À ce moment, Léon Drapier questionna :
— Et que sommes-nous venus faire ici ?
— Rien, riposta Mix. Un tour… Nous sommes là, tout simplement, cher monsieur, pour changer les apparences, je vous l’ai dit.
Et Mix s’employait en conscience, en effet, à bouleverser ce qu’il appelait les apparences.
Il guidait Léon Drapier et lui faisait effectuer toute une série de besognes dont celui-ci était loin de soupçonner l’importance.
— Voyons, demandait le policier, vous écriviez à votre maîtresse de temps à autre ? Savez-vous si elle gardait vos lettres ? Savez-vous surtout où elle les mettait ?
— Ici, riposta le directeur de la Monnaie, dans ce petit secrétaire. Tenez, les voilà.
— Déchirez-moi tout cela, ordonna le policier. Jetez-moi tout cela dans la corbeille à papier.
Mix, quelques instants plus tard, demandait :
— Vous n’aviez pas, par hasard, des objets personnels, dans cet appartement ? des vêtements ? du linge ?
— Si, protesta Léon Drapier. J’ai un habit dans une armoire et quelques faux-cols.
— Brûlez ! Brûlez ! ordonna le policier.
Un feu flamba dans la cheminée ; quelques instants plus tard, Léon Drapier sacrifiait son habit.
Mix, alors, s’occupait à une autre besogne.
— Il serait fort intéressant, disait-il à son compagnon, que l’on pût imaginer un motif plausible au crime dont Paulette de Valmondois a été victime. Vous êtes au-dessus d’un vol, mon cher ami ; par conséquent, si l’on trouvait des traces de vol, cela certainement tendrait à vous innocenter. Savez-vous où Paulette mettait ses bijoux, son argent ?
— Dans l’armoire à glace, bégaya Léon Drapier.
— Fracturez-la ! Volez le tout ! Parbleu, vous rendrez au centuple ces choses à votre maîtresse lorsqu’elle sera rétablie !…
— Naturellement, concéda Léon Drapier.
Le directeur de la Monnaie, cependant, apparaissait quelques instants plus tard fort embarrassé lorsqu’il s’agissait d’écouter les conseils de Mix et, comme le lui avait enjoint le policier, de fracturer l’armoire à glace.
— Comment procéder ? demandait-il.
— Comme bon vous semblera ! ripostait le policier. Si je vous donnais des conseils, cela ne serait plus intéressant. La police devinerait un tour de main.
L’observation parut juste à Léon Drapier, qui s’escrima immédiatement contre l’armoire à glace et s’étant armé d’un fer à repasser, parvint à défoncer la porte.
— Mon Dieu ! murmurait de temps à autre le pauvre directeur de la Monnaie, quelle invraisemblable histoire !… Ah ! monsieur Mix, monsieur Mix, je me demande si vous me tirerez de là !
Une seule chose rendait d’ailleurs un peu confiance au directeur de la Monnaie. C’était précisément le calme profond de son compagnon, le sang-froid merveilleux dont semblait faire preuve le policier qui s’était chargé de l’innocenter.
Mix, les deux mains dans ses poches, allait et venait dans l’appartement. Il ne touchait à rien, mais il avait l’œil à tout. Et c’était perpétuellement des conseils qui ahurissaient Léon Drapier.
— Prenez donc ce vase de fleurs et jetez-le par terre ! Il faut que l’on croie à une lutte. Tiens, une idée… Brisez sur vos genoux cette petite chaise. Du diable si les magistrats devinent ce que cela veut dire !…
Mix poussait bientôt un véritable hurlement de satisfaction.
— Ah ! par exemple, faisait-il… quand je pense que nous allions laisser cela derrière nous…
Il agitait triomphalement un chapeau melon qu’il venait de trouver, entouré d’un scellé, sur la table de la salle à manger. Ce chapeau melon était marqué des initiales de Léon Drapier.
— C’est à vous ? interrogea le policier.
— Oui, répondit le directeur de la Monnaie. Je vous ai d’ailleurs dit que l’autre jour, dans ma précipitation à fuir, je m’étais trompé de chapeau. J’ai pris celui du bandit qui a dû tuer et j’ai laissé le mien…
Mix haussa les épaules.
— Cela ne va plus avoir la moindre importance, décidait-il.
Et le chapeau sauta dans la cheminée, où il brûla rapidement…
Léon Drapier cependant n’avait pas prévu le geste, et désormais tremblait d’effroi.
— Mon Dieu ! murmurait-il, que faites-vous là ? Ce chapeau était sous scellés, par conséquent…
— Par conséquent, quoi ?
— Par conséquent, la police s’apercevra qu’il a disparu !
Léon Drapier était très ému, Mix demeurait calme.
— Eh, je l’espère bien ! riposta le policier, qu’on s’apercevra de la disparition de ce chapeau !…
Puis, prenant le directeur de la Monnaie par les revers de son veston, il lui expliquait brusquement :
— Mais comprenez donc mon plan sapristi !… En ce moment, toutes ces affaires sont claires, et toutes ces affaires tendent à conclure à votre culpabilité. Bon, qu’est-ce que je fais, moi ? J’embrouille tout. Quand j’aurai tout embrouillé, il est évident que l’on ne comprendra rien à ce qui s’est passé. Et, quand on n’y comprendra plus rien, on ne pourra pas vous soupçonner…
Mix, en réalité, embrouillait en effet les choses de façon extraordinaire. Quelques instants plus tard, comme il indiquait à Léon Drapier qu’il était temps de se retirer si l’on ne voulait pas s’exposer à une rencontre avec la magistrature officielle, susceptible de venir perquisitionner à midi, Mix continuait :
— Et maintenant, toute la lyre !… Nous allons faire les traces d’un nouvel attentat !
Le policier allait cérémonieusement fermer la porte de la chambre de Paulette, puis il tirait de sa poche le revolver que lui avait confié Drapier et, tranquillement, lâchait cinq coups dans les battants de bois après s’être assuré toutefois que l’arme était de petit calibre et n’allait pas faire un bruit tel qu’on pût s’en émouvoir dans l’immeuble.
— Voilà ! déclarait alors Mix en se frottant les mains. Si maintenant la magistrature arrive à vous faire endosser la responsabilité de ce crime-là, je veux bien être pendu !…
Les deux hommes sortirent de l’appartement sans encombre, Mix était arrivé, habile d’une manière remarquable, à fermer la porte qui ne présentait même point de traces d’effraction.
— Où allons-nous, maintenant ? demanda Léon Drapier.
Le pauvre homme était toujours quelque peu ahuri.
L’extraordinaire enquête que venait de faire en sa compagnie le policier Mix avait achevé de lui faire perdre le peu de sang-froid qui lui restait. Il sursauta en écoutant la réponse du policier :
— Bon ! disait Mix, nous venons de régler une première affaire, nous venons d’embrouiller à merveille la tentative d’assassinat dont a été victime votre maîtresse ; reste encore le crime de votre valet de chambre. Nous retournons chez vous, cher monsieur, nous allons faire à votre appartement exactement ce que nous avons fait ici. Mêler tout, brouiller tout, rendre tout indéchiffrable !…
Léon Drapier, cependant, sursautait encore :
— Mais, protestait-il, cela n’est pas possible, à la fin !… Votre audace me bouleverse !… Monsieur Mix, vous ignorez que, chez moi, tout a été mis sous scellés, il y a les scellés sur la porte de la pièce où l’on a retrouvé le cadavre…
— Eh bien ? demanda Mix.
— Eh, bien, l’on n’entre pas !…
Mix, pour toute réponse, haussait les épaules, et fouillait dans sa poche de façon significative.
Il en tira une bande de toile, de la cire rouge, une sorte de cachet aussi.
— Les scellés, mon cher monsieur, expliquait Mix, cela s’enlève et cela se remplace. Vous voyez que j’avais prévu la difficulté et que j’ai le matériel nécessaire !
Mix éclatait d’un petit rire discret, probant témoignage de sa parfaite tranquillité d’âme, il frappait brusquement sur l’épaule du directeur de la Monnaie.