Выбрать главу

– Comment m'avez-vous retrouvé?

– Aucun mérite. Vous venez tous ici. A croire que toutes les rues de Montreux mènent au lac.

– Qui ça: «vous»?

– Les visiteurs. Les touristes. (Il désigna du menton les premiers promeneurs de la matinée, le long de la rive.) Ce coin est très romantique, vous savez. Il plane ici un air d'éternité, comme on dit. On se croirait dans La Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau. Je vais vous confier un secret: tous ces clichés m'emmerdent. Et je crois que la plupart des Suisses sont comme moi. J'esquissai un sourire:

– Vous êtes bien cynique tout à coup. Vous buvez quelque chose?

– Un café. Serré.

J'appelai le serveur et commandai un espresso. Dumaz s'assit à côté de moi. Il mit ses lunettes de soleil et attendit en silence. Il scrutait le paysage avec un intérêt grave. Quand le café arriva, il le but d'un trait, puis soupira:

– Je n'ai pas arrêté depuis que nous nous sommes quittés. D'abord, il y a eu cette conversation avec le Dr Warel. Vous savez, cette petite chose tabagique, avec sa blouse pleine de sang. Elle est nouvelle ici. Je ne crois pas qu'elle s'attendait à ça. (Dumaz éclata d'un rire ténu.) Deux semaines à Montreux et voilà qu'on lui apporte un ornithologue, découvert dans un nid de cigognes, à moitié dévoré par ses propres oiseaux! Bon. En sortant de l'hôpital, je suis rentré chez moi pour me changer. Ensuite je suis allé au commissariat, afin d'intégrer vos déclarations. (Dumaz tapota sa veste.) J'ai là votre déposition. Vous allez pouvoir la signer. Inutile de vous déplacer. Après ça, j'ai opté pour un petit saut chez Max Böhm. Ce que j'y ai trouvé m'a incité à passer quelques coups de fil. En une demi-heure, j'avais toutes les réponses à mes questions. Et me voilà!

– Conclusion?

– Justement. Il n'y a pas de conclusion.

– Je ne comprends pas.

Dumaz joignit de nouveau ses mains, en s'appuyant sur la table, puis il se tourna vers moi:

– Je vous l'ai dit: Max Böhm était une célébrité. Il nous faut donc une disparition limpide, sereine. Quelque chose de clair et de net.

– Ce n'est pas le cas?

– Oui et non. Le décès, hormis le lieu exceptionnel, ne pose pas vraiment de problème. Une crise cardiaque. Indiscutable. Mais tout autour, rien ne colle. Je ne voudrais pas avoir à salir la mémoire d'un grand homme, vous comprenez?

– Etes-vous disposé à me dire ce qui ne cadre pas? Dumaz me fixa de derrière ses verres fumés:

– Ce serait plutôt à vous de me renseigner.

– Que voulez-vous dire?

– Quelle était la véritable raison de votre visite à Max Böhm?

– Je vous ai tout dit cette nuit.

– Vous avez menti. J'ai vérifié quelques éléments. J'ai la preuve que vos propos sont faux.

Je ne répondis rien. Dumaz continua:

– Lorsque j'ai fouiné dans le chalet de Böhm, j'ai constaté qu'on était déjà venu. Je dirais même à vue de nez qu'on avait fouillé quelques minutes avant mon arrivée. J'ai aussitôt appelé l'Ecomusée, où Böhm pos sède un autre bureau. Un homme comme lui devait garder certains dossiers en double exemplaire. Sa secrétaire, plutôt matinale, a accepté de jeter un œil et a déniché dans ses tiroirs un dossier invraisemblable, à propos de cigognes disparues. Elle m'a faxé aussitôt les pièces principales de ce document. Dois-je continuer?

C'était mon tour d'observer les eaux du lac. Des minuscules voiliers se détachaient sur l'horizon ardent.

– Ensuite, il y a eu la banque. J'ai téléphoné à l'agence de Böhm. L'ornithologue venait d'effectuer un virement important. J'ai le nom, l'adresse et le numéro de compte du destinataire.

Le silence se durcit encore entre nous. Un silence cristallin, comme l'air matinal, qui pouvait désormais se briser en de multiples directions. Je pris l'initiative:

– Cette fois, il y a une conclusion.

Dumaz sourit, puis ôta ses lunettes.

– J'ai mon idée. Je pense que vous avez paniqué. La mort de Böhm n'est pas si simple. Une enquête va commencer. Or, vous veniez de toucher un chèque important de sa part, pour une mission spécifique, et, d'une façon inexplicable, vous avez pris peur. Vous vous êtes introduit chez lui pour subtiliser votre dossier et effacer toute trace de vos relations. Je ne vous soupçonne pas d'avoir voulu garder l'argent. Sans doute allez-vous le rembourser. Mais cette effraction est grave…

Je songeai aux trois enveloppes. Je répliquai, d'un ton précipité:

– Inspecteur, le travail que Max Böhm m'avait proposé concernait uniquement les cigognes. Je ne vois rien de suspect là-dedans. Je vais rembourser l'argent à l'association que…

– Il n'y a pas d'association.

– Pardon?

– Il n'y a pas d'association, au sens où vous l'entendez. Böhm travaillait seul, et il était l'unique membre de l'APCE. Il payait quelques employés, fournissait le matériel, louait ses bureaux. Böhm n'avait pas besoin de l'argent des autres. Il était immensément riche.

La stupeur me bloqua la gorge. Dumaz enchaîna:

– Son compte personnel s'élève à plus de cent mille francs suisses. Et Böhm doit détenir un compte numéroté, dans quelques-uns de nos coffres. L'ornithologue, à un moment de son existence, s'est livré à une activité très lucrative.

– Qu'allez-vous faire?

– Pour l'instant, rien. L'homme est mort. Il n'a, a priori, aucune famille. Je suis certain qu'il a légué sa fortune à un organisme international de protection de la nature, du type WWF ou Greenpeace. L'incident est donc clos. Pourtant, j'aimerais approfondir cette affaire. Et j'ai besoin de votre aide.

– De mon aide?

– Avez-vous trouvé quelque chose chez Böhm, ce matin?

Les trois enveloppes surgirent dans mon esprit, comme des météores de feu.

– A part mon dossier, rien.

Dumaz sourit, incrédule. Il se leva:

– Marchons, voulez-vous?

Je le suivis le long de la berge.

– Admettons que vous n'ayez rien trouvé, reprit-il. Après tout, l'homme se méfiait. Moi-même, j'ai déjà enquêté ce matin. Je n'ai pas appris grand-chose. Ni sur son passé. Ni sur son opération mystérieuse. Vous vous souvenez: cette greffe cardiaque. Encore une énigme. Savez-vous ce que m'a révélé le Dr Warel? Le cœur transplanté de Böhm comporte un élément bizarre. Quelque chose qui n'a rien à faire là. Une minuscule capsule de titane, le métal avec lequel on fabrique cer taines prothèses, suturé à la pointe de l'organe. D'ordinaire, on place sur le cœur greffé un clip qui permet de réaliser plus facilement des biopsies. Mais ici, il ne s'agit pas de cela. Selon Warel, cette pièce n'a aucune utilité spécifique.

Je gardai le silence. Je songeai à la tache claire, sur la radiographie. Mon cliché était donc celui du second cœur. Je demandai, pour en finir:

– En quoi puis-je vous aider, inspecteur?

– Böhm vous a payé pour suivre la migration des cigognes. Allez-vous partir?

– Non. Je vais rembourser l'argent. Si les cigognes ont choisi de déserter la Suisse ou l'Allemagne, si elles ont été aspirées par un typhon géant, je n'y peux rien. Et je m'en moque.

– Dommage. Ce voyage aurait été d'une grande utilité. J'ai commencé, très succinctement, à retracer la carrière de l'ingénieur Max Böhm. Votre voyage aurait sans doute permis de remonter son passé à travers l'Afrique ou le Proche-Orient.

– Qu'avez-vous en tête?

– Un travail en duplex. Moi, ici. Vous, là-bas. Je creuse du côté de sa fortune, de son opération. J'obtiens les lieux et dates de ses différentes missions. Vous, vous remontez sa trace sur le terrain – le long de la piste des cigognes. Nous communiquons régulièrement. En quelques semaines, nous aurons mis à plat toute la vie de Max Böhm. Ses mystères, ses bienfaits, ses trafics.

– Ses trafics?

– C'est un mot que j'utilise au hasard.