— Pas de menottes ! lança une voix anonyme, sinon cela se paiera un jour ou l’autre... comme le reste !
Plusieurs voitures stationnaient devant la maison. Mitchell fit monter Aldo avec lui... et bientôt tout eut disparu dans la nuit. Une heure plus tard, la prison se refermait sur l’époux de Lisa...
La duchesse ne perdit pas un instant pour entamer le combat. Le lendemain même, accompagnée de lady Clementine et de Mme de Sommières, elle était à Buckingham Palace où Mary reprenait ses séances de pose, et, avec son franc-parler, ne cachait pas ce qu’elle pensait de Scotland Yard, le fleuron de la Couronne :
— Elle a peut-être été la meilleure des polices jusqu’à maintenant, mais aux mains d’un véritable monstre, elle fait régner la terreur et frappe n’importe où et n’importe comment !
La reine Elizabeth eut un doux sourire :
— Je sais qu’il est difficile mais on le dit le meilleur policier qui soit. Cela compte.
— On ne peut faire de bonne police en soulevant la haine, se permit lady Clementine, sœur de Gordon Warren, le grand chef du service. Et je veux espérer que c’est toujours provisoire.
— Cela dépend entièrement de la santé de Warren, et il semble qu’elle fasse des progrès prometteurs !
— Que Dieu entende Votre Majesté. Quand il saura ce qu’il se passe, il sera épouvanté : le prince Morosini, accusé d’abord de vol et de forfaiture, puis innocenté, pour se retrouver presque aussitôt sous une accusation de meurtre avec témoins ! Il faut pour cela n’avoir jamais rencontré Morosini !
— Quand il sera dans le box des accusés, tout le monde pourra s’en donner à cœur joie ! commenta Mary avec amertume. Ce que je ne comprends pas, c’est que cet homme s’acharne ainsi après Aldo ! Malade, celui-ci rentrait à Venise au moment de la disparition de lord Allerton ! Alors, quels témoins l’ont vu le tuer ? Leur fiabilité me paraît douteuse ! Et le procès n’est pas pour demain ! Dites-vous aussi, et c’est plutôt rassurant, que les juges ne sont pas des policiers. Ils jugent « en conscience », et surtout pas sous influence !
— Enfin, les yeux de l’Europe seront fixés sur eux, à commencer par ceux de la France où Pierre Langlois, le grand patron de la Sûreté générale, ne cache pas son indignation ! conclut Mme de Sommières.
— À cette différence près que, chez nous, son influence est de peu d’importance... sauf comme... témoin ?
— Votre Majesté peut être sûre qu’il n’y manquera pas !
Elle esquissait déjà la révérence quand Elizabeth demanda :
— Dites-moi plutôt comment se porte la princesse ?
— Comme l’on peut se porter quand on a le désespoir au cœur ! Elle adore son époux !
— Mauvais, cela ! Raison de plus pour afficher une confiance inébranlable en lui ! Surtout quand on a la chance – je dis bien la chance ! – d’avoir une famille comme la vôtre, sans oublier des amis tels que vous et votre insupportable Peter, duchesse, et vous encore, Mary ! Pour gagner la victoire, il faut d’abord y croire. Dites cela à sa femme... et aussi que je prierai pour elle, sans doute, mais surtout pour lui !
Que faire d’autre, sinon remercier ? La vie continuait. Il fallait la vivre telle qu’elle se présentait. C’était sans doute une façon de voir les choses pleine de philosophie, mais ce n’était certes pas celle de Plan-Crépin et de celui qui, après Adalbert, tenait à présent une belle place dans sa confidence et son amitié.
— Et maintenant que fait-on ? demanda la première après le premier choc encaissé.
— Nous mettre « au boulot » et sans traîner, décida Peter dont le langage évoluait curieusement depuis le début de leurs relations. Et d’abord savoir pour quelle obscure raison Mitchell voue une telle haine à Morosini ! Tellement évidente qu’elle en est presque palpable ! Chercher, fouiller, grâce au Ciel, on ne manque pas d’armes. À commencer par le cher vieux pendule !
— À cette différence près que nous ne possédons aucun objet personnel de ce monstre.
— Qui en voudrait ? Fi, l’horreur !
— Nous, et à n’importe quel prix !
De son côté, lady Clementine ne cachait pas son indignation à son époux :
— Comment, John, vous, l’homme le mieux renseigné du royaume, je dirais même une puissance occulte, avez-vous pu laisser perpétrer un pareil drame ?
— Parce que personne ne peut imaginer de telles monstruosités ! Mais je vous serais fort obligé de faire préparer mes bagages !
— Pour où ?
— Vous le saurez... quand je reviendrai !
— Quand ?
— Je n’en sais rien moi-même !
— Tâchez au moins de revenir avant le procès !
LA RÉVÉLATION
Une dent en or...
Dans la journée, les bureaux de Scotland Yard n’ont rien d’accueillant, mais quand on vient la nuit, c’est franchement sinistre, les imposants classeurs d’un brun presque noir et les lampes à abat-jour en opaline vert pomme ne contribuant guère à une atmosphère chaleureuse. Alors, ce soir-là !
Invitée par le nouveau patron à venir s’entretenir avec lui en tête à tête, Lisa avait d’abord refusé avec un dégoût non dissimulé. D’instinct, elle haïssait cet homme en qui elle voyait l’adversaire. Si elle avait fini par consentir, c’était poussée par Mary – au grand dépit de Plan-Crépin toujours prête à enfourcher son cheval de bataille.
— Moi, je suis protégée par la reine, et naturellement je n’assisterai pas à l’entretien, mais je serai là, dans la coulisse...
— Pour ramasser les morceaux, ironisa Lisa avec un rire nerveux.
— Si tu veux...
Il l’attendait, assis à son bureau, et se leva pour venir à sa rencontre en désignant un siège en face de lui. Elle retint mal un frisson comme à l’approche d’un reptile venimeux.
— Vous avez désiré me voir, pourquoi ?
— Pourquoi pas ? Il me semble que nous avons des choses à nous dire !
— En dehors du fait que vous nous haïssez...
— Pas vous ! Votre époux, oui, et de toute ma haine !
— Et la raison de cette haine ? C’est avec lui que vous devriez vous en expliquer ?
— Il ne s’en doute même pas.
— Allons donc ! Il devrait commencer à s’en faire une idée ? Cette suite de catastrophes venues les unes après les autres sans raison apparente... Il ne s’en doute certainement pas ! En fait son seul tort, c’est d’exister !
— Dieu que tu es belle, Lisa !
Il dardait sur elle un œil vorace qu’elle accueillit avec colère :
— Quelle audace ! Non seulement vous vous permettez de me donner mon prénom mais vous me tutoyez ?
— Je t’ai toujours tutoyée dans mes rêves !
— Si tous ceux qui convoitent une femme devaient se conduire comme des tortionnaires envers leurs maris, la terre serait vite dépeuplée ! Cela suffit ! J’en ai assez entendu !
Elle voulut se lever mais il la cloua sur place :
— Tu n’as pas entendu la moitié ! Le reste pourtant devrait t’intéresser ?
Il se penchait vers elle, les coudes aux genoux, et elle recula, redoutant un contact dont l’envie se lisait clairement dans son regard noir, cependant que sa langue ne cessait d’humecter sa bouche cernée de barbe.
« Il se pourlèche », pensa-t-elle, écœurée.
— En résumé, que voulez-vous de moi ? Que je devienne votre maîtresse ?