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En effet, la flèche fulgurante d’un éclair venait de frapper le couronnement de l’une des tours d’entrée du château, ajoutant une nouvelle touche dramatique à un décor qui n’en manquait déjà pas.

— Dommage que cette histoire de film soit du bidon ! regretta Aldo. Ça aurait pu donner quelque chose de vraiment bien !

— Ma parole, tu t’y crois ? Si lord Astor avait accepté, on s’en serait tiré comment ? Je sais bien que dans ce monde-là toutes les échappatoires sont possibles. Alors qu’il ait accepté ou non... nous, au moins, on aura eu un beau spectacle ! Et maintenant on dîne ! Je meurs de faim et on va pouvoir manger sans se faire du souci pour tes prothèses dentaires.

L’excitation de l’aventure les creusant comme ils en avaient l’habitude, ils firent honneur à ce que la maison leur offrait et qui, pour être campagnard, n’en était pas moins, selon eux, franchement supérieur à la « cuisine » traditionnelle anglaise. Leur menu de charcuterie, beurre, pain frais – il y en avait dans une huche ! –, œufs, confitures, arrosé d’un petit marsannay sans prétention, leur convenait tout à fait, et ils le terminèrent par un excellent café – l’un des rares talents culinaires d’Aldo ! – arrosé d’un cognac hors d’âge.

— Et à présent on va tâcher de passer une bonne nuit, conclut Adalbert en jetant dans le feu toujours bien flambant de la cheminée le mégot de son cigare, pur produit de La Havane un peu trop luxueux pour un simple cinéaste de repérage. Mais il m’est venu une idée...

— Laquelle ? Tu en as tellement !

— Si j’étais lady Nancy, j’inviterais Ava à coucher au château, un jour par exemple où Astor ne serait pas là. Rien que pour voir ce qu’en feraient les fantômes ! Elle deviendrait peut-être folle ?

— Elle l’est déjà !

— Oui, mais là, pour de bon ! À enfermer !

— Elle serait capable de mettre en fuite les aliénistes les plus confirmés. Et avec tout ça on fait quoi demain matin en quittant ce chef-d’œuvre Tudor ?

— J’y pensais. On pourrait cultiver nos relations avec l’Honorable Peter Wolsey. Vu qu’il est introduit dans la meilleure société. Il est curieux comme un chat et, sous des dehors farfelus, je crois qu’il est loin d’être un imbécile !

— J’adhère ! Pour l’instant, d’ailleurs, on n’a rien de mieux à se mettre sous la main.

Après avoir éteint le salon, ils regagnèrent leurs chambres respectives et Aldo s’apprêtait à se mettre au lit, quand Adalbert reparut :

— Viens voir ! je viens de faire une trouvaille !

Et il sortit de derrière le lit une valise plate et rectangulaire, d’où il retira un portrait qu’il mit sous le nez de son ami !

— Qu’est-ce que tu dis de ça ?

Trop stupéfait pour s’exprimer, Aldo eut soudain sous les yeux son propre portrait.

— Mais... c’est moi ?

— Et signé Mary Windfield, s’il te plaît ! Seulement, à y regarder de plus près, ce n’est pas vraiment toi et Mary ne donne jamais dans l’approximatif !

— Ce qui signifie ?

— Que si ce n’est toi, c’est donc ton frère... ou plutôt celui qui s’est présenté en s’annonçant comme le prince Morosini. J’admets que cela peut marcher, en particulier, avec quelqu’un qui ne t’a jamais vu, comme ça a été le cas d’Astor. De simples détails mais combien parlants : la couleur des yeux, par exemple, a été retouchée, leur forme aussi – à savoir à l’aide de ces petits collants dont M. Duval t’a pourvu si généreusement. Le type qui a fait ça n’est pas maladroit, d’ailleurs, et doit posséder un certain talent de peintre. Il en faut pour avoir le culot de « corriger » Mary, mais je pense que là réside la clé de ce qu’on pourrait appeler le mystère d’Hever Castle. Vis-à-vis des photos de journaux, c’est du bon travail... seulement ce n’est pas vraiment toi.

— Bon ! Si c’est ça, conclut Aldo, on emporte discrètement ce truc et de retour à Londres on ira droit voir Mary pour lui demander ce qu’elle en pense...

— Non, corrigea Adalbert, j’irai voir Mary tout seul pendant que tu m’attendras caché dans un coin ! Il ne faut surtout pas que l’on te voie à visage découvert ! En outre, Mary me paraît le meilleur lien possible avec Paris. Alors, le portrait, on l’emporte ?

— Finalement, je pense que non. On va le cacher ailleurs en prenant soin de laisser la boîte à sa place.

— Le cacher ailleurs ? Où ?

— Ici même. Si les indigènes s’aperçoivent qu’il n’est plus dans sa boîte, ils n’imagineront certainement pas qu’il est encore là !

— Ton raisonnement se tient ! Quoique cela m’ennuie un peu de laisser une pareille preuve derrière nous, mais tu as sans doute raison ! En tout cas nous savons au moins une chose : c’est à quoi ressemble exactement le faux Morosini, et ça c’est, comme disent les Anglais, « un morceau de chance » ! Il n’empêche qu’on peut se demander dans quel panier de crabes on est tombé. Si Ava est folle, les autres Astor ne valent guère mieux !

— Oh, je les crois aussi innocents que nous dans cette histoire. N’oublie pas qu’on leur a volé le Sancy et que lord Astor y tient autant qu’à ses fantômes.

— Bon ! Assez causé ! À présent on le met où, ce machin ?

Après avoir longuement réfléchi et débattu, on opta pour le dessus du baldaquin d’un des lits dont les colonnes étaient assez solides pour supporter le poids d’un homme. Ce dont Adalbert s’assura :

— On ne doit pas faire souvent le ménage, constata-t-il. C’est plein de poussière là-haut. Il va falloir chercher ce qu’il nous faut pour l’envelopper.

La cuisine ne manquant pas de linge utilitaire, on choisit un grand tablier de caviste, en forte toile grise, dont les cordons allaient permettre de fixer solidement l’emballage.

— Je ne me voyais pas comme ça ! remarqua Aldo en contemplant une dernière fois le portrait. Ce n’est pas moi !

— Pour quelqu’un qui te connaît bien, pas tout à fait, mais quand on ne t’a jamais vu que dans les colonnes des journaux, ça peut faire illusion ! La meilleure preuve est que cela a réussi.

— Mais enfin, on ne m’a pas vu que dans les journaux ? Je me croyais plus connu !

Adalbert se mit à rire :

— Tu ne vas pas te vexer maintenant ? Tu as vu Astor ? Il s’est choisi le siècle des Tudors et ne vit qu’avec ses ectoplasmes, et on peut comprendre pourquoi sa femme s’est lancée dans la politique. C’est à vous rendre neurasthénique, un mari comme celui-là, Sancy ou pas ! À ce propos j’aimerais savoir où il le rangeait, son diamant bien-aimé, et comment l’autre a réussi à le sortir si facilement ?

— Écoute ! On reparlera demain. Pour l’instant, j’ai sommeil !

— Encore un moment ! Il me plairait d’emmener un souvenir, ajouta-t-il en allant prendre un appareil photographique ainsi qu’un flash à magnésium. Tiens, il me reste juste une photo sur cette pellicule. On va l’utiliser !

Quelques minutes, un éclair de magnésium et ce fut fait. Adalbert changea alors le rouleau usé qu’il mit dans sa poche en disant :

— On est cinéastes ou pas ? Il faut bien que ça serve à quelque chose

Le temps cependant ne s’arrangeait pas. Par moments, l’orage semblait s’éloigner mais c’était pour n’en retentir que de plus belle. En gagnant enfin son lit, Aldo se demandait si ses nerfs surchauffés allaient lui permettre de trouver un repos dont il avait cependant grand besoin. Pour Adalbert, la question ne se posait pas : il possédait le précieux privilège de s’endormir n’importe où et à volonté, et de se réveiller tout aussi aisément. Ce n’était pas son cas à lui et il s’attendait à subir les affres d’interminables cogitations, les yeux grands ouverts dans l’obscurité traversée d’éclairs. Quand, soudain, il sombra dans les bras de Morphée...