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— Ah ! je suis heureux de vous voir ! disait-il en serrant les mains de Mix. Je commençais à me demander si vous aviez oublié ce rendez-vous et si vous n’alliez pas venir…

Mix devait évidemment trouver la supposition plaisante, car, en écoutant Léon Drapier, un sourire passait sur sa physionomie.

— Allons donc ! faisait-il, je viens toujours aux rendez-vous que je donne et je suis l’exactitude en personne.

En parlant, il se débarrassait de son chapeau, de sa canne, il s’asseyait, prenait ses aises, se carrant dans un fauteuil.

— Par exemple, remarquait-il, j’avoue que je viens d’échouer lamentablement.

— Échouer !… en quoi ? fit Léon Drapier, tressaillant. Vous pensiez avoir une piste ?

— Non, confessa Mix. Mais je pensais pouvoir en chercher une. J’ai essayé de me faufiler dans vos ateliers, j’ai été repoussé partout.

Ce fut au tour de Léon Drapier d’avoir un sourire ironique.

— Cela ne m’étonne pas, protestait le directeur de la Monnaie. La consigne est sévèrement exécutée ici, et les étrangers n’ont aucune chance de pouvoir pénétrer dans les ateliers.

Mais cette déclaration paraissait ennuyer Mix.

— Diable ! faisait-il, c’est qu’il serait du plus haut intérêt que je puisse aller et venir sans éveiller les soupçons.

— Pourquoi donc ?

— Pour savoir, d’abord, ce que vos ouvriers disent, et ensuite pour enquêter !

En écoutant le policier, Léon Drapier pâlissait de plus en plus.

— Ah, l’abominable affaire ! murmurait-il. Combien je suis inquiet désormais…

Puis il se penchait vers M. Mix, et du ton dont on fait les confidences, il avouait avec peine :

— Vous voulez savoir ce que mes ouvriers disent ? Eh ! parbleu, je m’en suis assuré moi-même. Une chose abominable… Naturellement, ils se réjouissent de l’embarras où je me trouve ; ils estiment l’aventure très drôle et jugent cela plaisant !

Et comme si cette supposition lui eût paru particulièrement douloureuse, Léon Drapier assénait un violent coup de poing à sa table de travail.

— Je vous dis que j’en deviendrai fou…

M. Mix, cependant, à ce mouvement de colère se contentait d’éclater de rire.

— Mais non, mais non, protestait-il d’un ton bonhomme… Ne dites point de choses semblables !… Il ne faut pas vous frapper, que diable ! Vous verrez que je vous sortirai de toutes ces aventures.

Et comme Léon Drapier se taisait, M. Mix poursuivait :

— Vous avez confiance en moi, n’est-ce pas ?

— Dites que je n’ai plus confiance qu’en vous… articula le directeur de la Monnaie.

M. Mix reprit :

— Eh bien, votre confiance n’est pas mal placée ! Évidemment, je ne peux pas vous dire tout ce que je pense, mais enfin… enfin…

Et, tout en souriant, M. Mix, qui paraissait nourrir des pensées secrètes, affirmait :

— Tenez, je vous promets, moi, de vous tirer d’affaire. Êtes-vous content, maintenant ?

Léon Drapier ne paraissait, malgré tout, qu’à demi rassuré.

— Les apparences sont contre moi, soupirait-il.

Cela précisément ne semblait pas émotionner outre mesure le policier.

— Bah ! les apparences ! faisait-il, cela se change !…

Et comme Léon Drapier le regardait avec une émotion non dissimulée, M. Mix continuait, faisant évidemment preuve d’un extraordinaire sang-froid :

— C’est entendu, mon pauvre ami, que les apparences sont contre vous, mais c’est précisément parce que toutes les apparences vous chargent que je tiens votre innocence pour certaine. Or, du moment que je suis convaincu de votre innocence, je n’aurai aucun scrupule d’imposer ma conviction, le fût-ce par la force et par la ruse, au monde entier. Donc…

M. Mix s’interrompit, mais Léon Drapier le questionnait déjà :

— Donc ? faisait-il, qu’alliez-vous dire ?

M. Mix se leva.

— Donc, fit-il, en prenant son chapeau, nous changerons les apparences, et voilà tout…

Puis il interrogeait brusquement :

— Êtes-vous libre, ce matin ? Il faut que vous soyez libre.

Le directeur de la Monnaie était si bien affolé par les événements tragiques qui se déroulaient chez lui depuis quelque temps qu’il eut une réponse qui, en réalité, suffisait à prouver son inquiétude :

— Je suis certainement libre, déclarait-il, s’il le faut. Dans un cas pareil, on envoie tout promener.

— Naturellement, conseilla M. Mix. Eh bien, habillez-vous.

— Où allons-nous donc ?

Le policier Mix déclara froidement :

— Chez Paulette, chez votre ancienne maîtresse, chez cette malheureuse Paulette de Valmondois !

Vingt minutes plus tard, sans avoir trop eu le temps de se reconnaître et de réfléchir, Léon Drapier se trouvait dans un fiacre en compagnie de M. Mix, les deux hommes allaient rue Blanche.

Léon Drapier, toutefois, au fur et à mesure que la voiture avançait, manifestait de nouvelles inquiétudes.

— Mon Dieu, demandait-il, qu’allons-nous faire chez Paulette ? N’est-il pas très imprudent d’y aller ? Voyons, M. Mix, si jamais la police faisait une enquête et nous trouvait là ?

Mais à cette supposition, un sourire énigmatique passait sur le visage du détective.

— N’ayez aucune crainte, affirmait-il, cela ne se produira pas, d’ailleurs, je suis renseigné.

Une autre réflexion venait alors à la pensée de Léon Drapier.

— Comment ferons-nous pour entrer dans l’appartement ? interrogeait-il. Je n’ai pas les clefs de Paulette, et je pense qu’après le crime c’est la police qui les a emportées. Nous allons être à la porte.

M. Mix eut encore un sourire ironique.

— Bah ! nous verrons bien, répondit-il. Avec moi, vous savez, on ne reste pas à la porte…

Léon Drapier devait, en effet, s’en convaincre quelques instants plus tard. Le fiacre s’était arrêté rue Blanche, suivant les instructions du policier, deux numéros avant l’immeuble tragique.

Mix payait, affirmait à Léon Drapier avec une belle générosité que cela rentrait dans ses frais généraux, et qu’il le rembourserait à la fin de l’enquête, puis il donnait au directeur de la Monnaie ses dernières instructions.

— Inutile de risquer que l’on nous voie tous les deux. Entrez le premier, je vous rejoindrai dans une minute.

Quelques secondes plus tard, en effet, le policier rejoignait Léon Drapier sur le palier de l’appartement de Paulette.

Mix, en arrivant, posait sa main sur l’épaule du directeur de la Monnaie.

— Au fait, demandait-il, vous avez un revolver ?

— Oui, pourquoi ?

— Passez-le moi donc.

La physionomie de Léon Drapier marquait un tel étonnement, à cette demande, que le détective dut s’expliquer.

— Oh ! faisait-il, n’ayez crainte, ce n’est pas pour m’en servir, au contraire. Seulement, comme ce que nous allons tenter est quelque peu risqué et que nous sommes exposés à rencontrer quelque gêneur, j’aime autant que vous n’ayez pas d’arme sur vous.

Et Mix expliquait encore, goguenard :

— Vous êtes nerveux, impressionnable, vous pourriez vous émotionner, tirer sans le vouloir, et cela compliquerait singulièrement les choses…

Le revolver de Léon Drapier disparut dans la poche du détective qui était évidemment un homme prudent et devait conduire l’extraordinaire enquête qu’il menait suivant un plan bien arrêté.

Mix, d’ailleurs, ne perdait pas son temps.

À l’ébahissement de Léon Drapier, il sortait tranquillement de sa poche un petit outil dont l’acier miroitait.

— C’est une pince monseigneur, expliquait tranquillement le policier.

Il glissait l’instrument sous le vantail de la porte, effectuait une pesée, soulevait les targettes ; un instant plus tard, Mix ayant opéré avec une adresse de cambrioleur professionnel, les deux hommes étaient dans l’appartement de Paulette de Valmondois.