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— Pas cette fois ! répondit Lisa. Grand-Mère envoie Josef, son majordome, pour les chercher...

— La bête noire d’Aldo ? sourit Buteau.

— Il n’en est pas moins dévoué et il leur inspire un « respect » salutaire.

— Quant à vous, vous comptez rejoindre Aldo ?

— Pas du tout ! Je pars pour l’Angleterre...

La surprise arrondit les yeux bleus du vieux monsieur :

— L’Angleterre ? Mais... pour quoi faire ?

Tout aussitôt il ajouta :

— Vous voulez voir les gens d’Hever Castle ?

— Non. Je veux à mon tour mener ma petite enquête. Aussi je vais demander l’aide de mon amie Mary Windfield et son hospitalité dans sa maison de Chelsea...

— Vous voulez aller chez lady Mac Intyre ?

— Non, Guy ! Et j’ai bien précisé Mary Windfield, ma meilleure amie et la marraine d’Amalia : le grand peintre ! Comme vous le savez, après le succès des portraits effectués aux Indes – celui de la vice-reine – et de deux ou trois autres personnalités, Mary est devenue célèbre et ne saurait donc aller s’enterrer à Peshawar où Douglas son époux est resté en poste...

— Ils ne doivent pas se voir souvent ?

— Cela ne les empêche pas de s’aimer toujours autant, et comme, malheureusement, Mary ne peut avoir d’enfants, elle peut se consacrer tout entière à son art. Je crois qu’à Londres elle connaît à peu près tout le monde... sans compter des relations plus qu’intéressantes ! Donc je vais chez elle !

— Vous en avez parlé avec Aldo avant son départ ?

— Non ! Dieu sait ce qu’il aurait trouvé à m’opposer comme arguments ! Autant qu’il me croie à Vienne.

— Mais si on vous cherche ? objecta Guy qui ne savait trop que penser de cette décision.

— Vous le saurez, vous, où je suis !

— Je suis très honoré, mais ni Mme de Sommières ni Mlle du...

— Plan-Crépin ? Je vais y réfléchir, mais sans doute oui. Elles sont loin d’être stupides et, surtout, elles savent se taire ! Sur ce, je vais préparer le départ des enfants !

— Et vous-même ? Vous comptez partir quand ?

— Dès que j’aurai reçu l’accord de Mary ! Je vais lui téléphoner et, comme elle travaille toute la journée, si ce n’est la nuit, je ne risque pas de la manquer...

Comme Lisa le pensait, elle n’eut aucune peine à atteindre son amie et il fut convenu qu’elle quitterait Venise par l’Orient-Express du jeudi relayé à Calais par un autre train qui la déposerait finalement en gare Victoria où, bien sûr, elle serait attendue. Cela lui laissait tout le temps de mettre de l’ordre à ses affaires, d’apprendre par un coup de téléphone plus ou moins ésotérique de Plan-Crépin que les voyageurs étaient arrivés à bon port et que, de ce côté-là, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Ce fut moins facile d’embarquer les enfants habitués depuis toujours à la présence constante de leur mère, et il fallut palabrer un moment, surtout avec Antonio qui, en l’absence de son père, avait tendance à se prendre pour le chef de famille. Sous la crinière brune et bouclée du petit garçon logeait une logique bien à lui – bien qu’entièrement partagée par sa sœur et perpétuelle complice. Ainsi il détestait que l’on change quelque chose à un ordre établi depuis longtemps et, adorant sa mère, il refusait d’être séparé d’elle.

Aussi elle avait beau lui répéter qu’elle devait se rendre auprès de la marraine d’Amelia qui souhaitait l’avoir à ses côtés pour le vernissage de sa nouvelle exposition, Antonio renâclait :

— Emmenez-nous d’abord chez Bonne-Maman ! Vous irez après ! Si le vernis est sec quand vous arriverez, cela ne doit pas avoir beaucoup d’importance !

— Vernissage est une expression, mon chéri ! C’est ainsi que l’on appelle la fête d’ouverture d’une exposition, et Mary Windfield est un très grand peintre dont nous avons tout lieu d’être fiers...

— C’est ma marraine ! proclama Amelia, péremptoire.

— On le sait ! Ce n’est pas une raison de tout chambouler pour elle ! Même pour ta marraine, il n’y a aucune raison que Maman ne nous accompagne pas et...

La discussion se prolongeait sous l’œil amusé de Guy Buteau, et Lisa venait à se demander si elle n’allait pas « se fâcher ». Surtout, elle commençait à craindre l’effet que produirait l’arrivée de Josef en tant qu’escorteur, quand soudain les nuages d’orage se dissipèrent comme par miracle : la gondole de Zian – le gondolier-chauffeur – accostait doucement aux marches du palais afin d’y débarquer trois personnes : le redouté Josef, son air rogue, ses cheveux blancs et sa moustache à la François-Joseph, une femme qui devait être une femme de chambre et enfin une dame âgée, grande, mince et droite comme un i, ressemblant un peu à Mme de Sommières dont elle était la contemporaine, vêtue d’un long manteau d’astrakan noir et coiffée d’une toque à voilette assortie, dont la vue arracha aux deux gamins révoltés un double cri de joie :

— Bonne-Maman !

Plus que surprise car la comtesse Valérie von Adlerstein n’aimait guère à se déplacer, Lisa se précipita vers elle pour l’embrasser :

— Vous êtes venue vous-même ? Oh, Grand-Mère, comment vous remercier ?

— D’abord en nous faisant servir une tasse de café bouillant ! On gèle ce matin sur ta lagune, ma chérie ! Ensuite faire en sorte que tout soit en ordre pour que nous puissions prendre le Venise-Vienne via le Brenner qui partira à 3 heures de la gare de Santa Lucia, et, dès demain, nous rejoindrons Rudolfskrone... où j’ai pas mal de choses à régler. Cela me laisse le temps d’apprendre les raisons de ton soudain changement de programme ! J’espère qu’elles ne sont pas trop graves ?

— Je l’espère aussi et de tout mon cœur, comme vous devez vous en douter. En fait, je pense qu’il s’agit d’une cascade d’erreurs doublée d’une histoire de fous dont, pour une fois, j’ai l’intention de me mêler.

— Où est Aldo ?

— Parti pour Paris. Adalbert est venu le chercher... disons pour le mettre à l’abri, cela sur le conseil du commissaire principal Langlois. Mais ne restons pas là ! Le café doit déjà vous attendre dans le salon des Laques... et vous me direz pourquoi vous vous êtes imposé cette fatigue de venir en personne chercher la marmaille !

— Oh, cela, c’est simple. Tu m’as dit d’envoyer Josef les chercher.

— Et alors ?

— Pour t’éviter une révolution de palais ! Dieu sait que je ne mets nullement en doute le dévouement de mon vieux Josef... ni son caractère abrupt ! Et pas davantage l’antipathie qui existe entre ton époux et lui, antipathie qu’Antonio partage d’instinct, et je me doutais que tu allais avoir des problèmes. Alors j’ai trouvé plus pratique de me charger moi-même d’escorter la joyeuse bande. J’ai pensé que tu partirais plus tranquille. Au fait, où vas-tu ?

— À Londres, chez Mary, d’où je vous écrirai...

— C’est pour le moins inattendu. En temps normal, c’est Aldo qui disparaît pour une direction inconnue et une durée indéterminée. Cette fois, c’est toi ! Pourquoi ?

— J’ai pensé que, pour une fois, il ne serait peut-être pas inutile que je m’en mêle ! Avant d’épouser, Aldo j’ai été sa secrétaire particulière, je dirais presque son factotum pendant plus de deux ans.

Arrivée dans le salon des Laques où attendaient un plateau, des tasses et des viennoiseries, la comtesse Valérie adressa un sourire à chacun des deux portraits, ôta les longues épingles qui maintenaient sa toque de fourrure sur ses magnifiques cheveux argentés, posa le tout sur une tête de jeune faune qui ornait le coin d’une console, jeta son manteau sur un fauteuil et s’installa dans un autre avant de prendre la tasse que Lisa lui tendait :