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Il y eut un petit silence que Wolsey employa à vider son verre et à absorber la moitié de celui que Mary lui versa aussitôt pour le remercier de sa demi-conférence, tout en remarquant :

— Votre intervention va faire couler beaucoup d’encre et vous devez en être conscient.

— Mais je l’espère bien ! Je déteste lady Ava. Sa suffisance, sa sottise – et même sa méchanceté parce qu’elle n’en manque pas ! – m’insupportent. En revanche, j’aime bien lady Nancy ! Une vraie grande dame, et elle porte son magnifique diamant avec toute la grâce et la noblesse convenant à une pierre de cette importance. À ce propos, d’ailleurs, votre portrait est une merveille !

— Pour en revenir une dernière fois à ce que j’appellerai le Sancy II, comment se fait-il que vous ne sachiez pas où il se trouve ? C’est vaste l’Allemagne, mais existe-t-il quelque chose de trop grand pour votre curiosité ?

— Trop grand non, mais peut-être trop dangereux ! Vous avez déjà entendu parler d’un certain Hitler ?

— Entendu parler ? Mais la terre entière doit entendre ses braillements.

— De toute façon, ce n’est pas cela qui m’intéresse, mais ce qu’a bien pu devenir le diamant de Nancy. L’affaire Morosini ne tient pas la route... Et, à ce propos, vous n’avez pas pu réaliser ce superbe portrait sans connaître lady Nancy à fond ?

— Je crois, oui... et alors ?

— Comment a-t-elle pu se laisser abuser par un quidam se faisant passer pour le bel Aldo ? Il est assez connu pourtant, celui-là, et il ne doit pas exister énormément de copies conformes ?

— Oh, c’est tout simple : il y avait une séance à la Chambre des communes et elle n’était pas à Hever Castle. C’est son mari qui l’a reçu, et lui a marché à cent pour cent ! Pensez donc ! Le gendre de son grand ami Kledermann, l’expert mondialement connu qui venait frapper à sa porte ! Il n’y a vu que du feu. J’ajouterai, par parenthèse, qu’il n’est pas follement intelligent ! Ce qu’il a fait de mieux dans sa vie, c’est de tomber amoureux de Nancy, de réussir à l’épouser et de lui offrir ce fantastique diamant ! Un sacré gage d’amour, vous ne pensez pas ?

— Pourquoi n’as-tu pas voulu le voir ? reprocha doucement Mary quand Peter Wolsey eut tourné les talons. Il est un peu bizarre, j’en conviens, mais c’est un très gentil garçon en dépit de son air snob et de son monocle !

— Finalement, je n’en sais rien. Je ne suis pas tout à fait normale, en ce moment, je me tourmente tellement pour Aldo !

— Ce n’est pas la première fois ! Chaque fois qu’il se lance sur la trace de bijoux disparus, d’après ce que tu m’écris ! J’admets que cette affaire soit peu ordinaire, mais cela devrait s’arranger sans trop de difficultés : il suffit que ton père reparaisse...

— À condition de savoir où il est... et ça peut durer longtemps !

Mary versa un doigt de whisky dans un verre et le tendit à Lisa :

— Tiens ! Bois ! Ça te remontera le moral ! Pendant ce temps, je vais aller chercher quelque chose que je pensais t’offrir pour ton anniversaire, mais je crois qu’il vaut mieux que je te le donne maintenant ! On va le mettre dans ta chambre et il te tiendra compagnie en attendant des jours meilleurs !

— Qu’est-ce que c’est ?

— Tu sais qu’Aldo a toujours refusé de se laisser « disséquer » par moi. Comme par tous mes confrères !

— Il estime qu’il y a sur nos murs bien suffisamment de Morosini qui ont compté au cours des siècles. Il y a même moi depuis un an dans son bureau. Ça inclut les photographies. Rien ne l’agace tant que de se rencontrer dans une colonne de journal...

— Tu ne seras pas obligée de le lui montrer, au moins tu auras son effigie pour te tenir compagnie quand il ira galoper je ne sais où en compagnie du cher Adalbert...

— Le savoir avec lui est la seule chose qui me rassure un peu ! Cela dit, viens que je t’embrasse ! Non seulement tu es un grand peintre mais en plus tu es un amour !

Mary disparut et revint presque aussitôt, tenant à la main l’une de ces valises plates et rigides spéciales pour le transport des tableaux, la posa sur le divan et l’ouvrit : elle était vide...

La surprise laissa d’abord les deux femmes sans voix, mais les stupeurs paralysantes ne faisaient pas partie du caractère énergique de Mary. L’instant suivant, la maison retentissait des échos de sa colère : on avait osé voler chez elle, dans sa propre chambre, l’une de ses œuvres, ce qui s’était déjà produit deux ou trois fois chez ceux de ses amis qui avaient posé pour elle, mais cette fois il s’agissait d’un cadeau pour sa plus chère amie dont elle se promettait une vraie joie le jour où elle le lui remettrait. Seul Timothy, ayant servi jadis chez les Windfield, avait suffisamment d’empire sur lui-même pour laisser passer l’orage.

Les coups de tonnerre ayant tendance à s’éloigner, il se contenta de questionner :

— Et maintenant, que faisons-nous ? On prévient la police ?

— Si Gordon Warren était encore à son poste : sans hésiter, mais l’affreux Mitchell ne mettra jamais les pieds chez moi et...

Elle se tut soudain, le temps d’allumer une cigarette et d’un tirer quelques bouffées. Ce qui permit à Lisa de murmurer :

— On ne t’a rien volé d’autre ?

— Absolument rien ! Le compte est vite fait ! À l’exception de quelques toiles que j’ai peintes pour mon plaisir personnel, dès qu’un portrait est terminé, il est livré à celui ou celle qui l’a commandé, et une toile blanche vient prendre sa place.

Le grand chevalet supportait en effet une toile de belles dimensions, plus haute que large, où s’esquissaient les traits hautains d’un homme déjà âgé, encore très beau – Mary ne portraiturait jamais que des gens qui lui plaisaient ! – dont tout laissait supposer qu’il était écossais...

— Il est magnifique ! Qui est-ce ? s’enquit Lisa.

— Un très grand seigneur : le duc de Gordon ! Et il va falloir que je me dépêche pour l’achever avant de nous transporter, mes pinceaux et moi, à Buckingham Palace ! Il est superbe, ainsi que tu peux t’en rendre compte, mais comme il n’est pas jeune, la reine a bien voulu m’accorder le temps de l’achever avant de m’attaquer à ses gamines ! En attendant, cela ne nous dit pas qui a osé venir me cambrioler ni pourquoi ?

— Je me demande, fit Lisa, songeuse, si ce vol ne serait pas l’un des nœuds de cette vilaine affaire ?

— Que veux-tu dire ?

— Que ce ne doit pas être facile de se faire passer pour Aldo, que tes œuvres ont le double mérite d’être ressemblantes – ô combien – mais aussi de chercher plus loin que les apparences, et sans aller jusqu’à fouiller jusqu’à l’âme... Je me demande même si ce n’est pas pour ça qu’Aldo n’a jamais voulu poser pour toi...

— C’est le plus beau compliment que tu puisses me faire, mais cela n’explique pas que n’importe quel quidam ait pu se faire passer pour un homme de cette envergure.

— Il existe bien des faux-monnayeurs ! La pègre londonienne, comme toutes les autres d’ailleurs, doit sans doute receler quelques artistes inconnus capables de transformer un visage de façon suffisamment convaincante. Surtout pour quelqu’un qui ne l’a jamais rencontré !

— Tu parles comme un livre ! En attendant, où chercher puisque la police n’est pas franchement de notre côté ?

— On pourrait peut-être soumettre – discrètement ! – le problème à Paris ? Le commissaire principal Langlois, outre qu’il a noué des liens d’amitié avec ce pauvre Warren, est un très grand flic. Il pourrait au moins être de bon conseil ! Il vaudrait peut-être mieux que je fasse un saut à Paris ? D’autant que, jusqu’à présent, ma présence ici ne s’est pas révélée d’une grande utilité !