— Voyons, monsieur ! gronda-t-elle, que faites-vous ?
Juve s’excusait.
— Pardon ! fit-il, j’aurais voulu observer quelque chose sur la plaie elle-même.
L’infirmière paraissait suffoquée.
— Et qui êtes-vous donc, pour vous permettre de vous occuper de ces choses-là ?
Juve allait se nommer, il n’en fit rien.
— Je le saurai toujours ! se dit-il.
Et dès lors, renonçant à son premier projet, dont il ne précisait point le but ni l’importance, Juve, laissant les porteurs emmener leur malade dans la voiture d’ambulance, grimpait à l’appartement de Paulette de Valmondois, où il se trouva soudain face à face avec M. Havard, son chef.
Celui-ci tendit les mains cordialement au policier.
— Eh bien ! mon cher Juve, vous voilà enfin !
Et il ajoutait avec une ironie satisfaite :
— Par exemple, vous arrivez comme les carabiniers… En retard de deux heures, Juve !… Deux heures, ce n’est rien dans l’existence d’un homme ! C’est encore moins dans l’histoire des siècles, c’est énorme lorsqu’il s’agit d’une enquête de police !… Enfin, que voulez-vous ! On ne peut pas être partout à la fois !… Heureusement que vous avez un chef de la Sûreté qui se déplace, et c’est pourquoi, mon cher Juve, je m’en vais pouvoir vous donner quelques renseignements sur le drame qui vient de se produire !
Juve acceptait sans broncher les ironies railleuses de M. Havard.
Celui-ci ne dissimulait pas sa satisfaction d’être arrivé le premier sur les lieux du drame ; Juve ne prétendait point lui contester cette vaine gloire.
— Mon cher, articula M. Havard, la chose est des plus simples. Cette petite demi-mondaine était la maîtresse, comme vous savez, de Léon Drapier. Il est probable qu’elle a dû commettre quelque gaffe, ou alors simplement se faire surprendre par son amant en compagnie d’un gigolo, car Léon Drapier a certainement rompu avec elle.
« C’était beaucoup d’argent qui s’en allait avec Léon Drapier ; peut-être, au surplus, la petite l’aimait-elle !
« Toujours est-il, en tout cas, que lorsque son amant lui signifiait la rupture, elle s’est logée une balle dans la poitrine dont elle ne réchappera probablement pas. Voilà les faits tels qu’ils se sont passés, la tentative de suicide est indiscutable, l’affaire fort banale…
« Je vous avoue que si vous aviez été à la Sûreté lorsque j’ai été informé du drame, je me serais bien abstenu de venir !… Si je l’ai fait, c’est uniquement parce qu’il s’agissait de la maîtresse d’un haut fonctionnaire et que j’ai voulu, en prenant moi-même l’enquête en main, prévenir, éviter une gaffe toujours possible de la part d’un subordonné !
« J’ai fait conduire Paulette de Valmondois à l’hôpital de Lariboisière, on la soignera. De deux choses l’une ; ou elle va mourir et alors l’affaire est enterrée, sans jeu de mots, ou elle se rétablira, et alors nous lui ferons comprendre qu’il est de son intérêt de ne point faire de scandale, et qu’il importe qu’elle ne mêle pas le nom de Léon Drapier à son acte de désespoir…
Cependant que M. Havard pérorait ainsi, Juve, qui l’écoutait d’une oreille distraite, visitait attentivement l’appartement de Paulette de Valmondois. Il allait d’une pièce à l’autre, et le chef de la Sûreté le suivait, très heureux de raconter à Juve tout ce qu’il croyait savoir.
L’attitude de Juve, cependant, était si bizarre, le policier fouillait l’appartement avec tant de minutie, que M. Havard s’en aperçut. Il comprit les motifs de l’attitude de Juve.
— Je vous vois venir, mon cher ! Vous cherchez midi à quatorze heures, et si vous observez tous les détails de cet appartement, c’est que vous vous demandez s’il n’y a pas eu crime !… Rassurez-vous, Juve ! Je suis sûr de ce que j’avance. Paulette de Valmondois a voulu se suicider !… Au surplus, lorsque je l’ai relevée, elle me l’a presque avoué.
— Ah ! fit Juve, qu’entendez-vous par presque avoué ?
— Voici ! fit Havard. Je reconnais qu’elle était dans un état bien précaire lorsque je lui ai adressé la parole. Je l’ai soulevée, elle a crié, alors je lui ai demandé si elle souffrait.
— Vraiment ? fit Juve ironique.
— Naturellement ! fit Havard qui ne comprenait point la naïveté des paroles qu’il venait de prononcer.
— Et alors ? poursuivit Juve.
— Alors elle a désigné, d’un geste à peine sensible, sa poitrine à l’endroit où saignait la blessure.
« — Vous avez eu tort ! lui dis-je. Il est défendu de se donner la mort. Vous avez donc eu bien du chagrin, bien du désespoir ?
— Quelle a été sa réponse ? demanda Juve.
— Eh bien, fit Havard, je crois qu’elle a hoché la tête affirmativement.
— Et, insista Juve, c’est de cela que vous concluez qu’elle vous a fait l’aveu de son suicide ?
— Évidemment ! fit Havard. Au surplus, je ne vois pas qui aurait pu la tuer. À moins que ce ne soit son amant Léon Drapier ? Au fait, pourquoi pas ?… Juve, vous commencez à m’ébranler !
Mais, dès lors, Juve rassurait son chef.
— Non, non ! fit-il précipitamment, je vous en prie, ne vous embarquez point sur la piste de Léon Drapier. Cet homme-là n’est évidemment pour rien dans l’assassinat, je veux dire dans le suicide de sa maîtresse !
— Ah ! vous voyez, fit Havard satisfait, vous y venez, au suicide !
— C’est entendu, fit Juve d’un air évasif, j’y viens, au suicide !
Juve, toutefois, ne pouvait s’empêcher à ce moment de regarder avec insistance du côté de la fenêtre.
Il demanda à M. Havard :
— Cette fenêtre était-elle fermée comme elle l’est actuellement, quand vous êtes arrivé ?
— Ma foi non ! fit Havard. Elle était entrebâillée, mais je l’ai poussée, parce qu’il faisait assez froid dans cette pièce.
— Ah ! dit simplement Juve.
Le policier n’insistait pas, mais son regard perçant avait découvert sur le petit balcon de la fenêtre, qui venait précisément d’être repeint, des écorchures très fraîches et très nettes comme pouvait en faire la chaussure d’un homme posant le pied sur la barre d’appui du balcon.
Juve jeta un coup d’œil à travers les carreaux.
— Si l’on saute par cette fenêtre, où va-t-on ? demanda-t-il.
Et il constata que, sans danger, on pouvait sauter sur un petit toit voisin.
— Parfait ! se dit le policier, qui rentra dans la pièce.
Havard se disposait à le quitter.
— Nous allons, pour le principe, faire mettre les scellés, dit-il, mais je crois bien que l’affaire n’aura pas de suite.
— Espérons-le ! fit Juve.
Le policier, toutefois, songeait à part lui :
— Cette affaire est beaucoup plus mystérieuse qu’elle n’en a l’air et il s’agit d’opérer avec prudence et subtilité. Jusqu’à présent, dans les enquêtes, c’est Juve, Juve lui-même qui s’est montré. Dorénavant, Juve va disparaître, et celui qu’on verra seulement agir, c’est…
Le policier n’achevait pas.
VIII
Un sauveteur
— Caroline !
— Monsieur ?
— Où est madame ?
— Elle est au salon, monsieur.
— Seule ?
— Non pas, monsieur. Monsieur sait bien que madame est encore avec les journalistes !…
Léon Drapier leva les bras au ciel.
— C’est véritablement insupportable ! On n’en finira donc jamais de toutes ces interviews qui ressemblent à des interrogatoires !
La vieille cuisinière insinua :
— Je serais à la place de monsieur que je n’hésiterais pas à prendre le balai et à fourrer tous ces gens-là à la porte. C’est pas Dieu possible d’embêter le monde comme ils le font les uns et les autres !