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XXXI Où l’on parle à nouveau des Chevaliers…

Le vacarme de la bataille n’avait pas échappé aux Chevaliers prisonniers dans les sous-sols de Yénibohor. Certains firent la courte échelle à d’autres, qui essayèrent de voir ce qui se passait en regardant par les soupiraux donnant sur la rue.

– On ne voit rien, dit Ambor que le Commandeur avait hissé sur ses épaules.

– Le bruit semble provenir de l’entrée de la ville, ajouta Qadehar, monté sur les épaules d’Urien, dans le cachot voisin. A mon avis, poursuivit-il avec un soupçon d’espoir dans la voix, ce sont les renforts que Gérald et Qadwan ont ramenés d’Ys !

Des exclamations enjouées retentirent d’un bout à l’autre du couloir séparant les deux rangées de cellules.

– Si Maître Qadehar dit vrai, annonça le Commandeur de sa voix forte, il faut nous tenir prêts : nos compagnons chercheront à nous libérer !

Mais la recommandation du chef de la Confrérie était inutile : les Chevaliers, frémissants, étaient tous debout, et ils attendaient leurs sauveurs avec une espérance et une vigueur retrouvées.

Un brouhaha accompagné de cris étouffés se fit bientôt entendre du côté de la salle où résidaient les gardiens. Les Chevaliers, qui s’attendaient à voir d’autres Chevaliers ramenés d’Ys par Gérald, restèrent bouche bée quand ils découvrirent, déboulant dans le couloir, des hommes habillés d’une étrange armure violette et coiffés de casques surmontés d’un crâne d’animal. Leur stupéfaction fut à son comble quand ces hommes, en ouvrant les grilles des cachots à l’aide des clés arrachées aux gardes, s’adressèrent à eux dans la langue du Monde Incertain…

– Combien êtes-vous ? demanda l’un des libérateurs.

– Nous sommes cent vingt, répondit le Commandeur en se faisant reconnaître, cent vingt Chevaliers, dont une quarantaine de blessés légers.

– S’ils peuvent tenir une arme, même les blessés seront les bienvenus, déclara le Chasseur. Il faut venir en aide aux malheureux qui se battent à l’entrée de la cité. Les Orks sont en train de les décimer !

– Des malheureux ? s’étonna Bertolen.

– Des brigands et des paysans, venus de tout le Monde Incertain ! Des gens plus habitués à couper le blé que des gorges, plus habiles à voler les marchands qu’à affronter des monstres sanguinaires !

– Vous avez entendu ? rugit le Commandeur à l’adresse de ses hommes. Allons-nous laisser de pauvres gens se faire massacrer, des gens qui ont eu le courage et l’amitié de venir en aide à des ressortissants d’un monde étranger ?

– Non ! hurlèrent les Chevaliers à l’unisson.

– Où peut-on trouver des armes ? demanda le Commandeur en se tournant vers le Chasseur.

– Il y a des sabres d’Ork et des haches de guerre dans la salle des gardes.

– Je crois, dit Ambor avec un grand sourire, que ça fera l’affaire…

Pendant ce temps, près de l’entrée, coincés entre la grande porte et le Fleuve Mouillé, les hommes de l’Ouest et les brigands subissaient de lourdes pertes. Le désespoir se lisait sur le visage des combattants qui paraient les coups et y répondaient sans y croire.

A l’inverse, les Orks grognaient de satisfaction en voyant les rangs de l’armée des Collines s’éclaircir. Ils estimaient qu’en peu de temps ils auraient écrasé cette mauvaise troupe !

Mais soudain, au bruit d’une cavalcade, les Orks les plus proches du pont se retournèrent. Leurs petits yeux s’écarquillèrent d’effroi : débouchant de la rue menant à la prison, une compagnie entière de Chevaliers, brandissant sabres dentelés et haches aiguisées, s’apprêtait à leur tomber dessus.

– Nous sommes sauvés ! hurla l’Archer.

– Des Chevaliers d’Ys ! Ce sont des Chevaliers d’Ys ! cria le Luthier.

Rassérénés par l’arrivée de ces renforts inattendus, brigands et paysans se jetèrent dans la bataille avec une énergie nouvelle.

Plongeant tête baissée et l’arme levée au beau milieu des Orks pétrifiés, les Chevaliers laissèrent libre cours à leur fureur, une fureur qu’avait amplifiée l’humiliation de leur séjour dans les cachots. L’affrontement prit une nouvelle tournure, et les Orks commencèrent à reculer pas à pas…

Urien et Qadehar, qui portait toujours l’armure cabossée du pauvre Valentin, sortirent en dernier du bâtiment abritant les cachots de la ville. Le géant supplia son ami de presser le pas ; les Chevaliers étaient déjà loin et, aux cris que l’on entendait, les premiers étaient déjà aux prises avec les Orks. Mais le Sorcier regardait ailleurs. Vers la tour maléfique qui se dressait au centre de la cité.

– Laissons-les, ils sont assez nombreux ! Nous avons mieux à faire.

– Mieux à faire que de se battre ? protesta Urien. Mais, Qadehar…

– Écoute-moi, Urien ! intima sèchement le Sorcier. Tu ne crois pas que tu as fait assez d’erreurs comme ça ?

Le colosse baissa la tête, l’air misérable. Le souvenir de sa responsabilité dans la mort de Valentin le heurta douloureusement. Ses épaules s’affaissèrent et une larme coula sur sa joue.

– Pardon, Qadehar, s’excusa Urien, d’une voix faible. Je ne suis qu’un pauvre fou.

– Les regrets ne servent à rien. Nous devons nous rendre à cette tour ! Je suis certain que c’est là que Guillemot est enfermé.

Sans un mot de plus, Qadehar fit volte-face et se hâta vers l’inquiétant édifice, entraînant le Seigneur de Troïl à sa suite.

– Quel est le programme ? demanda Kyle à ses amis, une fois qu’ils se furent tous engouffrés dans la tour.

– On cherche Guillemot et on le sort de là ! répondit Bertram.

– Parfaitement résumé, approuva Gontrand.

La pièce dans laquelle ils se trouvaient ressemblait à une cuisine. Ils avaient dû emprunter une entrée de service ! Elle était heureusement déserte, peut-être évacuée précipitamment comme le laissaient supposer des chaises renversées et la porte béante. Un passage, à l’opposé, ouvrait sur un escalier en colimaçon qui conduisait d’un côté vers les sous-sols et, de l’autre, vers les étages.

Au moment où ils allaient s’y engager, des bruits de pas les firent reculer précipitamment.

– Quelqu’un vient ! s’exclama Coralie à voix basse.

– Il faut se cacher ! dit Romaric.

– Où ça ? se désespéra son amie en regardant autour d’elle.

– Là ! Dans le placard ! proposa Kyle.

Ils se précipitèrent tous les six vers un immense placard, de la longueur du mur, et s’entassèrent à l’intérieur. Heureusement, le placard – un énorme garde-manger peut-être – était complètement vide. Ils refermèrent la porte sur eux, mais prirent soin de la laisser entrebâillée.

Une cinquantaine d’Orks surgirent alors en courant dans la cuisine. Plus terrifiants que tous ceux qu’ils avaient vus jusqu’à présent, ils étaient dirigés par une espèce de géant à l’armure noire et aux yeux étincelants de colère. Trois prêtres, au crâne rasé, vêtus de leur inimitable tunique blanche, les suivaient.

La petite bande, réfugiée dans le placard, ne put réprimer un frisson d’effroi.

– Thunku ! murmura Coralie.

– Chut ! fit Ambre en roulant des yeux.

Les Orks et leur chef, qui était bel et bien le Commandant Thunku, sortirent de la tour. Les prêtres refermèrent soigneusement la porte principale, élaborèrent rapidement un sortilège pour la bloquer, puis s’éloignèrent en silence.

Les jeunes gens, dont le cœur battait à tout rompre, attendirent un long moment avant d’oser quitter leur cachette.

– Bon sang ! Qu’est-ce que c’est que ça ? s’étonna Urien en découvrant le rideau de flammes noires qui interdisait l’accès à la tour.