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— ... tel que je vous connais, vous aimeriez bien jeter un coup d’œil ? Moi aussi, j’en conviens.

— D’autant que ce qui a poussé depuis la séance de teinture tirerait plutôt vers le gris.

— Ah ! Ah !... Messieurs, ajouta Wolsey en se tournant vers les prétendus cinéastes, mon invitation tient toujours. Je vous conduirai jusqu’à Hever et j’essaierai de vous introduire, si vous acceptez de remettre à ce soir le haddock à la crème que je vous ai promis.

— Mais nous ne voulons pas vous encombrer, mylord ! s’excusa vertueusement Adalbert, partagé entre l’envie d’échapper au régal annoncé et cette occasion exceptionnelle d’être introduit au château par un naturel du pays, ce qui lui valut d’avoir un orteil subrepticement écrasé par le pied d’Aldo.

Mais on ne décourageait pas comme cela l’Honorable Peter :

— Du tout, du tout ! À ne vous rien cacher, j’éprouve beaucoup d’intérêt pour le cinéma et, d’un autre côté, j’ai assez envie de revoir ce vieil Hever. Allons donc observer ce que ces gens ont repêché, après quoi nous grignoterons quelque chose avant de nous mettre en route.

— Ces messieurs préféreraient peut-être grignoter avant, proposa Finch. Ce n’est pas parce qu’on est dans le ciné qu’on a l’estomac solide.

— Si c’est le cas, le meilleur moyen d’arranger cela c’est encore un bon vieux whisky... et nous n’en manquons pas !

— Il nous arrive aussi de tourner des films d’horreur ! affirma Adalbert. Alors, pour l’estomac, ça devrait aller. Et puis ce cadavre bizarre pourrait peut-être nous donner une idée pour un prochain film !

— Voilà qui est parlé, conclut Sa Seigneurie. On y va !

Si curieuse qu’elle soit, la foule générée par un village de pêcheurs n’est jamais très dense. Il en venait bien de partout, mais les deux puissantes voitures – surtout la Bentley discrètement armoriée ! – n’eurent pourtant guère de peine à se frayer un passage jusqu’au port où les trois ou quatre policiers locaux étaient en train de contrôler l’accès à la barque dans laquelle reposait le cadavre inconnu. Celui-ci aurait dû normalement être recouvert, mais deux hommes, penchés sur lui, l’examinaient. L’un était le médecin légiste, mais l’autre arracha une grimace de contrariété à l’Honorable Peter. Aldo l’entendit marmotter :

— Qu’est-ce qu’il fait là, celui-là ?

Puis plus haut, s’adressant à l’un de ceux qui, le cou tendu, s’efforçaient d’en voir le plus possible :

— Il y a combien de temps qu’on a repêché ce pauvre bougre ?

— Une heure à peu près !

— Et Scotland est déjà là ? Cela tient du miracle.

— Scotland Yard ? s’extasia Adalbert. Le gratin de la police anglaise ? Vous êtes sûr ?

— Très sûr ! C’est même le patron ! Enfin le nouveau, parce que j’espère bien qu’il ne le restera pas longtemps !

Toujours aussi candide, Adalbert releva ses sourcils jusqu’au milieu du front, ce qui le fit disparaître dans l’ombre de son béret.

— On dirait que vous ne l’aimez pas ?

Pour un instant, Sa Seigneurie délaissa son côté un peu farfelu :

— Il me serait tout à fait indifférent s’il ne remplaçait pas le meilleur flic du siècle. À la suite d’une blessure, Gordon Warren gît sur un lit d’hôpital où il risque de rester encore un moment. Alors on a pris son second : un homme buté, vaniteux, mais qui doit avoir des relations.

— Comment a-t-il fait pour être sur les lieux si vite ? Il y a tout de même un bout de chemin depuis Londres ?

— Ça, je l’ignore ! Il a peut-être de la famille dans le coin ! On dit qu’il s’est juré de commencer sa « carrière » par un coup d’éclat en mettant sous les verrous un type aussi connu que Morosini.

— Qu’est-ce que ce... Morosini lui a fait ?

L’Honorable Peter haussa les épaules en relogeant son monocle dans son arcade sourcilière, puis cracha par terre le plus démocratiquement du monde :

— Je ne suis pas certain qu’il le sache lui-même ! Peut-être simplement parce que Morosini possède tout ce qu’il n’a et n’aura jamais. Ça suffit avec des gens de cette sorte !

Aldo n’écoutait plus. Il regardait ce grand type maigre, osseux même, dont le profil était celui d’un rapace. Seule la couleur de ses yeux lui échappait, mais il pouvait faire confiance à Adalbert pour compléter le portrait...

C’est ainsi que, pour la première fois, il rencontra Adam Mitchell.

5

Les fantômes d’Hever Castle

Il fut vite évident qu’entre l’Honorable Peter et Adam Mitchell le courant ne passait pas. Sa Seigneurie eut beau s’annoncer comme le second fils du duc de Cartland, le nouveau patron du Yard lui accorda à peu près autant d’intérêt qu’à l’un des écaillers du port :

— Vous n’avez rien à faire ici, assena-t-il sans s’encombrer de fioritures. Je suis le Chief Superintendant Mitchell, donc le patron, et vous seriez le fils du roi que je vous en dirais tout autant ! Filez !

Peter le toisa du haut de son monocle :

— Je connais bien la région ! Il ne vous vient pas à l’idée que je pourrais vous être utile et que...

— Non ! Ça ne me vient pas à l’idée ! Et je vous ai déjà dit de dégager le terrain ! Au fait ! Ces deux-là ? Qui c’est ? ajouta-t-il en désignant ses compagnons. Des copains à vous ?

— Nous venons de nous rencontrer ! Ce sont des gens de cinéma américains à la recherche de décors naturels pour un grand film sur les Tudors.

— Les Tudors vus par les Américains. Ça va être cocasse ! À propos, dites-leur de montrer leurs papiers !

— Dites-leur vous-même ! riposta Sa Seigneurie, vexée. Ils parlent anglais !

Mitchell n’y jeta même pas un coup d’œil, haussa les épaules, tourna le dos et retourna à son travail :

— Le cinéma, maintenant ! Je vous demande un peu ! ...

Tandis que les trois hommes retournaient vers leurs voitures, Aldo, qui avait profité de la brève altercation pour regarder brièvement le cadavre, luttait contre une impression aussi bizarre que désagréable. En dépit de l’état pitoyable où se trouvait le malheureux et du soin que l’on avait pris pour le défigurer, il avait de plus en plus de mal à repousser le sentiment qu’il s’agissait bel et bien de lord Allerton. Et plus il réfléchissait et plus l’idée s’ancrait. Mais qui avait pu commettre un crime aussi odieux et pourquoi ?

Si Warren était encore aux commandes du Yard, il n’eût pas hésité, même une seconde, à lui faire part de son impression, mais avec un abruti de cet acabit et surtout dans sa propre situation, c’eût été jouer avec le feu.

Pour ne pas se montrer indiscrets, Aldo et Adalbert s’étaient écartés de quelques pas. Wolsey se hâta de les rejoindre, encore tout fumant d’indignation :

— Quel rustre ! Non, mais quel rustre ! Il va falloir que j’en parle à mon père parce que je me demande comment cet incapable a réussi à se glisser dans le fauteuil de Warren, et cela m’étonnerait fort que ce soit celui-ci qui l’ait recommandé !

— Il arrive que l’on se trompe, hasarda Adalbert. Ou alors ce Mitchell possède-t-il plus de talents qu’il n’en a l’air...

— À moins qu’il ne s’agisse de liens d’amitié ? compléta Aldo.

Ce à quoi Peter répondit par une sorte de grognement :

— On voit bien que vous ne connaissez pas le vieux « ptérodactyle » !

La stupeur fit perdre aux deux hommes la suite du discours. Le surnom qu’eux-mêmes avait donné d’emblée à Warren au début de leurs relations – épineuses ! –, allusion au vieux macfarlane jaunâtre dans le meilleur style Sherlock Holmes dont les emmanchures en forme de cape évoquaient les ailes membraneuses de l’oiseau préhistorique. Seule note fantaisiste chez un homme habillé visiblement par un bon tailleur et toujours impeccable. S’y ajoutait l’œil rond, de couleur moutarde lui aussi, qui accentuait la ressemblance et dans lequel il semblait impossible de faire briller la moindre lueur de sympathie. Cela n’avait d’ailleurs pas empêché Gordon Warren de lier une sorte d’amitié avec les deux compères, amitié qui s’était révélée parfois extrêmement utile. Un peu comme avec Langlois, et si l’on y ajoutait le chef de la Police métropolitaine de New York, Phil Anderson, ces hommes étaient, selon Morosini, les seuls policiers de la Terre qui ne se fussent pas pris d’une immédiate antipathie pour lui en raison d’une foule de détails dont le titre princier n’était pas le moindre...