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— Je ne sais pas, répliquai-je. Puisque tu as profité de notre conversation, tu auras remarqué que je n’ai encore rien répondu.

Luc suivait l’échange du regard, tel un spectateur dans les gradins d’un court de tennis.

— Tu fais ce que tu veux, si vous avez envie de passer le week-end ensemble, je trouverai bien à m’occuper, ne vous inquiétez pas pour moi.

Luc avait dû deviner le dilemme auquel j’étais confronté. Il se leva d’un bond, se jeta aux pieds de Sophie et, s’accrochant à ses chevilles, se mit à la supplier. Je me souvenais de l’avoir vu faire un numéro similaire pour échapper un jour à une colle de Mme Schaeffer.

— Je t’en supplie, Sophie, viens avec nous, ne fais pas ta bêcheuse, ne le culpabilise pas, je sais que tu aurais voulu passer ces deux jours avec lui, mais il était sur le point de me sauver la vie. À quoi sert de faire médecine si tu refuses de porter assistance à une personne en danger, surtout quand la personne en question, c’est moi ? Je vais mourir asphyxié sous les livres si vous ne me sortez pas d’ici. Viens avec nous, aie pitié, j’irai m’installer sur la plage et vous ne me verrez pas, je serai invisible. Je te promets de me tenir à distance, je ne dirai pas un mot, tu finiras par en oublier que je suis là. Deux jours à la mer, rien que vous deux et l’ombre de moi, dis oui, je t’en prie, je paie la location de la voiture, l’essence et l’hôtel. Tu te souviens des croissants que je n’avais faits que pour toi ? Je ne te connaissais pas, et je savais déjà qu’on allait bien s’entendre.

Si tu dis oui, je te ferai des chouquettes comme jamais tu n’en as mangé.

Sophie baissa les yeux, et demanda d’une voix très sérieuse.

— C’est quoi, d’abord, des chouquettes ?

— Raison de plus pour venir, reprit Luc, tu ne peux pas passer à côté de mes chouquettes ! Et si tu refuses, ce crétin ne viendra pas non plus, et si je ne vais pas prendre l’air, je ne pourrai pas reprendre mes révisions, je raterai mes examens, bref ma carrière de médecin est entre tes mains.

— Arrête de faire l’imbécile, dit tendrement Sophie en l’aidant à se relever.

Elle hocha la tête et conclut qu’il n’y en avait pas un pour racheter l’autre.

— Deux gamins ! dit-elle. Va pour la mer, et je veux mes chouquettes dès notre retour.

Nous avons laissé Luc à ses révisions, il passerait nous chercher le vendredi matin.

Alors que nous marchions vers chez elle, Sophie me prit par la main.

— Tu aurais vraiment renoncé à ce week-end si j’avais refusé de venir ? me demanda-t-elle.

— Tu aurais refusé ? lui répondis-je.

En entrant dans son studio, elle me confia que Luc était quand même un type unique en son genre.

9.

Luc avait sans nul doute réussi à dénicher la voiture de location la moins chère de la ville. Un vieux break aux ailes toutes de couleurs différentes. La calandre manquante, les deux phares séparés par un radiateur rouillé évoquaient une paire d’yeux au strabisme prononcé.

— Bon, elle louche un peu, dit Luc alors que Sophie hésitait à monter dans ce tas de ferraille, mais le moteur ronronne et les plaquettes de freins sont neuves. Même si l’embrayage craque un peu, elle nous mènera à bon port, et puis vous verrez, elle est spacieuse.

Sophie préféra s’installer à l’arrière.

— Je vous laisse devant, dit-elle en refermant sa portière dans un affreux grincement.

Luc fit tourner la clé de contact et se retourna vers nous, ravi.

Il avait raison, le moteur ronronnait gentiment.

Les amortisseurs étaient d’origine et le moindre virage nous faisait tanguer dans un balancement digne d’un manège. Après cinquante kilomètres, Sophie supplia pour que l’on s’arrête à la première station-service. Elle me délogea sans ménagement, elle préférait encore tenter sa chance à la place du mort que d’avoir à supporter le mal de coeur qu’elle ressentait sur la banquette arrière, glissant d’une fenêtre à l’autre à chaque coup de volant.

Nous en profitâmes pour faire le plein d’essence et avaler chacun un sandwich avant de reprendre la route.

Quant au reste du voyage, je ne m’en souviens plus. Allongé à mon aise et bercé par la route, je sombrai dans un profond sommeil. Il m’arrivait parfois d’entrouvrir les yeux, Sophie et Luc étaient en pleine conversation, leurs voix contribuaient à me bercer encore et je me rendormais.

Cinq heures après notre départ, Luc me secoua, nous étions arrivés.

Il gara la voiture devant la façade d’un vieil hôtel aussi décrépi qu’elle. À croire que cette épave avait retrouvé le chemin de sa maison.

— Je vous l’accorde, ce n’est pas un quatre étoiles, mais je me suis engagé à payer la note et c’est tout ce que je peux vous offrir, dit Luc en sortant nos sacs du coffre.

Nous le suivîmes jusqu’à la réception sans commentaire. La propriétaire de l’établissement balnéaire avait dû en prendre la gérance l’année de ses vingt ans, elle en avait cinquante de plus et son allure se confondait parfaitement avec la décoration du lieu. J’aurais imaginé que, hors saison, nous serions les seuls clients, mais une quinzaine de personnes âgées se penchèrent à la balustrade, curieuses de voir la tête des nouveaux visiteurs.

— Ce sont des réguliers, dit la patronne en haussant les épaules. La maison de retraite du coin a perdu sa licence, j’ai bien été obligée de récupérer tout ce joli petit monde, on n’allait pas les laisser à la rue. Vous avez de la chance, un des mes locataires est mort la semaine dernière, sa chambre est libre, je vais vous y conduire.

— Là, je dois dire que nous avons vraiment de la chance !

souffla Sophie en empruntant l’escalier.

La patronne demanda à ses pensionnaires de bien vouloir nous faire un peu de place dans le couloir afin de nous laisser passer.

Sophie distribua sourire sur sourire à chacun d’eux. Si l’hôpital venait à nous manquer, balança-t-elle à Luc, au moins nous ne serions pas trop dépaysés.

— Comment crois-tu que j’ai eu le tuyau ? rétorqua-t-il. Une copine de première année m’a filé l’adresse, pendant les vacances elle vient donner un coup de main pour se faire un peu d’argent.

La porte de la chambre 11 s’ouvrit sur une pièce à deux lits.

Sophie et moi nous retournâmes vers Luc.

— Je vous promets de me faire discret, s’excusa-t-il. Les hôtels sont faits pour dormir, non ? Et puis si vous voulez avoir la paix, j’irai coucher à l’arrière du break, voilà tout.

Sophie posa sa main sur l’épaule de Luc et lui dit que nous étions venus ici pour voir la mer et que c’était tout ce qui comptait. Rassuré, Luc nous proposa de choisir le lit que nous préférions.

— Aucun, marmonnai-je en lui donnant un coup de coude.

Sophie opta pour celui qui se trouvait le plus éloigné de la fenêtre et le plus proche de la salle d’eau.

Nos sacs posés, elle suggéra de ne pas nous attarder plus longtemps. Elle avait faim et envie de voir le grand large. Luc ne se le fit pas répéter deux fois.

La plage se trouvait à six cents mètres à pied, nous expliqua la patronne en nous griffonnant un plan sur une feuille de papier.

En chemin, nous trouverions une brasserie qui servait toute la journée.

— C’est moi qui vous invite, proposa Sophie, déjà enivrée par les embruns qui venaient jusqu’à nous.

C’est alors que nous nous engagions dans la rue du marché que je ressentis une impression de déjà-vu, j’aurais juré être venu ici auparavant. Je haussai les épaules, toutes les petites stations balnéaires se ressemblent, mon imagination devait encore me jouer des tours.