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Cette fois, le tandem se contenta d’échanger un sourire, augmentant l’espèce de sympathie amusée que leur inspirait l’Honorable Peter... et permit à celui-ci de les emmener tâter du haddock à la crème – rance ! – du Devon.

— J’aurais aimé essayer d’en apprendre davantage sur ce malheureux que l’on vient de repêcher, expliqua Peter, mais là, ce n’est vraiment pas la peine de se priver : on a largement le temps avant d’aller se pendre à la sonnette d’Hever Castle.

Et l’on ne coupa pas au régal. Tout au moins Adalbert, Aldo ayant employé le trajet à se découvrir un problème de vésicule biliaire en rapport avec le maquillage – discret mais plutôt verdâtre – qui corrigeait son teint naturellement mat.

Malheureusement, il dut renoncer aussi aux œufs et se « pourlécher » d’un genre de pâté au goût indéfinissable sur la provenance duquel il se posa des questions, auxquelles Sa Seigneurie apporta une réponse qui lui fit regretter le haddock, même à la crème aigre. Il s’agissait du « haggis », le plat national écossais, l’épouse du cuisinier ayant vu le jour dans les « Hautes Terres » !

Il y a des jours comme cela où l’on se croit poursuivi par le destin...

Comme l’expliqua doctement l’Honorable Peter à ses nouveaux compagnons, l’Américain Astor – qui n’était pas encore lord ni même anglais mais simplement très riche – représenta la chance d’Hever Castle. Habité par la passion de l’Histoire – il avait pondu quelques romans historiques où des fantômes se promenaient à longueur de nuits et même de jours, et il souhaitait se trouver un cadre où ils se sentiraient bien chez eux, et d’autant mieux qu’il rêvait de s’introduire dans la peau d’un bon Anglais, si possible décoré d’un blason et d’un titre de lord.

Il rencontra son rêve quand, parcourant en solitaire la campagne comme il aimait le faire, il tomba sur un vieux château assez délabré mais qui conservait encore une certaine allure. Naturellement, il se renseigna. Construit au XIIIe siècle, Hever avait été acheté en 1500 par la famille Boleyn dont la plus illustre représentante, lady Anne, allait faire perdre la tête au volcanique Henry VIII, en attendant de perdre la sienne au pied de la Tour de Londres sous l’épée du bourreau de Calais que l’on avait fait venir pour la circonstance5.

Entre-temps, elle avait fait divorcer le gros Henry de Catherine d’Aragon, créant un schisme qui séparerait à jamais la royauté anglaise de la papauté, s’était fait couronner reine, mais n’avait jamais été capable d’offrir à son époux l’héritier mâle qu’il désirait.

— Après son exécution, son père, mis en quarantaine par ses voisins effrayés, vécut à Hever jusqu’à sa propre fin, et Henry, ne sachant trop que faire de ce château plus ou moins maudit, l’offrit à sa quatrième épouse, Anne de Clèves, une futée celle-là. Laide mais de joyeuse compagnie, elle n’inspira au roi aucune pensée libidineuse et occupa leur nuit de noces à jouer aux cartes où elle était très forte. Divorcée, heureusement, et décorée du titre de « sœur du Roi », elle vécut dès lors dans l’opulence et le plus agréablement du monde, mais rarement à Hever qu’elle trouvait trop solitaire. Le château vivota comme il put, jusqu’à ce qu’Astor le rencontre et en tombe amoureux.

— Il devait être plutôt délabré ?

— Plutôt, oui, mais l’homme était riche et on réalisa ce que vous allez découvrir. Avant lui, le « parc » ne comprenait que des marais, des prairies et des vergers à l’abandon. Il ne regarda pas à la dépense et, pendant quatre ans, des ouvriers défrichèrent 18 hectares. Détournée de son cours, la petite rivière Eden devint un lac assez large pour que des bateaux puissent y voguer, et, derrière le lac, les jardins furent dessinés sur le modèle des villas romaines...

— Romaines ? Chez les Tudors ? Ça ne va pas faire du tout notre affaire !

— Un peu de patience ! On n’en est pas là ! Astor a bien appris sa leçon. À partir d’une certaine date, je ne saurais vous préciser, il aurait rencontré la nuit de Noël le fantôme de la reine et, depuis, c’est comme s’il s’était mis entièrement à son service...

— Elle avait sa tête en place ou sous son bras ? lâcha Adalbert à qui son rôle de mâcheur de chewing-gum hollywoodien était parfois insupportable.

Ce qui lui valut un coup d’œil indigné de Sa Seigneurie :

— On ne plaisante pas avec cela ! Mon sang s’honore lui-même de quelques gouttes du sien !

« Un vrai miracle, pensa Aldo, amusé. Anne Boleyn n’ayant eu qu’un enfant, Elizabeth dite la Reine Vierge, je me demande comment on en est arrivé là ? »

Quoi qu’il en soit, le château, sans être immense, avait grande allure avec ses minces tours carrées encadrant un pont-levis impressionnant et les bâtiments de pur style Tudor qui leur faisaient suite.

— Tiens ! Un pont-levis ! fit Adalbert qui, pour faire plus vrai, avait entrepris de prendre des notes tandis que son complice sortait un appareil photo – qu’on lui fit ranger aussitôt en déclarant qu’il fallait une autorisation ! Est-ce qu’il fonctionne ?

— Je pense bien ! Astor veille de près à son entretien comme à celui des douves. Il est relevé chaque soir, dès que les invités éventuels ont été dirigés vers leurs cottages respectifs.

En effet un vrai village – ravissant, selon le goût d’Aldo – s’élevait à peu de distance. Trop silencieux aussi : il y manquait l’auberge traditionnelle sans laquelle aucun village anglais ne saurait exister valablement. Comme cela faisait partie de son rôle, il en fit la remarque. Sa Seigneurie la balaya d’une main désinvolte :

— Votre firme a sûrement les moyens d’en bâtir une et il s’en trouve un peu partout dans les environs qui seront ravies de se mettre à votre service. On apprécie les dollars presque autant que la livre sterling. Voyons maintenant si l’on aura l’obligeance de nous recevoir...

À première vue, ce n’était pas évident. Quand la Bentley s’engagea sur le pont-levis, la herse était baissée et deux hallebardiers on ne peut plus « Tudor » vinrent croiser leurs armes devant le noble radiateur. N’hésitant pas à remonter les siècles, Finch descendit, eut une brève inclinaison du buste et, solennel à souhait :

— Mon maître, l’Honorable sir Peter Wolsey, fils de Sa Grâce le duc de Cartland, souhaiterait s’entretenir un moment avec votre maître. Il s’agit d’une affaire importante qui pourrait séduire lord Astor. Est-il présent ?

En même temps, il tendait une carte de visite armoriée dont l’autre se saisit avec le respect convenable, et, sans lâcher sa hallebarde, il prit sa course à travers la cour intérieure pour reparaître peu après :

— Mylord attend Sa Seigneurie !

— Et mes compagnons ? Ce sont eux les plus intéressants pour lui !

— Naturellement ! S’il en était autrement, je l’aurais déjà dit !