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Agathe l’observa attentivement mais ne put savoir s’il plaisantait ou non. Dans le doute, elle se décida.

De toute façon, elle n’avait jamais fui devant aucune épreuve !

Elle demanda à Gontrand de bien vouloir l’accompagner à la cithare, s’éclaircit la gorge, puis se lança dans un chant triste et mélancolique, bien connu au Pays d’Ys.

– Celles qui vont au bois, c’est la mère et la fille. La fille va soupirant : qu’avez-vous Marguerite ? Je suis fille le jour, et la nuit blanche biche…

La voix d’Agathe, un peu grave, était juste et poignante, et Gontrand fut agréablement surpris. Décidément, cette fille était étonnante ! A la fin de la chanson, les hommes des steppes applaudirent avec enthousiasme.

Ils ne furent pas les seuls :

– Bravo, Agathe !

– Oui, c’était génial !

Tous se retournèrent d’un même élan vers ceux qui surgissaient de l’ombre.

– Romaric ! Coralie !

Gontrand, abandonnant la cithare sur le sol, se précipita au-devant de ses amis.

Romaric et Coralie avaient attendu longuement, au-dessus de la source qui coulait dans la mer, à l’abri du vent dans les rochers, la venue d’une Tribu du Peuple de la Mer en manque d’eau douce. Ce furent finalement les radeaux de la Quatrième Tribu qui s’étaient approchés des falaises, après deux jours d’attente, deux jours qui leur avaient paru durer moins de deux heures, tant ils avaient trouvé de choses à se dire. Le Peuple de la Mer avait été si discret qu’ils avaient failli le laisser repartir sans l’avoir vu. Heureusement, un cri d’enfant avait attiré leur attention et les avait poussés hors de leur abri, jusqu’à l’aplomb de la source, où ils avaient découvert les grands radeaux.

Coralie, les mains en porte-voix, s’était adressée candidement aux hommes et aux femmes sidérés de les voir apparaître au-dessus de leurs têtes. Heureusement, l’épisode du séjour de la jeune étrangère auprès de Wal et de Matsi avait fait le tour des Tribus, et des sourires bienveillants avaient aussitôt remplacé l’expression de surprise et de peur sur leurs visages.

Tous avaient le corps presque nu et hâlé, les cheveux décolorés par le soleil et le sel ; une membrane blanche sur les yeux, qui leur donnait un aspect vitreux, leur permettait de voir sous l’eau.

Le guide des radeaux, celui qui avait la responsabilité de conduire la Tribu sur la Mer des Brûlures au milieu des courants et des Méduses, lui apprit que la Sixième Tribu se trouvait loin d’ici. Coralie demanda s’il était possible de transmettre un message à Wal. Le temps avait passé trop vite et il n’était plus question de se faire conduire jusqu’à lui… On répondit à la jeune fille que, sitôt les citernes remplies, la Quatrième Tribu se ferait un devoir de partir à sa recherche pour lui transmettre son message. Elle expliqua donc la situation, et Romaric suggéra que, si la Sixième Tribu acceptait de leur venir en aide, elle pourrait se rendre directement dans l’une des criques qui s’ouvraient au pied des Collines Grises tombant dans la mer. C’était là en effet que les jeunes gens s’étaient donné rendez-vous avec leurs amis… Romaric et Coralie avaient senti le Peuple de la Mer troublé par leurs révélations au sujet de Yénibohor, des prêtres, et de Guillemot. Le guide de la Tribu leur avait promis de faire diligence pour livrer leur message. Puis, ayant constaté qu’ils ne pouvaient rien faire de plus, Coralie et Romaric avaient décidé de prendre le chemin des Collines Grises, sans se presser…

– Deux jours entiers pour venir jusqu’ici depuis votre source, lança Gontrand à Romaric, avec un clin d’œil. Vous deviez être sacrément fatigués !

– On a pris notre temps, c’est vrai, répondit-il avec un sourire gêné. Mais on a fait vite à l’aller, et Coralie a pensé que mieux valait économiser nos forces pour le retour, compte tenu de tout ce qui nous attendait…

– Ne te justifie pas, Romaric, dit Coralie en toisant Gontrand de haut. Que ce monsieur nous explique plutôt le sourire niais et ravi qu’il arborait pendant qu’Agathe chantait !

– Oh ! oh ! intervint Tofann en riant. Par les esprits de la steppe, on se croirait à Ferghânâ un jour de marché !

Gontrand gratifia son ami d’un sourire reconnaissant, et Coralie prit la main du géant d’un geste affectueux. Ils rejoignirent les autres près du feu. Les présentations furent faites, les récits échangés et la veillée reprit sa tonalité festive. Tofann sortit de son bagage un tambour de peau tendue sur un cercle de bois, et les guerriers entonnèrent un chant âpre et sauvage, qui clamait la rudesse et la beauté de leur steppe natale.

XXIV Les Collines Grises

Dans la clairière du Bois des Pendus, Qadwan veillait toujours près des braises rougeoyantes du feu. Le soleil se levait doucement, et peinait à défaire les lambeaux de brume accrochés aux arbres.

Yorwan et Gérald apparurent enfin, accompagnés d’un personnage mystérieux enveloppé dans une peau d’ours.

Le vieux Sorcier, heureux de pouvoir enfin dégourdir ses membres ankylosés, donna une accolade fraternelle à Gérald, serra chaleureusement la main de Yorwan, et fit un signe de bienvenue à la silhouette restée à l’écart.

– Nous avons bien travaillé, annonça Gérald d’un ton satisfait. Le chef de la Société de l’Ours a accepté de nous apporter son aide !

Qadwan tourna un regard intrigué vers le personnage qui restait en retrait.

– Approchons-nous du feu, proposa le vieux Sorcier en s’adressant ostensiblement à lui : il fait toujours froid, à l’aube ! Et puis nous serons mieux pour discuter et faire connaissance !

– C’est une bonne idée, en effet, reconnut l’invité mystérieux, d’une voix douce et ferme à la fois.

Il s’approcha et ôta de sa tête le crâne d’ours qui le coiffait. Son geste libéra une longue chevelure et découvrit un beau visage de femme, éclairé par de grands yeux verts.

– Qadwan, annonça Gérald à son ami éberlué, je te présente Kushumaï la Chasseresse, chef de la Société de l’Ours et de la résistance contre Yénibohor…

Il faisait maintenant complètement jour, mais le froid restait vif. Yorwan, drapé dans son large manteau rouge, paraissait soucieux.

– Quelque chose ne va pas ?

– Je sens une présence.

– Une présence… de quelle nature ? s’inquiéta Gérald. Des prêtres, des Orks ? L’Ombre ?

– Non, non, rien de tout cela, le rassura Yorwan.

– Est-ce qu’il s’agit des renforts que nous attendons ? demanda Kushumaï en s’approchant.

– Non. C’est justement bien ce qui m’intrigue ! Je viens de lancer un sortilège d’investigation, pour localiser les gens de l’Ours qui tardent à arriver. En fait de renforts, le sortilège m’a rapporté la présence d’un petit groupe, étrange et hétéroclite, tout proche…

– Peux-tu déterminer où se trouve ce groupe ?

– Oui. Il se trouve… dans les collines, qui sont à l’est du Bois des Pendus.

– Bon, allons-y, dit simplement la Chasseresse en ajustant son épée autour de sa taille. Si c’est une menace, il faut nous en assurer. Et puis bouger nous réchauffera, en attendant nos hommes !

– Alors, Romaric ? Tu vois quelque chose ?

– Rien du tout ! Pourtant, la vue porte loin depuis ces collines ! Si Bertram ou Ambre se montrait, je les verrais tout de suite !

– J’espère qu’il ne leur est rien arrivé, murmura douloureusement Coralie.

– Allons, dit Romaric d’une voix douce en prenant la jeune fille dans ses bras. Nous avons déjà réchappé à tant de choses ! Il n’y a pas de raison pour que ce soit différent cette fois… Tu verras, ta sœur sera bientôt là, et aussi ce grand idiot de Bertram !

Coralie se força à sourire et abandonna sa tête contre la poitrine de son compagnon. Gontrand s’approcha d’eux.