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La dame en question n’étant éloignée que d’environ deux mètres...

Pour la duchesse Caroline, la cause était entendue et, étant d’une nature impétueuse, il avait fallu l’intervention, non de son époux qui confondait autorité et mauvais caractère, mais de deux ou trois amis pour l’empêcher de voler dans les plumes d’autruche de la délicieuse Ava.

Depuis, Sa Grâce avait rencontré quelques occasions d’asséner des vérités premières à son ennemie qui lui détendaient les nerfs et mettaient en joie ses nombreux amis, soutenue brillamment par son fils Peter, la prunelle de ses yeux, et qui d’ailleurs adorait sa mère sans en faire pour autant étalage. Aussi le scandale suscité dans la haute société – et même ailleurs ! – les voyait-il côte à côte prêts à en découdre pour la bonne cause.

Si Peter n’avait pas encore eu l’occasion de rencontrer Aldo, sa mère, elle, le connaissait un peu, ayant franchi le seuil du palais Morosini plusieurs années plus tôt pour voir un magnifique rubis birman ayant appartenu à la Grande Catherine. Non pour l’acheter, juste pour l’admirer. En effet, le destin avait voulu qu’elle partageât avec lady Ribblesdale la passion des pierres précieuses, à cette différence près que la provenance lui était indifférente. Elle aimait les pierres simplement pour leur beauté, qu’elles soient montées ou non.

Pour Ava, aimer signifiait convoiter et posséder. Or, depuis des décennies, Ava enviait férocement le Sancy à sa cousine Nancy. Car elle ne pouvait s’empêcher de l’admirer quand au cours d’une soirée celle-ci le portait dans ses cheveux ou à son cou. Possédant elle-même de très beaux bijoux de famille, dont un Mazarin, Caroline avait apprécié pleinement sa visite à Venise, l’harmonie du palais, l’accueil du délicieux M. Buteau et la compagnie du couple Morosini. Aussi la nouvelle du vol du diamant avec Morosini comme coupable désigné l’avait-elle mise hors d’elle :

— On ne peut tout de même pas laisser commettre un tel crime sans bouger un cil ? Ce pauvre Morosini risque d’y laisser son honneur et Dieu sait quoi encore ?

— Je partage entièrement votre indignation, mère, et je n’ai pas attendu que vous m’en parliez pour étudier la question.

— Et le résultat ?

— Il faut se débrouiller de notre mieux pour pourrir la vie de cette bonne femme infernale ! Seulement ce n’est pas si facile : les gens sont si férus de scandales...

C’est alors que l’exposition de Mary Windfield lui avait fourni l’occasion d’envoyer sa première flèche et, depuis, il avait tenu Caroline au courant des péripéties de l’aventure dans laquelle il avait plongé à pieds joints, approuvé sur toute la ligne par la duchesse qui l’avait assuré d’un soutien sans faille. En cas de besoin, il pouvait utiliser n’importe laquelle de leurs résidences comme refuge, sauf le château familial du Devon où le duc vivait le plus souvent. La seule chose que l’Honorable Peter avait gardée pour lui, c’était le sentiment que lui inspirait à présent Lisa Morosini. Même la meilleure des mères cultive dans un coin de son cœur un petit plant de jalousie en ce qui concerne son enfant préféré.

Naturellement, elle était allée faire la connaissance d’Adalbert avec une sorte de ravissement ! Pensez donc ! Un égyptologue ! Un homme adonné à l’une des sciences les plus hermétiques qui soient ! Il n’avait eu aucune peine à s’en faire une amie. Malheureusement, on n’en savait toujours pas davantage sur ce qu’Aldo avait pu devenir et, chez Adalbert, l’angoisse ne lâchait pas prise...

Pour se calmer les nerfs et en attendant le retour des Parisiennes, la duchesse décida de faire passer un mauvais quart d’heure à son ennemie et, pour cela, de donner un bal.

Comme c’était l’une des manifestations mondaines que le duc et son fils aîné Randolph, sa copie à peu près conforme, n’appréciaient pas, elle les en informa afin de les inciter à prendre le chemin de Cartland le plus tôt possible, lança ses invitations en s’excusant du peu de temps laissé pour s’y apprêter, alléguant un anniversaire qu’elle avait failli oublier. Ses réceptions étant très courues, elle savait qu’elle aurait beaucoup de monde.

— Et vous avez invité la Ribblesdale ? s’étonna Peter.

— Quand on veut infliger une leçon à quelqu’un, il est préférable qu’il soit présent, répondit-elle, logique.

— Elle ne viendra pas !

— Vous voulez parier ? Elle, manquer une telle occasion de faire admirer sa splendeur ? Elle irait jusqu’en enfer pour cela !

— Je ne parie jamais quand je suis sûr de perdre, et surtout contre vous !

En effet, ladite Ava accepta l’invitation.

Ce fait acquis, la duchesse Caroline s’en alla chez son joaillier Thomas Winkerson qui était assez réputé pour se permettre de choisir ses clients. Caroline était l’une de ses préférées et l’une des très rares qui savaient jusqu’où allait son talent. Elle y passa une bonne heure, après quoi elle en consacra une autre à son couturier, puis rentra plus que satisfaite.

Au soir prévu, le somptueux hôtel des ducs de Cartland à Mayfair brillait de mille feux comme un sapin illuminé une nuit de Noël, et de nombreuses Rolls et autres Bentley déversaient la majeure partie du gratin londonien devant le tapis aubergine étalé sur les marches du péristyle, brillamment éclairé par de nombreux lustres en cristal de roche qui renvoyaient en d’innombrables éclairs les joyaux des dames.

Première surprise : ce n’était pas la duchesse qui accueillait ses invités, c’était l’Honorable Peter, admirablement accommodé dans un habit de soirée coupé par le meilleur tailleur de Saville Row. Tout sourires, il était chargé de recevoir, excusait sa mère sur le retard impardonnable d’un fournisseur, mais nul ne s’en offusquait, Peter ayant une façon bien à lui de présenter les choses et, contrairement à d’autres, comptant beaucoup plus d’amis que d’ennemis dans la brillante assemblée !

Enfin, la duchesse parut en haut du grand escalier à double évolution qui desservait les salons, saluée par un immense « oh » admiratif aussitôt suivi d’un silence stupéfait... Vêtue d’une robe relativement simple, mais admirablement taillée en satin gris tourterelle avec écharpe assortie portée négligemment au creux du coude, elle n’avait que peu de bijoux : de minces cercles de diamants aux poignets et le plus gros saphir armorié qui avait été la bague de fiançailles de toutes les duchesses de Cartland, mais surtout elle arborait une pierre fabuleuse dans sa chevelure argentée coiffée en hauteur : le Sancy !

Jamais on ne l’avait vue si belle, et, tandis que Peter grimpait les marches quatre à quatre et lui offrait son bras pour descendre, les applaudissements éclatèrent, aussitôt couverts par de véritables hurlements de fureur :

— Le Sancy ! C’est elle qui l’a ! « Mon » Sancy ! Ce misérable le lui a vendu à elle, plus cher qu’il ne me l’aurait vendu à moi !

C’était la « douce » Ava qui, incapable de se contrôler, explosait littéralement. Elle s’apprêtait même à se jeter sur Caroline, quand Peter, tout de même un brin surpris par une réaction si délirante, l’empoigna pour la maintenir fermement. La duchesse, elle, restait impassible et conservait son sourire. Tout marchait ainsi qu’elle l’avait espéré !

— Qu’entendez-vous par « votre » Sancy, lady Ribblesdale, fit-elle froidement. Il ne vous a jamais appartenu, que je sache ?

— Là est le scandale ! Ce maudit Morosini me l’avait promis...

— J’ai entendu parler de la Tour de Londres ! Ce n’est pas tout à fait pareil, question de dimensions ! Je ne vois pas qui pourrait réaliser un tel exploit !

— Moi non plus, mais quand j’ai appris qu’il avait réussi à voler le Sancy, je me suis précipitée chez lui pour le chercher, or il a refusé de me le donner. J’étais sûre qu’il ne pouvait se résigner à s’en séparer et que, tout compte fait, il préférait le garder pour lui ! Et je le vois là, là, devant moi, sur votre tête ! Combien vous l’a-t-il vendu ?