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— Bien ! À présent, raconte !

En pensant que Langlois était un vrai cadeau du Ciel, Marie-Angéline ne se trompait pas. Évidemment, le vol du Sancy associé au nom de celui qui était peut-être le plus grand expert européen, sinon mondial, en joyaux illustres avait de quoi émouvoir les foules, éveillant des échos divers, mais la presse toujours fermement tenue en main par le Quai des Orfèvres faisait preuve d’une certaine discrétion. D’abord, à moitié français, Aldo, surtout associé à Adalbert, égyptologue célèbre, avait trop souvent fourni aux journaux de la copie savoureuse. En outre, les problèmes anglais ne touchaient guère – sinon pour s’en réjouir ! – leurs ennemis héréditaires. Ensuite, le Sancy ayant fait partie pendant des siècles des Joyaux de la Couronne de France – volé de surcroît en 1792 dans les coffres du Garde-Meuble royal de la place de la Concorde reconvertie alors en place de la Révolution –, on avait tendance à considérer que sa vraie place n’était pas sur la tête d’une grande dame anglaise mais dans une vitrine au musée du Louvre. Donc, le prétendu voleur, jouissant d’un solide crédit de sympathie, pouvait s’accorder quelques jours de répit, au moins le loisir de soigner une bronchite revenue à la charge avec les intempéries qui régnaient alors sur la majeure partie de l’Europe.

Il n’en allait pas de même de l’autre côté du Channel, et Langlois ne cachait pas le souci que lui causait l’état de santé de son homologue anglais, le Chief Superintendant Gordon Warren, hospitalisé à la suite d’une blessure qui avait bien failli le tuer, reçue au cours d’un engagement particulièrement violent avec une bande organisée. Après avoir oscillé entre la vie et la mort pendant deux semaines, l’Anglais semblait engagé sur la bonne voie mais ne pourrait pas reprendre ses fonctions de sitôt. C’était donc son second, Adam Mitchell, qui le suppléait.

Or Warren connaissait la paire Aldo-Adalbert depuis des années. Il avait même travaillé plus ou moins avec eux et y aurait regardé à deux fois avant de lancer ses meutes sur les traces du prétendu voleur... ce n’était pas le cas de Mitchell qui en était resté à la guerre de Cent Ans et haïssait en bloc tout ce qui approchait la France de près ou de loin... à la seule exception de certains vins de Bordeaux dont il prétendait que le terroir avait appartenu à sa famille jusqu’à la bataille de Castillon en 1456, qui avait restitué définitivement l’Aquitaine à la Couronne de France.

De celui-là, Morosini n’avait pas à attendre la moindre compréhension, ni même d’enquête sérieuse s’il réussissait à mettre la main dessus. Il se retrouverait en prison sans avoir le temps de dire « ouf » !

Mary Windfield se déclara enchantée de recevoir son amie, d’autant plus que le vol du Sancy était la nouvelle à la mode, mais naturellement Lisa ne s’annonçait pas sous son nom réel. Suissesse d’origine, elle jouissait de la double nationalité et, en outre, elle avait conservé soigneusement le passeport au nom de Mina van Zelten qu’elle utilisait lorsqu’elle était la secrétaire d’Aldo. Il lui convenait toujours parfaitement mais, évidemment, elle avait décidé de renoncer aux vêtures délirantes – tailleurs largement passés de mode, énormes lunettes, etc., qui lui avaient si bien servi à dissimuler sa beauté –, se contentant de s’habiller normalement, ne conservant que les lunettes comme en portaient tous ceux qui en avaient besoin, un peu teintées tout de même.

Après le départ tumultueux des enfants et avant de quitter Venise, elle avait téléphoné à Zurich pour essayer d’en savoir plus sur le but du voyage sud-américain de son père, mais Birchauer, son secrétaire particulier, n’avait rien pu – ou voulu ! – lui dire :

— Vous savez comment est M. Kledermann, Mademoiselle Lisa, lui avait répondu cet homme de bien. Quand il est sur la piste d’un joyau exceptionnel, il se referme comme une huître.

— Il serait content de vous entendre le traiter d’huître !

— Façon de parler ! Vous connaissez trop votre père pour ne pas savoir la passion qu’il met quand il a en vue une collection ou une simple pierre rare, et je ne lui donne pas tort. Dans le monde des collectionneurs, les couteaux sont toujours plus ou moins tirés...

Il avait bien fallu que Lisa se contente de cela, bien qu’elle gardât la conviction intime qu’en cas de catastrophe on saurait de quel côté chercher.

En attendant, elle en était réduite aux conjectures qu’elle partageait avec Guy Buteau : tout ce que l’on savait était qu’il s’agissait d’émeraudes !

À Paris pendant ce temps-là, son époux achevait de remettre ses bronches en parfait état de marche et cultivait la mauvaise humeur à mesure que les forces lui revenaient :

— Voulez-vous me dire ce que je fais là ? explosa-t-il tandis qu’un soir, après le dîner, on rejoignait le jardin d’hiver où l’on se rendait le plus souvent pour prendre le café.

— Tu guéris ! Et en toute liberté ! Ce n’est déjà pas si mal pour un homme que recherche la police britannique ! constata Adalbert qui, naturellement, partageait le plus souvent la semi-captivité de son « plus que frère ».

— Mais je suis guéri ! La preuve, ajouta-t-il en allumant une nouvelle cigarette.

— Bon ! Disons que tu es convalescent ! admit Mme de Sommières avec bonne humeur. Ce ne sera pas la première fois !

— J’avais seulement à me remettre d’aplomb. Cette fois, c’est mon honneur et ma liberté qui sont en jeu. Vous devriez comprendre que c’est intolérable ! Un voleur, moi !

— Tu es déjà passé pour un assassin, fit remarquer Adalbert en versant dans un verre ballon une copieuse ration d’armagnac qu’il entreprit de réchauffer entre ses mains avant de l’offrir à son ami. Tu ne t’en portes pas plus mal ! Alors commence par boire ça ; tu te sentiras tout de suite beaucoup mieux.

— Mais ça va durer combien de temps ?

— Qu’est-ce que le temps ? émit Plan-Crépin qui avait entrepris de faire une réussite. Une vue de l’esprit, une...

— Si vous vous croyez réconfortante, coupa la marquise, vous commettez une lourde erreur ! Tiens ! Vous feriez mieux de lui tirer les cartes !

— Dans certains cas, nous nous y refusons ! protesta-t-elle en employant comme d’habitude le pluriel de majesté dont elle usait avec sa patronne et néanmoins cousine ! Il y a des moments où nous craindrions de dire des choses trop vraies ! ajouta-t-elle d’un ton dramatique.

— Si c’est cela, je vais me coucher et vous allez me faire la lecture ! Tenez, nous allons choisir À la recherche du temps perdu. C’est tout à fait dans le ton de votre philosophie de ce soir... et je ne connais rien de plus soporifique !

— Oh, non ! se rebella Aldo. Vous n’allez pas m’abandonner si vite ! Voyons, Angelina, vous qui débordez toujours d’idées brillantes, vous n’en trouvez pas pour me sortir de ce marécage ?

— Peut-être, mais la sagesse veut qu’avant de nous lancer dans on ne sait quelle aventure il faut encore un peu de patience. Au moins attendre ce que le cher Langlois pourrait avoir appris de nouveau. La dernière bêtise à faire serait, décidant n’importe quoi, de lui mettre des bâtons dans les roues !

— Cela coule de source ! ronchonna Aldo, mais j’ai tout de même un certain nombre d’amis en Angleterre et ils ne peuvent pas tous accepter cette idée insensée que je suis brusquement devenu un malfaiteur. À commencer par lord Allerton ! Vieil ami – je dirais presque vieux complice ! – avec qui j’ai partagé durant cinq ou six ans la même passion pour les bijoux Tudor. Il m’écrit... il m’invite même à passer deux ou trois jours chez lui. J’accepte en dépit de mes problèmes de santé et, le soir où j’arrive chez lui, non seulement il n’est pas là mais c’est tout juste si l’on n’entrebâille pas la porte pour m’apprendre qu’il s’est absenté subitement, appelé on ne sait par quel courrier mystérieux. Le tout sans même me laisser un mot d’excuses, alors que l’état de nos relations aurait voulu qu’au moins on m’offre le gîte et le couvert, ne serait-ce que pour cette nuit-là ! Vous savez la suite !