinx-là ? Deux peut-être, puisqu’il avait deux têtes !

– Je ne sais pas. Il faudrait le demander à ceux qu’il a mangés.

Ambre se tut soudain. Elle avait prononcé sans faire attention le nom de Guillemot, et cela avait suffi à lui faire mal. Ils continuèrent de marcher en silence.

– Il te manque beaucoup ? demanda Thomas qui avait vu le visage de sa nouvelle amie s’assombrir.

– Qui ça ?

– Ben… Guillemot, pardi !

– Bien sûr qu’il me manque, lui confia Ambre après un moment d’hésitation. A un point incroyable, que j’ai du mal à m’expliquer. Tu vois, quand il n’est pas avec moi, j’ai l’impression que plus rien n’a d’intérêt, ni d’importance. C’est horrible… Est-ce qu’il ressent ça, lui aussi ?

– Oh, certainement.

– Tu en es sûr ? Comment peux-tu le savoir ? Il t’a fait des confidences ?

– Il ne m’a rien dit, tenta maladroitement de se justifier Thomas, mais il y a des choses que les filles voient et que les garçons ne voient pas, et d’autres que les garçons voient et que les filles ne voient pas. Je suis un garçon. Et je peux te dire que j’ai bien vu comment Guillemot te regardait…

– C’est très gentil, Thomas, de me dire ça, murmura Ambre, émue, avant de se plonger dans une longue rêverie.

Ils parvinrent un peu plus tard à la limite du Désert Vorace. La prairie s’arrêtait net, comme la terre s’arrête devant la mer. A perte de vue, c’était du sable, du sable frémissant, qui semblait attendre…

– Brrr ! fit Ambre en frissonnant. Quand tu penses que ce désert t’avale et te mange si tu as le malheur d’y mettre le pied !

– Qu’est-ce qu’on va faire ?

– Guillemot m’a expliqué que les Hommes des Sables communiquaient entre eux avec de la fumée.

– Comme les Indiens du Monde Certain ?

– Oui.

– Et tu connais leurs signaux, aux Hommes des Sables ?

– Non. Mais je pense qu’un simple feu, s’ils l’aperçoivent, suffira à les intriguer, et à les attirer ici.

Ils se mirent vainement en quête de branches, et se rabattirent sur des herbes sèches qu’ils entassèrent.

– C’est même mieux que du bois, déclara Ambre avec satisfaction et en craquant une allumette sous le premier tas. L’herbe fait davantage de fumée !

En effet, celle-ci se consuma aussitôt en dégageant une épaisse fumée qui les obligea à reculer.

– J’espère que ce sont bien les Hommes des Sables qui vont venir, dit Thomas, et pas des Orks ni des brigands !

– Avec leurs raquettes de pierre, les Hommes des Sables sont les seuls capables de traverser le Désert Vorace, le rassura Ambre. Et puis, si des Orks se pointent, tu leur feras passer un sale quart d’heure, pas vrai ?

L’allusion d’Ambre à son acte de bravoure dans la forêt de Troïl fit naître un sourire sur les lèvres du garçon.

– Je ne sais pas mais, ce qui est sûr, c’est que je défendrai chèrement nos vies !

– Je n’en doute pas une seconde, Thomas…

Ils se turent et s’appliquèrent à entretenir le feu d’herbes sèches.

« Je vous en supplie, lança silencieusement Ambre en direction du Désert Vorace, venez ! Guillemot a besoin de vous ! Et nous avons si peu de temps… »

XXII La Tortue-Monde

Curieusement, il semblait à Guillemot qu’au fil des heures, peut-être même des jours – la notion du temps lui échappait désormais totalement ! – il était moins fatigué qu’au début de son emprisonnement. Pourtant, il n’avait toujours pas mangé, et le broc d’eau était presque vide.

En fait, il ne buvait plus depuis longtemps. Il n’avait pas soif. Une sensation de bien-être l’avait envahi lorsque Kénaz, le Graphème du feu qui réchauffe, Ingwaz la Riche, qui aidait à concentrer les énergies, et Laukaz, le fluide vital, s’étaient allumés à l’intérieur de lui. Le garçon en était certain maintenant : les Graphèmes l’avaient pris en charge, et se comportaient comme autant de présences autonomes et bienveillantes.

Maître Qadehar lui avait dit, un jour, à propos du Grand Mage Charfalaq, qu’il arrivait que le corps ne nourrisse plus la magie mais que la magie nourrisse le corps. Cela était en train de lui arriver…

Aussi l’Ombre marqua-t-elle un nouveau temps d’arrêt quand elle pénétra pour la quatrième fois dans la pièce obscure.

– C’est impressionnant… très impressionnant… Tu devrais te tordre de faim et de soif… ramper sur le sol… et me supplier de mettre un terme à ton tourment… Au lieu de cela… je te trouve en éveil… calme et sûr de toi…

Guillemot ne répondit pas. Il était à l’abri derrière l’Armure d’Ægishjamur et d’Odala, rassuré par le crépitement de Hagal et la présence sous lui, dans la pierre, de l’œuf cosmique de Mannaz. Teiwaz bloquait l’accès à son esprit de toute magie extérieure et insidieuse, et Ingwaz, Kénaz et Laukaz le maintenaient en vie. L’Ombre ne pouvait plus l’atteindre. Et elle le savait !

– En vérité, mon garçon… tu m’exaspères et me ravis en même temps… Je n’ai qu’une envie… celle de te détruire… et pourtant je ne peux m’empêcher de t’admirer... Tu m’obliges à aller chercher ce qu’il y a de plus fort en moi… et je t’aime pour cela… oui, je t’aime…

L’Ombre s’anima autour du mur d’énergie.

– J’ai cherché dans mes grimoires… un moyen de t’abattre… Et j’ai trouvé la solution… Une solution vieille comme le monde… vieille comme ce monde…

L’attention de Guillemot fut attirée par un objet étrange, à proximité de l’Armure d’Ægishjamur. Il s’efforça de mieux voir. C’était en réalité trois objets que l’Ombre avait disposés par terre : un aigle en bois, les ailes dressées au-dessus de la tête et le bec menaçant, une tortue de terre cuite, figée dans une posture de souffrance, et un disque de pierre reposant sur la tranche, couvert de signes impossibles à distinguer. L’Apprenti s’étonna. Que signifiait tout cela ?

– Je vais te laisser… avec une nouvelle amie… Je serais bien resté mais… je crains qu’elle ne s’en prenne aussi à moi…

L’Ombre ricana et s’approcha de la porte. Au moment de quitter la pièce, elle lança quelques mots, âpres et durs, d’une sonorité qui n’était pas humaine. Instinctivement, Guillemot se tourna vers les objets.

Le premier à s’animer fut le disque. Il avait la taille d’une petite assiette et l’épaisseur d’une grosse galette. Et il frémissait. Guillemot plissa les yeux. Encore une fois, il s’était trompé : ce n’était pas le disque qui bougeait, mais les signes qui y étaient gravés ! A sa grande stupéfaction, les signes se laissèrent tomber sur le sol et avancèrent vers l’Armure en colonne, comme des fourmis. Butant contre le mur magique, les signes-fourmis s’agglutinèrent et se mirent à le ronger… Guillemot n’en croyait pas ses yeux. Un trou se forma rapidement à la base de l’Armure, et l’aigle en bois prit vie.

Il était haut d’une quinzaine de centimètres, et poussa son premier cri perçant en étirant ses ailes, comme s’il était resté figé pendant une éternité. Il s’approcha sur ses pattes du trou creusé dans l’Armure par les signes-four-mis et franchit l’obstacle. Comme il l’avait fait lorsque l’Ombre avait forcé la première barrière, le Graphème de Hagal se nimba d’un halo rougeâtre et mit Guillemot à l’abri d’un deuxième mur d’énergie. L’aigle en bois prit alors son envol et se percha dessus. Il poussa un autre cri et commença à donner de puissants coups de bec sur le sortilège. Guillemot frissonna et se recroquevilla, les bras autour des genoux. Il vit la protection magique se lézarder et s’effondrer comme une paroi de cristal, dans un vacarme de verre brisé. C’est alors que la tortue se réveilla…