– Une barrière magique, certainement dressée par les prêtres, expliqua Qadehar en examinant avec attention le sortilège. Une barrière solide, que je ne parviendrai pas à briser seul !
Il serra les poings de rage.
– C’est trop bête ! tempêta le Sorcier. Guillemot est là, à quelques pas, et je suis impuissant ! Moi, le meilleur Sorcier de la Guilde ! C’est risible…
– Décidément, toujours à se vanter, hein ?
Qadehar se retourna brusquement. Gérald était devant lui. Une troupe étonnante l’accompagnait.
– Ne t’inquiète pas, continua Gérald, tandis que Qadehar le pressait avec émotion contre lui. Tu n’es plus seul. Je te promets qu’on va tirer ton Apprenti de là.
S’arrachant à l’étreinte du Sorcier, Gérald fit les présentations :
– A côté de Yorwan et de Qadwan, voici Tofann et ses guerriers des steppes. Sans ces valeureux hommes, nous serions tous morts à l’heure qu’il est !
Le regard d’Urien s’éclaira en découvrant les fiers guerriers.
– Et voilà Kor Hosik, envoyé par Kor Mehtar, le roi des Korrigans d’Ys, et les grands magiciens du Petit Peuple, continua Gérald, qui s’appliquait à faire les présentations en bonne et due forme.
– Me voilà très honoré,
De me trouver en la présence
De magiciens si réputés !
Ils ont toute ma confiance…, dit Qadehar en korrigani avec un mouvement respectueux du buste, ce qui provoqua des murmures de satisfaction chez les Korrigans.
– Derrière nous, armés de fusils, toujours aussi modestes et discrets, ce sont les Hommes des Sables. Quant à cette jeune femme qui se cache derrière Yorwan, elle commande notre armée et, de façon plus générale, elle dirige la Société de l’Ours dont je te parlerai plus tard…
Kushumaï fit un pas en avant et planta son regard dans celui de Qadehar. Les yeux verts rencontrèrent les yeux gris. Les premiers brillants d’émotion, les seconds écarquillés de surprise.
– Toi ? s’exclama le Sorcier, abasourdi.
– Bonjour, Azhdar, ou Qadehar, puisque tel semble être ton véritable nom. Je suis heureuse de te revoir. Cela fait si longtemps…
XXXII Au pied du mur
– Vous vous… connaissez ? demanda Yorwan, visiblement stupéfait.
Il n’était pas le seul. Gérald et Qadwan faisaient des yeux ronds.
– Hum… oui, bafouilla Qadehar en s’empourprant légèrement et en se tortillant dans son armure. Nous nous sommes rencontrés, il y a plusieurs années, dans une taverne de Ferghânâ…
– Tu es rouge écarlate, ma parole ! s’exclama Gérald. C’est bien la première fois que je te vois dans cet état !
– Ce doit être la chaleur, plaisanta Qadwan d’un air malicieux.
– Tu t’appelles donc Azhdar ? interrogea Urien.
– Azhdar est le nom que notre ami utilise lorsqu’il voyage dans le Monde Incertain, lui répondit Gérald. Pour pouvoir enquêter en toute discrétion…
– Et pour mener une double vie, le taquina encore Qadwan.
– Oh, je vous en prie, intervint Qadehar, agacé.
Nous avons eu l’occasion de passer quelques jours ensemble, c’est tout !
– Quelques jours et quelques nuits, pour être précis, intervint Kushumaï, que l’embarras du Sorcier semblait amuser.
– Nous étions jeunes… Cette rencontre date d’il y a… quinze ans !
– Quatorze ans, rectifia la jeune femme. Azhdar, pourquoi chercher à se justifier ? Le passé appartient au passé, c’est tout. Aujourd’hui, je suis Kushumaï la Chasseresse, Sorcière en exil dans l’Irtych Violet, chef de la Société de l’Ours et de l’armée qui est en train de prendre cette ville. Toi tu es Qadehar, Sorcier de la Guilde. Si nous sommes à nouveau réunis, ce n’est pas pour évoquer notre rencontre du passé, mais pour sauver un enfant d’Ys ! Et pour mettre définitivement un terme aux manigances des prêtres et à la terreur qu’ils font régner dans ce monde.
Qadehar contemplait Kushumaï. Il se souvint de la jeune fille effrontée qui dansait sur les tables des tavernes, et dont il était tombé follement amoureux alors qu’il était jeune Sorcier. Il l’avait rencontrée au cours d’une mission qu’il effectuait pour la Guilde dans le Monde Incertain. Cette jeune fille splendide était devenue une femme superbe, impressionnante d’assurance et de volonté.
Qadehar fit un effort pour se reprendre.
– Tu as raison, bien sûr, répondit-il. Revenons à cette barrière de flammes : comment la franchir ?
Yorwan montra d’un geste de la main le groupe de prêtres immobiles au sommet de la tour, indiquant par-là que la magie de Bohor était une nouvelle fois à l’œuvre contre eux.
– Nous allons agir comme nous venons de le faire pour pénétrer dans la cité ! répondit-il à Qadehar.
Les Hommes des Sables prirent position au bas de la tour, levèrent leurs armes, et entreprirent d’abattre méthodiquement les hommes en blanc.
Pendant ce temps, les Korrigans tracèrent un cercle dans la poussière, et les guerriers des steppes se préparèrent à bondir à travers la brèche que la magie rouge ne tarderait pas à ouvrir…
Au même moment, dans son laboratoire, l’Ombre exultait. Les protections avaient fini par céder autour de Guillemot ! Le sortilège tissé avec une patience infinie à partir du Livre des Étoiles avait vaincu les Graphèmes dont l’Apprenti Sorcier s’était entouré…
L’Ombre referma le grimoire. Entraînant les ténèbres avec elle, elle se dirigea vers l’escalier, qu’elle descendit rapidement jusqu’à l’étage où Guillemot était emprisonné. Elle ouvrit la porte : toutes les barrières érigées entre elle et lui s’étaient dissoutes, et le garçon gisait sur le sol, à l’endroit où l’œuf stellaire s’était brisé.
– Enfin… je vais pouvoir enfin… accomplir le Grand Œuvre…
L’Ombre s’approcha de Guillemot, qui bougea légèrement.
– Tu te réveilles… Tant mieux, mon garçon… Cela m’évitera d’avoir à le faire… trop brutalement…
– Les… les Graphèmes ? balbutia Guillemot d’une voix cassée.
– Disparus… envolés… détruits… Je te l’avais dit… que tu finirais par être à moi…
L’Apprenti Sorcier tenta de se lever, d’opposer une résistance à son adversaire. Mais il était bien trop faible, et il retomba sur le dallage en pierre de son cachot. L’Ombre l’attrapa. Guillemot sentit un froid insidieux envahir son corps.
– Je t’emmène… vers ton destin… Vers notre destin…
Guillemot réalisa que l’Ombre l’emportait, l’entraînait hors de la pièce. Il rassembla le peu de forces qu’il lui restait, et lança un hurlement de protestation, un hurlement désespéré.
Les jeunes gens s’étaient enfin décidés à quitter leur cachette où ils avaient trouvé refuge, et s’étaient dirigés vers l’escalier. A présent, ils hésitaient : fallait-il monter ou bien descendre ?
– Je propose que nous descendions, dit Bertram. Guillemot a été fait prisonnier, il se trouve donc dans un cachot. Or chacun sait que les cachots sont au sous-sol.
Personne ne trouva à redire à l’argumentation du jeune Sorcier.
Romaric s’empara d’une torche qui brûlait contre un mur et ouvrit la marche. Ils s’enfoncèrent dans les entrailles de la tour.
– Coralie, qu’est-ce que tu fais ? s’impatienta Ambre. Les autres sont partis !
– Ça va, j’arrive, il n’y a pas le feu, dit-t-elle en terminant tranquillement de refaire ses lacets.
Au même instant, ils entendirent un hurlement.
– Tu as entendu ?
– On aurait dit la voix de Guillemot !
Ambre et Coralie se figèrent et tendirent l’oreille. Elles ne perçurent que des claquements secs, réguliers. Le bruit des fusils qui tiraient, dehors.