— Et vous tournerez en rond chez elle à longueur de journée, ne sachant que faire de vous ? Croyez-moi, rentrez en Autriche où vous êtes entourée de presque tous ceux que vous aimez ! Je vous informerai autant que possible... et je serai plus tranquille pour votre sécurité...
Elle réfléchit quelques secondes :
— Après tout, vous avez raison ! soupira-t-elle. Les enfants me manquent déjà et j’ai besoin d’eux autant qu’ils ont besoin de moi. Sans compter ma grand-mère !
— Et c’est votre refuge naturel ! Croyez-moi, c’est la sagesse !
Plan-Crépin, pour sa part, retint un soupir de soulagement. La sombre perspective des nuits blanches passées à remonter le moral de Lisa s’éloignait. Et c’était déjà une bien bonne chose ! Elle n’osa pourtant pas croiser le regard ironique de Mme de Sommières... qui lisait en elle comme dans un livre ouvert.
Lisa, cependant, avait encore quelque chose à dire :
— Au fond, pourquoi cacher Adalbert ? Il n’a rien fait, lui, et vous pourriez facilement le faire réclamer par l’ambassadeur de France ? Il ne faut pas oublier qu’il est membre de l’Institut, et c’est une notabilité !
— Certes, sauf qu’après l’épisode cinématographique on ne manquerait pas de l’accuser de complicité. Faites confiance à Mitchell pour ne lâcher aucun des atouts qu’il a en main. Personne n’aura l’idée d’aller le chercher chez le fils du duc de Cartland, un pair du royaume qui, lui, n’est pas du tout commode ! D’autre part, cela m’étonnerait beaucoup qu’il accepte tant que l’on ignore où se cache son ami...
— Le « plus que frère » ? Je sais. Il me reste à vous remercier de l’aide que vous avez la bonté de nous apporter, monsieur le commissaire principal !
— Dans cette affaire, princesse, j’aimerais que vous voyiez en moi l’ami bien avant le policier. J’apprécie beaucoup votre mari et son inséparable, ceux que Mlle du Plan-Crépin appelle, elle, « les frères de la côte ».
— En vous écoutant, coupa Mme de Sommières, il m’est venu une idée : pourquoi ne pas offrir une récompense à qui fera retrouver le Sancy ? Une récompense qui en vaille la peine, s’entend ?
— Cela peut aller très loin. Imaginez que l’on vous demande la collection Morosini, par exemple ?
— Ava Astor prétend que c’est lui qui détient le diamant.
— Après s’être changé en cambrioleur pour le lui offrir ? Comment cette idée a-t-elle pu lui passer par la tête ?
— Ah, cela vient d’une de ces phrases idiotes qu’on lâche quand on est reconnaissant, par exemple. Pour celle-là, il faut retourner à Pontarlier. Aldo, qui s’était mis sans le savoir dans un mauvais cas, a été tiré d’affaire par Ava qui, sans même s’en douter, a apporté un témoignage irréfutable ! Il était tellement soulagé qu’il lui a sauté au cou en lui jurant qu’il lui procurerait un diamant comme elle en rêvait, dût-il « voler une pierre dans la Tour de Londres » ! Voilà d’où cela vient.
— Vous savez s’il en avait un en vue ?
— Évidemment : racheter à Kledermann le « Miroir du Portugal », l’un des Mazarins, donc plus ou moins frère du Sancy. Il le lui avait vendu lui-même et ne doutait pas de pouvoir le reprendre. Kledermann ne le lui aurait pas refusé dans ces conditions... et puis un beau matin, elle lui est tombée dessus en réclamant le Sancy qui venait d’être volé. Malheureusement, ce soir-là Aldo était encore en Angleterre, aux prises avec un début de bronchite et déjà en route pour rentrer chez lui !
— Oh, je me souviens et vais réfléchir à cette suggestion de récompense... mais d’abord faire en sorte que l’on retrouve Kledermann et qu’on le mette au plus vite sur le chemin du retour ! Et vous, princesse, vous me promettez de rentrer à Rudolfskrone ?
— Je vous le promets. Je m’y sentirai mieux !
« Et moi donc ! » pensa Plan-Crépin, fort peu soucieuse de pratiquer ou non la charité chrétienne.
Mme de Sommières souhaitait tout de même rester quelques jours chez elle pour se « remettre les pieds sur terre », pensant que son atmosphère habituelle pourrait être le meilleur des toniques. Seulement, elle aussi espérait secrètement que Lisa allait repartir immédiatement. Ses nerfs surchauffés étaient débilitants. Elle se souvenait trop de cette affreuse période où, sûre de l’infidélité d’Aldo et d’ailleurs droguée, la jeune femme leur avait fait vivre des moments difficiles. Elle haïssait alors son époux et l’on avait pu douter un temps de sa raison.
Plan-Crépin en pensait tout autant et devait lutter pour ne pas lui demander avec son redoutable franc-parler quand elle pensait rejoindre l’Autriche. Pour se soutenir, elle avait retrouvé avec joie sa chère messe de 6 heures à Saint-Augustin, et le petit groupe de gens de maison et autres lève-tôt avec lesquels elle s’était constitué une pittoresque mais assez efficace agence de renseignements sur ce qui se passait dans le quartier, et même en dehors. Surtout celle qu’elle considérait comme son meilleur élément, Eugénie Guénon, la cuisinière de la princesse Damiani, de l’avenue de Messine. Elles s’installaient d’ailleurs toujours côte à côte.
Elle fut accueillie avec la satisfaction que l’on imagine. D’autant que l’affaire du Sancy était presque aussi connue à Paris qu’à Londres.
— Enfin, vous voilà ! souffla Eugénie quand elle vint s’agenouiller près d’elle à la place que personne ne se serait permis d’occuper en son absence. On commençait à désespérer. Ça n’a pas l’air de s’arranger là-bas ?
— Vous pouvez le dire, même si l’on a remporté une demi-victoire...
— Comment l’entendez-vous ?
— Nos deux messieurs avaient disparu et on en a retrouvé un !
— Le prince ?
— Non. Son ami. Lui, personne n’a l’air de savoir où il est.
Le chapeau de paille noir orné d’une rose qui couronnait le chignon de la cuisinière eut un tressaillement indigné :
— Racontez-moi ça !
La sonnette de l’enfant de chœur précédant l’entrée en scène du prêtre coupa court. On s’agenouilla sur les prie-Dieu en se signant, et il fallut bien se résigner à attendre la fin de l’office qu’Eugénie, pour sa part, suivit avec une distraction qui lui valut quelques coups de coude de Plan-Crépin et un coup d’œil sévère de l’officiant.
Elle grillait de curiosité et, un peu honteuse, récita avec ardeur l’acte de contrition avant la communion.
Enfin la messe s’acheva. Le prêtre, son enfant de chœur et sa sonnette rejoignaient à peine la sacristie qu’elles étaient à nouveau assises après quelques saluts discrets à des connaissances.
Après avoir brossé un tableau rapide de la situation générale, Plan-Crépin conta le sauvetage quasi miraculeux d’Adalbert et ce qu’elle avait elle-même éprouvé en regardant le vieux cottage. Eugénie ouvrit de grands yeux pour la considérer avec un respect tout neuf :
— Mais... on dirait que vous avez des dons ?
— Vous croyez ? fit modestement Marie-Angéline qui d’ailleurs n’en doutait déjà plus.
— C’est évident ! Vous devriez aller consulter !
— Mais je ne suis pas malade.
— Je ne parle pas d’un médecin mais d’un spécialiste... un médium confirmé, quoi !
— Ah, une de ces bonnes femmes qui vantent leurs talents dans les petites annonces des journaux ? Genre Mme de Memphis !
— Toutes des charlatans et celle-là c’est la pire. Non, un vrai ! De ceux dont l’on se passe les adresses discrètement.
— Pour cela, il faudrait en connaître une !
— Un ! C’est d’un homme dont on m’a parlé ! Il ne reçoit que des gens sérieux, paraît-il ! Pas des curieux !