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Avant de répondre, Caroline la considéra un instant avec un sourire empreint de curiosité :

— Je me demande si vous vous rendez bien compte de ce que vous êtes en train d’avouer en face du Tout-Londres ? Que dis-je ? Avouer ! C’est proclamer qu’il faudrait dire !

Or Ava était au-delà du raisonnement :

— C’est plutôt à vous de vous expliquer ! Comment avez-vous eu ce diamant ?

— Disons que c’est mon secret !

— Vous appelez ça un secret ? C’est clair, il me semble : Morosini a volé le diamant à lord Astor...

— Qui ne l’avait jamais vu et n’en viendrait peut-être pas à jurer sur l’honneur que c’était lui...

— Mais qui a porté plainte ! Et au lieu de tenir sa promesse et de me le donner, je découvre que c’est vous qui l’avez !

— Et qu’avez-vous fait, alors, dans votre grande honnêteté ? Vous vous êtes précipitée dans le camp Astor et vous avez dénoncé Morosini !

— Naturellement !

— Et vous trouvez cela naturel ? Mais dites-moi, en admettant que le prince Morosini – qui a droit à ma compassion comme à celle des gens de bien ! – vous ait remis le Sancy, l’auriez-vous caché ou porté ?

— C’est ce que vous faites, non ? Oui ! Je l’aurais porté... comme vous !

Le sourire de Caroline :

— Et il ne vous viendrait pas à l’idée de ce que pourrait penser lady Astor en découvrant son diamant sur votre crâne ? Normalement, elle aurait dare-dare porté plainte contre vous... pour recel. Et c’est puni de prison !

Ava vint la regarder sous le nez avec un rire de folle :

— Et c’est donc ce qu’elle va faire sans plus tarder, ma petite duchesse ! En prison, la Cartland ! En prison !

— Mère ! intervint Peter, permettez que je lui tape dessus ! Cette femme déshonore la noblesse anglaise et je plains les Astor...

— Du calme, Peter ! Je sais ce que je voulais savoir... Quant à vous, Ava Astor Ribblesdale et Dieu sait quoi encore, sachez que ce n’est pas demain que je vais goûter le pain noir de nos geôles, et cela pour la meilleure des raisons : ce n’est pas le vrai Sancy que j’offre à l’admiration générale. Celui-ci est un faux... imité à la perfection, j’en conviens, et c’est parce que je savais qu’il existait que je me le suis fait prêter, expliqua-t-elle en retirant de sa chevelure la pierre que Peter mit dans sa poche. Et à présent finissons-en ! Vous pouvez regagner vos pénates ! lança-t-elle pour Ava. Je ne veux plus vous voir chez moi et, à partir de ce soir, chacun de vous, mes amis, qui recevra cette femme devra m’effacer de la liste de ses invités : Un : je n’irais pas et, deux : vous n’imaginez pas à quel point je peux me montrer odieuse ! Et maintenant, que la fête commence !

Au milieu d’un silence sépulcral, Ava demanda sa voiture et disparut.

— C’est ce que j’ai encore vu de mieux en fait d’exécution capitale, estima Sa Seigneurie quand, alors que la nuit était bien avancée, il se retrouva assis dans le petit salon de Caroline en train de boire avec elle une dernière coupe de champagne, mais je ne suis pas certain de vous approuver entièrement !

— Pourquoi, mon Dieu ? Cela fait un moment que j’en avais envie et ne me dites pas que ce n’était pas mérité ?

— Oh, amplement ! Seulement je serais plus que surpris si elle ne cherchait pas à se venger... et tous les moyens sont bons pour ce genre de créature !

— En un mot comme en cent, vous avez peur pour moi ?

— Peur pour vous ? Pas vraiment ! Vous savez vous défendre autant qu’attaquer, indépendamment de ceux qui vous entourent et qui vous aiment. Je pense aux Astor...

— Qui n’ont pas mérité cela ! Ne me suis-je pas clairement exprimée ? En outre, je m’en expliquerai hautement avec Cliveden et Hever Castle ! Enfin, je serais fort surprise si les trois quarts de la famille sinon la totalité ne pensaient pas comme moi. On ne voit pas beaucoup Ava chez les uns et les autres, et, la plupart du temps, c’est elle qui s’impose sans attendre qu’on l’invite, mais l’esprit de famille exige qu’on la supporte. Qui est son amant ces temps-ci ?

— Vous pensez qu’elle en a encore un ? À son âge ?

— Elle n’en a jamais manqué et elle est encore belle ! Tâchez de savoir, vous qui savez toujours tout ! Cela peut servir !

Tout en parlant, elle avait repris le faux Sancy et le contemplait avec une sorte de tendresse :

— Quelle merveille ! Il faut admettre que Winkerson est un merveilleux artiste !

— Ah ! C’est lui qui ...

— Comme si vous l’ignoriez ! Et maintenant passons à sa victime. Toujours aucune nouvelle ?

— Si. Il serait en vie ! Mme de Sommières et sa cousine viennent de rentrer avec d’étranges nouvelles ! Vivant donc, mais en grand danger. Marie-Angéline (ce nom-là, il l’avait assimilé sans la moindre difficulté) a évoqué une profonde misère qui pourrait être fatale si on ne le retrouve pas au plus vite !

— Misère ? Comment est-ce possible ? Il a tant d’amis ici !

— Mais des ennemis aussi, dont un en particulier que j’aimerais identifier parce qu’il a l’oreille de Scotland Yard !

— Adam Mitchell ? Ce Sherlock Holmes que l’on nous a expédié des Indes ? Comme s’il n’y avait pas assez de bons policiers sur l’île pour suppléer notre Warren ? Il serait temps qu’il se décide à guérir, celui-là !

— Soyez sûre qu’il s’y évertue, mais cela peut être long et il avait été salement touché. On le tient encore à l’écart des nouvelles pour ne pas le fatiguer. Il n’en réclame pas, d’ailleurs, et l’autre en profite ! Il y a ici et là, dans la ville, des affichettes représentant la figure de Morosini.

— Des photos ?

— Non. Des dessins au trait mais assez ressemblants tout de même !

— Et votre rescapé ? Que dit-il ?

— Notre égyptologue ? Il ne dit rien, il écume de fureur à longueur de journée. Il est retapé et Finch a fort à faire à le surveiller. Depuis qu’il a appris ce que je viens de vous dire, il veut se déguiser en clochard pour pouvoir explorer les bas-fonds de Londres. Je ne l’en dissuade pas car si quelqu’un connaît bien Morosini, c’est lui !

— Alors laissons-le agir... et n’oubliez pas non plus que cette maison peut servir de refuge autant que la vôtre !

— Je n’en ai jamais douté ! remercia Peter en se penchant pour l’embrasser, mais on est plus en sûreté chez moi sous l’égide de Finch ! À Mayfair, nous avons notre duc et cet âne pompeux de Randolph, et ce Mitchell est le protégé du chancelier de l’Échiquier.

— Cela ne m’étonne pas de ce crétin de Holland !

— Chut ! Si l’on vous entendait !

— Eh bien, quoi ! C’est ce que pense la majeure partie du Royaume-Uni. (Puis, se laissant soudain emporter par son caractère « soupe au lait » :) Nous avons un roi, que diable ! Et un bon roi ! Un homme d’un courage remarquable qui, à force de volonté, a surmonté un bégaiement tenace qui le paralysait ! J’irai le voir si besoin est ou si ce pauvre prince n’est pas retrouvé vivant ! Sa Majesté me reçoit toujours avec beaucoup de bonté !

L’Honorable Peter éclata de rire :

— Cette blague, mère ! Il a peur de vous ! Tout le monde d’ailleurs a peur de vous... sauf moi ! À présent, souffrez que je vous quitte ! Il se fait tard et demain je dois aller, de bonne heure, acheter des cartes géographiques, et ne me demandez pas pourquoi ! Je vous le dirai plus tard !