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— Un pauv’gars qui déambulait par ici depuis quelques jours. Seulement il était trop gentil... et surtout y causait pas comme nous ! Un des chefs de bande a décidé que c’était sûrement un espion... et tout à l’heure j’l’ai vu embarquer. Pour où ? J’en sais rien. Note, ils auraient pu le tuer mais ils ont préféré s’en débarrasser en l’jetant ailleurs. Faut quand même prendre des gants, des fois qu’il appartiendrait à la police. Lui arrive d’avoir des réactions brutales à la rousse, quand elle pique une rogne...

Le regard angoissé de « Marc » rencontra celui d’Adalbert qui ne put s’empêcher d’enchaîner :

— Y r’essemblait à quoi, ce mec ?

— Difficile à dire ! Grand s’il s’était pas t’nu voûté, plus tout jeune ! Des ch’veux et d’la barbe partout ! J’vois rien d’autre ! Ah si, les yeux ! Ça change pas, la couleur des yeux ! Ça pâlit dans la maladie, c’est tout !

— Et les siens étaient ?

— Bleu clair... tirant sur le vert.

— On pose trop de questions ! souffla Peter à Adalbert.

Et, de fait, le patron commençait à s’intéresser à eux peut-être plus qu’il n’aurait fallu, et d’ailleurs apostrophait le jeune homme :

— Te mêle donc pas de c’qui t’regarde pas ! Et vous, si vous êtes cuités, foutez le camp ! Toi surtout, l’gars au tarin pointu ! T’es curieux... comme une bonne femme !

— Oh, ça va, protesta-t-elle languissamment. Quand on va au bistrot, c’est pour s’en boire un coup et s’changer un peu les horizons ! Sinon la borne fontaine suffirait ! et pour c’que c’est marrant ici !

— D’accord mais moi j’vous ai assez vus ! Alors on s’tire ! Sauf toi, Slobod. Tu me tiens compagnie encore un moment !

En se retrouvant dans la rue obscure, Plan-Crépin était au bord des larmes :

— C’est lui, j’en suis sûre ! On l’a manqué de peu ! C’est fichu pour cette nuit ! Rentrons !

Ils regagnèrent Berner Street sans réelle difficulté –  le crime odieux qui la marquait en faisait un peu sa publicité... – mais en se relayant pour vérifier qu’ils n’étaient pas suivis. En rejoignant Finch, on rejoignit aussi les manteaux, et ceux-ci furent les bienvenus car tous étaient frigorifiés. Idem pour le retour chez Mary où, nantis du chocolat chaud évoqué tout à l’heure avec quelle nostalgie, on lui raconta comment s’était passée cette première exploration.

— En tout cas, constata-t-elle, et même si vous ne ramenez pas Aldo cette nuit, vous l’avez manqué de peu et le pendule de Botti me paraît fiable à cent pour cent ! Il nous dira demain où on l’a emmené.

— Et si c’est dans la Tamise ? évoqua Adalbert, vous croyez qu’il saura indiquer à quel endroit ?

— Sans aucun doute tant qu’il sera vivant ! répondit-elle en caressant avec une espèce de tendresse le bel étui d’or gravé.

— Mais après ?

Marie-Angéline posa la question rituelle et la réponse fut celle qu’elle espérait :

— Toujours vivant !

11

Nuit sur la Tamise

Depuis qu’il s’était endormi dans le cottage d’Hever, Aldo avait l’impression d’avoir été précipité tout droit dans un enfer, un enfer glacé comme seul Dante avait pu l’imaginer...

Il s’était d’abord réveillé couché sous une couverture, à l’arrière d’une voiture roulant à vive allure. Sur les sièges avant, deux hommes lui tournaient le dos et discutaient... de lui !

— Tu parles d’un truc ! disait l’un. Ç’aurait pas été plus simple de lui filer un coup d’surin et d’l’expédier à la baille ?

— T’as rien compris. Ce que veut le patron, c’est en premier de le déshonorer.

— Drôle d’idée ? Pourquoi ?

— Qu’est-ce que j’en sais ? Ce sont les ordres ! Après seulement il s’en débarrassera.

Soudain la voiture s’arrêta :

— Tiens ! Un bistrot, dit l’un d’eux. J’boirais bien un café, moi ! Surtout qu’y fait pas chaud !

— D’accord, mais faudrait peut-être qu’on l’attache ?

— Avec la dose qu’il a eue ? Va dormir comme ça jusqu’à destination.

Les portières claquèrent. Les deux hommes s’éloignèrent. Alors Aldo releva la tête qu’il avait un peu vaseuse. Il ne comprenait rien à ce qui lui arrivait mais une idée surnageait : fuir ! Et le plus vite possible !

Vivement, il ouvrit la portière, se glissa à terre en dérangeant le moins possible la couverture, réussit à refermer sans faire de bruit, se laissa aller et faillit crier : la route était au bord d’un terrain en assez forte pente sur laquelle il roula jusqu’à ce qu’un bosquet d’arbres et un épais buisson l’arrêtent, non sans lui faire mal. Cependant il retint son cri : là-haut la voiture redémarrait. Les truands ne s’étaient aperçus de rien.

Lui aussi, à présent, il fallait qu’il disparaisse, et il se mit en marche dans une obscurité qu’il accommodait relativement bien, cependant une de ses chevilles le faisait damner de souffrance... et il ne portait pas ses vêtements habituels, pas même ceux – trop vastes – du cinéaste américain. Ceux-là – un pantalon effrangé, un vieux paletot de laine gris mité – le défendaient mal du froid de la nuit. Il aurait donné cher pour un café bouillant mais il n’avait pas un sou en poche. En outre, sa tête encore plus ou moins sous l’influence de la drogue ne parvenait pas à retrouver une idée claire, sinon celle-ci : il ne fallait pas rester là car tôt ou tard on le chercherait.

En se relevant avec difficulté, il sentit sous sa main un tronçon de branche morte qui lui fournit un bâton solide sur lequel il s’appuya, puis, claudiquant, il s’enfonça dans l’obscurité sans savoir où il allait. Il se sentait fatigué, si fatigué, et la nuit était si humide. Alors, distinguant à peine ce qui devait être un bâtiment de ferme où il sentit qu’il y avait de la paille, il s’étendit dessus, se roula même dedans avec délices parce que c’était sec et chaud. Enfin, il retomba dans le sommeil...

Une main posée sur son épaule le réveilla :

— Qu’est-ce que vous faites là, mon pauvre monsieur ? s’inquiétait une voix de femme.

Ouvrant les yeux, il vit qu’elle n’était plus de première jeunesse et qu’une vraie compassion habitait son regard las.

— Je crois que je n’en sais rien, madame... J’ai été attaqué, on m’a enfermé et j’ai réussi à m’échapper, mais on m’a dépouillé de tout...

— Vous habitez où ?

— À... à Londres... Je m’appelle Josse Bond.

— Mais pourquoi êtes-vous dans ma grange ?

— Je cherchais du travail et on m’avait dit qu’on embauchait à Hever où l’on emploie toujours beaucoup de monde ! Et puis je me retrouve ici sans savoir comment j’y suis venu...

— On raconte qu’il s’en passe de drôles à Hever. Écoutez, on ne va pas rester là. Je m’appelle Jenny Parker et je vis seule depuis la mort de mon mari. Venez à la ferme. Vous pourrez au moins manger un morceau et ensuite on verra ce que l’on peut faire. Mais vous êtes blessé ? ajouta-t-elle en remarquant sa cheville maculée de sang. Appuyez-vous sur moi, je vais vous soigner !

Ils gagnèrent lentement la modeste ferme qui ne respirait pas la prospérité, néanmoins Aldo put se régaler d’une omelette, d’une soupe aux choux que normalement il détestait mais qui lui parut divine. En même temps Jenny soignait sa cheville.

— Je vous garderais volontiers mais je ne vois pas à quoi je pourrais vous occuper ? Vous voulez aller où d’abord ?

— À Londres, où j’ai, certes, des ennemis mais où je pourrais le mieux me défendre.