Выбрать главу

Bertram resta avec ses amis, qui lui firent à leur tour le récit de ce qui s’était passé les jours précédents. Ils assouvirent sa curiosité au sujet de Kushumaï et du Seigneur Sha. Ils le mirent au courant de l’absence d’Ambre et de Thomas, ainsi que des derniers rebondissements, sans toutefois lui avouer leur projet de fronde.

– C’est bien fâcheux que vous soyez consignés dans ces collines, dit Bertram en marquant, par un froncement de sourcils et un ton assuré, son appartenance au monde des adultes. Ma foi, je penserai bien à vous lorsque je serai dans le tourbillon de l’action, entre deux affrontements avec les Orks et deux passes magiques contre les prêtres ! D’ailleurs, conclut-il en apercevant Gérald venir dans sa direction, on vient me chercher : soyez sages ! Je tâcherai quant à moi de vous faire honneur !

– Bertram ?

– J’arrive, Gérald. Adieu, mes amis, adieu…

– Bertram, annonça Gérald d’un ton ennuyé. Il faut quelqu’un pour surveiller… pour protéger tes amis. Qadwan va mieux. Il a davantage d’expérience, il nous sera plus utile que toi devant Yénibohor.

– Quoi ? rugit Bertram. Mais Qadwan est gâteux, il va vous encombrer ! Gérald, tu ne peux pas me faire ça… S’il te plaît !

– Ça suffit, ma décision est prise, dit le Sorcier d’un ton qui n’admettait plus de réplique. Tâche seulement de veiller sur ces jeunes gens un peu mieux qu’à Ys !

Bertram le regarda s’éloigner, abasourdi et effondré. Gérald alla rejoindre Kushumaï, Qadwan, Yorwan et les magiciens Korrigans. L’armée des Collines se préparait à prendre la route.

– Allons, Bertram, le consola Gontrand, goguenard, ce n’est pas grave ! Quand tu seras grand, tout ça changera…

– Très drôle ! Quand je pense, gémit-il, à tout ce que j’ai fait pour eux ! Ils n’ont pas le droit de me laisser à l’écart. J’ai mérité de participer à la bataille !

– C’est ce que nous pensons tous, approuva Romaric en posant une main sur l’épaule du jeune Sorcier. D’ailleurs, nous avons un plan.

– Un plan ? Ne me dis pas que vous comptez à nouveau désobéir à Gérald et que… Oh non !

– Eh si, Bertram, eh si !

XXVIII L’eau et l’air

L’approche de l’armée des Collines provoqua une effervescence dans la cité de Yénibohor, effervescence visible jusque sur les remparts où des Orks lourdement armés couraient prendre position. Kushumaï donna des ordres ; ses hommes arrêtèrent leur progression et restèrent hors de portée des tirs d’arc éventuels, en face de la porte d’entrée qui était solidement fermée et semblait capable de résister à tous les assauts.

– Il ne nous reste qu’à attendre, annonça Kushumaï à Gérald, Yorwan et Qadwan, ainsi qu’à Tofann, au Chasseur, au Luthier et à l’Archer venus aux nouvelles. Et surtout, à espérer que le Peuple de la Mer réussisse !

L’une des particularités de la ville résidait dans le cours d’eau qui la traversait de part en part pour se jeter dans la Mer des Brûlures. Canalisé sur tout son trajet dans la cité, il servait à de multiples usages quotidiens et y apportait la seule touche de fraîcheur. Le Fleuve Mouillé entrait donc et ressortait de Yénibohor en se glissant sous les remparts, par une voûte munie de grilles. Les eaux du fleuve et celles de la mer abritaient en effet des poissons carnassiers énormes, qu’il aurait été désagréable de rencontrer au cours de ses ablutions !

Ousnak, un chasseur d’exception qui avait été désigné par l’ensemble des Tribus pour prendre la tête de l’étrange expédition, arrêta un instant sa nage sous-marine et se retourna. Ses longs cheveux blancs flottèrent un instant tout autour de sa tête. La centaine d’hommes que le Peuple de la Mer avait dépêchés à la rescousse de l’armée des Collines le suivaient en groupe compact, avec une parfaite maîtrise de la nage sous l’eau. Ils venaient de prendre une dernière provision d’air et savaient qu’ils pouvaient tenir de longues minutes en économisant leurs gestes. Rassuré, Ousnak reprit sa progression.

Il aperçut bientôt la grille qui empêchait les monstres de la mer de remonter le fleuve jusque dans la cité. Grâce à la membrane qui protégeait ses yeux, à la façon d’un masque de plongée, il distinguait les moindres détails de ce qui l’entourait. Ainsi il repéra le barreau de métal rongé par la rouille, tout en bas, au contact du sol couvert d’algues, qui allait leur permettre d’entrer. Ousnak fit un geste : trois hommes vinrent l’aider à tordre la barre rouillée. Ils se glissèrent ensuite l’un après l’autre par l’ouverture ainsi ménagée. Remontant prudemment à la surface, ils emplirent de nouveau leurs poumons et replongèrent au fond de l’eau. En sortant la tête pour respirer, ils avaient pu se rendre compte que l’attention des Orks et des prêtres était entièrement tournée vers la plaine où se tenaient les assaillants. Kushumaï avait raison ! Le commando qui réussirait à pénétrer dans la cité était assuré de prendre les défenseurs au dépourvu.

Ousnak vérifia que le couteau, qui lui servait en temps ordinaire à fouiller dans la chair des poissons qu’il péchait, était toujours dans la ceinture de son pagne. Il se donna du courage en le caressant, et fit signe d’avancer. Ils parvinrent ainsi au large pont qui prolongeait la porte principale et s’abritèrent dessous. La porte, à quelques dizaines de mètres, était seulement gardée par deux Orks. Les autres s’étaient positionnés sur les remparts… Cette confiance n’était guère étonnante quand on considérait l’énorme poutre qui bloquait les deux battants métalliques.

– Nous allons nous diviser en trois groupes, chuchota Ousnak. Un qui neutralisera les monstres, le deuxième qui ouvrira la porte et le troisième qui couvrira notre retraite…

Les Hommes de la Mer prirent silencieusement pied sur la berge. Ousnak extirpa de sa large ceinture un objet que Kushumaï lui avait confié lorsqu’elle était venue les voir, la veille, sur leurs radeaux, pour leur faire part de son plan d’attaque. Il défit les bandages étanches qui le protégeaient et pointa le tube de métal vers le ciel. Comme le lui avait expliqué la femme aux yeux verts, il pressa un bouton. Aussitôt, une boule de feu jaillit vers le ciel et explosa sans bruit dans une intense et brève lumière bleue.

– Le signal ! s’exclama Kushumaï de l’autre côté des murailles, qui guettait le ciel avec inquiétude depuis un moment. Ils ont réussi ! Ils vont essayer d’ouvrir la porte. Tenez-vous prêts !

A l’intérieur de la cité, le premier groupe d’Hommes de la Mer, immédiatement suivi du deuxième, s’élança en direction des Orks, tandis que le troisième se déploya entre la porte et le pont. Les Orks furent tellement surpris de voir des hommes presque nus surgir de nulle part en brandissant de simples couteaux qu’ils ne se défendirent pas aussi bien que d’habitude. Le premier succomba rapidement. Mais l’autre se ressaisit, envoya deux hommes à terre et hurla pour appeler à la rescousse ses congénères. Trop tard : la poutre avait été enlevée et les panneaux s’ouvraient en grand.

– A l’attaque ! exulta Kushumaï. A l’attaque !

Paysans de l’Ouest, brigands. Chasseurs et guerriers du Nord se ruèrent tous en avant.

Pendant ce temps, les hommes d’Ousnak qui étaient enfin venus à bout du deuxième Ork, se replièrent vers la rivière en emportant les corps des deux malheureux que le monstre avait tués.

– On ne s’en sort pas trop mal, commenta Wal, le père de Matsi, en se tenant le bras qui était marqué d’une estafilade sanguinolente.

– Oui, acquiesça Ousnak. Mais nous n’avons plus rien à faire ici. Le Peuple de la Mer a tenu ses engagements : aux autres d’accomplir leur part. Nous ne sommes pas des guerriers…

Les hommes aux cheveux blancs plongèrent en silence dans le fleuve et reprirent le chemin de la mer.