« Il y a en outre, sur cette enveloppe, quelques taches très caractéristiques, provenant de l’eau dentifrice qu’emploie votre charmante amie, car je ne doute pas qu’elle ne soit charmante, c’est ce qui m’a permis de conclure que Mlle Paulette, puisque Paulette il y a, a l’habitude d’écrire sa correspondance dans son cabinet de toilette avec ses cheveux étendus sur ses épaules… Et voilà !
Léon Drapier restait abasourdi devant les logiques déductions de Juve.
Il abandonnait son air arrogant et il se fit très humble désormais, pour murmurer à voix basse :
— Monsieur Juve, je vous admire, et je m’excuse encore une fois de l’attitude que j’ai eue à votre égard. Écoutez-moi bien. Je vous jure que je ne sais ce qui s’est passé… Je vous jure que je ne suis pour rien dans cette mystérieuse affaire… Un seul point au surplus me préoccupe et m’inquiète, surtout qu’on ne sache jamais chez moi que j’ai une maîtresse et que je suis en relation avec Paulette de Valmondois !
Juve souriait aimablement.
— Vous pouvez compter sur moi, déclara-t-il d’un ton sincère, pour être la discrétion même ; puisque nous voici en confiance, et pour m’éviter des recherches inutiles, ayez donc l’obligeance de me donner l’adresse exacte de Mlle Paulette ?
Léon Drapier sursauta :
— Et vous voudriez aller la voir ?
— Oui ! fit Juve.
— Et que lui direz-vous ?
— Ceci me regarde.
— Mais qu’a-t-elle à faire dans tout ce drame ? Paulette n’est aucunement mêlée au malheur qui s’est produit…
— Peu importe !… J’aurai plaisir à la connaître !
— Monsieur Juve, je vais vous accompagner chez elle.
— J’irai seul, je vous en prie !
— Monsieur Juve…
Juve était déjà sur le pas de la porte, et c’était en lui prenant sa main dans les deux siennes, que Léon Drapier le retenait.
— Monsieur Juve… monsieur Juve…
— Quoi, monsieur ?
— Vous disiez tout à l’heure, il me semble, qu’il y avait peut-être, entre ma maîtresse et la mort de Firmain, un lien quelconque. Je vous en supplie… fournissez-moi une explication, qu’est-ce que cela signifie ?
— N’ayez pas peur ! déclara Juve d’un ton rassurant, et ne prenez point pour parole d’évangile chacune des idées que j’émets ! Jusqu’à présent je ne peux rien vous dire, mais comptez que je ferai l’impossible pour savoir la vérité, et que, d’autre part, je la dirai discrètement. Alors ? nous disions que Mlle Paulette de Valmondois habitait, habite du moins… ?
Résigné, subjugué par l’ascendant de Juve, Léon Drapier articula :
— 187, rue Blanche, au premier au-dessus de l’entresol !
Juve, posément, prenait note de l’adresse, et il se retirait. Il était déjà dans la galerie, lorsque, rebroussant chemin, il s’en vint demander à Léon Drapier en le fixant dans les yeux :
— Vous avez fait des déclarations formelles à cet égard, vous avez signé deux procès-verbaux bien nets et bien précis, de votre nom, de votre titre de directeur de la Monnaie, de votre grade d’officier de la Légion d’honneur, procès-verbaux dans lesquels vous aviez affirmé avoir passé chez vous la nuit à l’issue de laquelle s’est produit le crime…
— J’ai signé cela, en effet, fit Léon Drapier, qui visiblement pâlissait.
— C’est donc que c’est la vérité ? insista Juve.
Après un instant de silence, Léon Drapier articula en hésitant :
— C’est bien la vérité !
— Merci, monsieur !
— Au revoir, monsieur !
Quelques instants après, Juve descendait l’escalier.
Le policier paraissait fort joyeux.
— Elle se présente de façon bizarre, cette affaire, songeait-il, tandis qu’en réalité elle est fort simple !
« Voyons, j’imagine que cet homme ne tardera pas à dire la vérité. J’ai déjà sa confiance, il ne me ment plus qu’à moitié. Et encore, par pudeur… parce qu’il est gêné d’avouer qu’il a fait un mensonge…
« Tout va bien !
VI
Maîtresse infidèle
Paulette de Valmondois téléphonait.
— Bien sûr, mon gros chéri, que ça me fera plaisir de te voir… mais oui, très plaisir !… Tu le sais bien, grande bête ! Seulement voilà… comprends donc… Faut surtout pas t’amener avant cinq heures ce soir… Tu me demandes pourquoi ?… Ah ! par exemple, ça c’est pas ordinaire !…
Si l’interlocuteur, à l’autre bout du fil, avait pu voir Paulette à ce moment, il aurait remarqué que la jolie fille esquissait un geste instinctif d’ignorance absolue.
Mais l’interlocuteur, le « gros chéri », ne pouvait qu’entendre ce que lui disait son interlocutrice.
Or, Paulette venait de trouver une explication plausible au délai qu’elle sollicitait à l’heure qu’elle imposait au « gros chéri ».
— C’est rapport à mon père, dit-elle, tu sais bien que c’est son jour, le mardi, qu’il vient me voir tous les mardis, et si jamais papa te rencontrait, ça ferait une histoire épouvantable… Oui, c’est entendu, tu seras gentil, tu ne viendras qu’à cinq heures… Je t’embrasse de tout mon cœur… Tiens, là ! sur le cornet du téléphone ! Je t’envoie mes baisers par le fil… Il ne faut pas plaisanter ? Ce sont des choses graves que tu as à me dire ? C’est toujours des choses graves !… Allô, allô, allons bon ! c’est coupé !…
Paulette Valmondois raccrochait le récepteur, l’appareil était posé sur la table de la petite salle à manger où se trouvait la demi-mondaine qui déjeunait en tête à tête avec sa bonne.
Celle-ci, une petite Normande aux yeux tout ronds, avait écouté avec la plus grande attention l’entretien de sa patronne au téléphone, elle s’en arrêtait de manger.
— Eh bien ? interrogea Paulette, qu’est-ce que t’attends, Frise-à-plat, pour finir le saucisson ?
La bonne, une toute jeune gamine, piquait dans le plat deux rondelles de cervelas, puis naïvement, après les avoir fourrées dans sa bouche, elle articula :
— Pourquoi c’est t’y que vous lui avions dit de ne point venir avant cinq heures… puisque vous n’avez rien à faire, sauf votre respect, que de vous regarder dans une glace tout l’après-midi ?
Paulette jeta un regard de mépris sur la bonne.
— T’es gourde, Fleur-de-Vice ! fit-elle ; tu n’as pas pour deux sous de raison… Penses-tu que je vais m’appuyer cet homme-là tout l’après-midi !… Tu crois qu’il est rigolo ?… Perpétuellement il a le trac d’être découvert par sa femme, toujours il me raconte que si sa famille était au courant ça ferait des histoires à n’en plus finir… Ah non ! de cinq à sept ça suffit !… Et puis d’abord c’est l’heure des adultères, et comme il est marié, ça lui va comme un gant !
La jeune bonne, qui avait fini le saucisson, reprit avec entêtement :
— N’empêche que c’est M. Léon Drapier, un bien digne homme autant que je pouvions le savoir par les pourboires qu’il me donne, qui paie tout chez vous !
— Ça c’est vrai, la Normande, le loyer, les meubles et le reste. Sans compter la couturière, ajoutait Paulette de Valmondois, qui éclatait de rire puis ajoutait : Tête-de-Pomme, va-t-en chercher les côtelettes !
La jeune bonne obéissait, revenait quelques instants après dans la salle à manger avec deux côtelettes à demi calcinées.