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— Allons donc ! Il a les plus beaux yeux noisette qui soient, dommage que lady Nancy ait été absente. Elle au moins les aurait appréciés à leur juste valeur ! Les femmes sont imbattables sur ce terrain !

— Cela lui aurait été difficile ! Il se plaignait d’une conjonctivite aiguë et portait des verres teintés !

Cette fois, le père de Lisa avait compris. Astor avait bel et bien eu affaire à un imposteur, mais il n’en démordrait pas pour un empire, redoutant de passer pour un imbécile. D’ailleurs il se levait, soudain très raide :

— Vous avez entendu mon dernier mot, mon cher Kledermann. Retrouvez mon Sancy et nous redeviendrons amis comme devant !

— Il faudrait encore que, moi, j’en aie envie... et cela m’étonnerait fort !

Et il était reparti !

Chose étrange chez un homme aussi sûr de lui, Angelo Botti venait de se manifester à nouveau :

— Je vous ai donné un conseil idiot ! déclara-t-il en toute simplicité. Je vous ai dit de prendre un canot à moteur ! C’est grotesque : moins vous ferez de bruit, mieux cela vaudra ! Une barque avec des hommes tirant sur leurs avirons, surtout la nuit, rien n’est plus naturel, et une fois que vous l’aurez repéré, vous pourrez l’approcher sans risquer de l’effrayer... Finch, lui, peut louer un canot à moteur et vous suivre à distance, car depuis la berge la surveillance est impossible, et il pourra se fondre parmi les nombreux bateaux qui circulent sur le fleuve qui, lui, va en ligne droite...

Émue qu’un homme aussi considérable ait pris la peine de s’excuser, Plan-Crépin le remercia avec des larmes dans la voix et en profita pour le mettre au courant du retour de Kledermann et de son entretien avec Astor à Hever Castle. Il s’en montra surpris :

— Il n’a jamais fait de doute pour personne que c’est un homme honnête et droit, et la preuve est faite pour nous qu’il a reçu un imposteur, mais la perte de ce diamant dont il était si fier doit primer pour lui à présent ! Il veut le retrouver, c’est devenu son obsession ! L’amitié, c’est bien, mais il doit penser que Kledermann est dans la même situation vis-à-vis de son gendre et qu’il doit le sauver coûte que coûte ! Et il se défend pied à pied ! L’autre a d’ailleurs fait ce qu’il fallait pour cela !

— Que décider alors ?

— Lui apporter une preuve irréfutable ! Mais... ne désespérez pas, surtout ! Il se peut que...

La communication fut soudain coupée.

— Même les plus grands médiums ne peuvent prévoir les fantaisies du téléphone ! soupira Peter.

— Et nous n’avons rien d’autre à faire que d’essayer d’intercepter la barque ! conclut Adalbert.

— Et de nous en procurer une ! De préférence du bon côté ! précisa Plan-Crépin qui, après consultation du pendule, opta pour la rive gauche. C’est de là qu’il est le plus près !

— On y va !

Tandis que Finch prenait possession du canot automobile chargé de les rattraper, on discutait. Si l’on parvenait à rejoindre Aldo, ne serait-il pas plus sage, au lieu de le ramener dans Londres, de piquer droit sur l’estuaire où les embarcations de tout poil ne manquaient pas et de filer vers la Manche, la France et la police de Langlois à qui il serait impossible de l’arracher et dont Kledermann, encore furieux de son échec à Hever, avait déjà dû investir les locaux ?

— Bien sûr, c’est la meilleure solution ! approuva Adalbert. Surtout si l’avion de Kledermann pouvait le repêcher à temps. Là, plus de problèmes. Je suis persuadé que Langlois se reproche de nous avoir laissés partir pour... Londres (il avait failli dire « pour ce foutu pays » mais s’était rappelé que ce brave Peter était anglais !). Mais on déteste l’inaction et l’on était à cent lieues de se douter de ce qui nous attendait ici !

Mary à son tour s’en mêla :

— Incontestablement, c’est la meilleure solution. La seule valable, mais il faut peut-être tenir compte du temps ? Il ne fait pas beau, le vent peut devenir violent, et s’il se levait une tempête sur la Manche ? Une modeste barque...

— ... n’aurait aucune chance ! Même l’avion peut avoir des difficultés...

— Très juste ! s’écria Adalbert, exaspéré. Et je suppose que votre sacré pendule doit pouvoir l’annoncer, cette tempête ?

— C’est vrai, au fond...

Aussitôt consulté, le pendule réfuta la tempête. Du vent, oui, mais pas à ce point-là !

— Et puis, assez tergiversé ! coupa Plan-Crépin. On fait avec ce que l’on a et on a suffisamment perdu de temps ! Songez que, dans sa barque, Aldo n’a aucun moyen de se procurer de la nourriture ! On se dépêche !

Quelques minutes plus tard, vêtus de façon à ne pas attirer l’attention – et Marie-Angéline en garçon –, Adalbert et Peter s’attelaient aux rames tandis que celle-ci, assise à l’avant, consultait discrètement son pendule. La circulation sur le grand fleuve était intense, ni plus ni moins que d’habitude. Les nuages sillonnaient le ciel mais la nuit était suffisamment claire pour que l’on puisse se diriger.

— Il est loin ? demanda Adalbert.

— Il est passablement en avance sur nous ! Alors, souquez les gars ! Il faut le rattraper avant que quelqu’un ne s’avise qu’un bateau descend tout seul la Tamise !

— Il pourrait ramer ?

— Encore faut-il pouvoir ! Il n’a plus guère de force et il doit s’être dissimulé au fond. Peut-être dort-il ? Alors du nerf ! ! Je crois qu’on se rapproche...

Chez les Sargent, Mme de Sommières avait bien du mal à trouver le sommeil. Non parce que Plan-Crépin n’était plus là pour lui faire la lecture, mais quand la fatigue venait à bout de ses nerfs, c’était pour la hanter avec les abominables affichettes qui présentaient Aldo comme le pire des coquins... et dangereux, par-dessus le marché. Ce qui navrait lady Clementine qui s’était réellement attachée à elle. Le cœur de cette charmante femme lui fondait quand elle voyait son amie descendre pour le petit déjeuner que l’on prenait à la française, le teint pâle et ses beaux yeux verts qui lui mangeaient la figure. Comme tous les autres d’ailleurs, elle la sentait accrochée à ce petit mot porteur d’espoir : « Vivant ! »

Quelqu’un partageait la désolation de Clementine et c’était sa meilleure amie : Caroline ! La duchesse avait retiré une vive satisfaction de ce qu’elle appelait « l’exécution d’Ava », mais quand elle avait eu connaissance de l’attitude incroyable d’Astor le soir où Kledermann s’était expliqué avec lui, les bras lui en étaient tombés.

— Ce n’est pas possible, vitupéra-t-elle, alors que, venue prendre le thé chez les Sargent, elle commentait ce qu’elle venait d’entendre. Au fond, et même s’il l’a « offert » à sa femme, le véritable propriétaire du Sancy, c’était Astor lui-même ! Et on peut le comprendre car Dieu sait qu’il est beau, pourtant je sais que Nancy ne le porte pas avec un réel plaisir...

— Cependant quelle merveille, fit Clementine, et en outre il lui va à ravir !

— Entièrement d’accord, mais elle estime que trop de sang a coulé à cause de lui au cours des siècles !

— Le malheur est que son époux trouve qu’il sied encore mieux au fantôme d’Anne Boleyn. Sa perte le rend fou et il ne veut qu’une chose : le contempler dans sa vitrine. Alors, ce que l’on peut bien lui dire !

— Même un ami comme Kledermann ? Il pourrait au moins le croire quand il lui certifie que son gendre n’y est pour rien ?

— C’est ça, la malédiction des pierres célèbres. Parent, ami, on ne croit plus personne. Que l’on retrouve le diamant et il tombera dans les bras du cher banquier, disant qu’il n’en a jamais douté ! Vous pariez ?