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Juve, à ce moment, ne put s’empêcher de sourire.

— Nous y voilà, pensait le policier. Le gouvernement a le trac du scandale !

Le ministre de l’intérieur continuait cependant :

— D’autre part, monsieur Havard, les responsabilités ministérielles, le souci de faire notre devoir ne peuvent nous permettre d’étouffer une affaire, si réellement cette affaire mérite qu’on lui donne une certaine ampleur. Il y a là deux intérêts contraires qui se heurtent et, naturellement, mon collègue de la Justice sera de mon avis, c’est l’intérêt supérieur de l’équité qui doit l’emporter sans débat.

— Tirade de tribune ! pensa Juve.

Le ministre de l’intérieur, cependant, ces déclarations faites, continuait, fixant cette fois très franchement M. Havard :

— D’autre part, vous nous avez signalé, monsieur Havard, depuis quelque temps, que l’on émettait régulièrement dans le public d’extraordinaires louis d’or qui n’étaient pas sans nous inquiéter un peu. Mon collègue des Finances m’a dit, il est vrai, que ces louis d’or n’étaient pas faux, qu’ils étaient à coup sûr parfaitement titrés, mais que, cependant, leur mise en circulation constituait une irrégularité fort grave. Ainsi que vous l’aviez pressenti, monsieur Havard, ces louis d’or sont, en quelque sorte, faux sans l’être. Ils sont, en effet, d’une frappe qui n’est pas complètement achevée, ils appartiennent, pour tout dire, à une série qui, en cours de fabrication à la Monnaie, ne devait pas être distribuée au public avant une période d’au moins un an…

Le ministre de l’Intérieur se tournait à ce moment vers Juve et l’interrogeait :

— Vous saviez cela, n’est-ce pas ? M. Havard vous a tenu au courant ?

— Parfaitement, répondit Juve.

Et, charitable, le policier n’ajoutait pas qu’il le savait d’autant mieux que c’était lui qui avait averti M. Havard qui, sans doute, s’était targué de la découverte auprès du gouvernement.

Le ministre de l’intérieur poursuivait, sur le même ton dont il aurait développé un rapport à la tribune du Parlement :

— Ces louis d’or véritables, mis en circulation à une date qui ne correspond point avec les nécessités budgétaires, nous inquiétèrent naturellement. J’en parlai à mon collègue des Finances qui, lui-même, interrogea Léon Drapier et cela il y a tout juste trois jours, dans mon propre cabinet.

M. Havard hochait la tête très intéressé, il osa se tourner vers le ministre et demanda :

— Alors, monsieur le ministre, alors l’affaire ne s’est pas éclaircie ?

— Tout au contraire, elle devint plutôt obscure, car Léon Drapier jura ses grands dieux qu’aucune pièce d’or n’avait pu sortir de la Monnaie à la frappe nouvelle, pour la bonne raison que les flancs n’avaient pas encore été essayés.

Le ministre de l’intérieur, à ce moment, baissait un peu le ton, il ajoutait :

— Naturellement, les questions posées à Léon Drapier n’ont pas eu le caractère d’un interrogatoire. Nous avons parlé discrètement et tout simplement sur le ton d’une conversation amicale.

Puis, se tournant vers le ministre de la Justice, le président du conseil continuait :

— Mon collègue, toutefois, est en ce moment saisi, vous ne l’ignorez pas, monsieur Havard, et vous non plus, Juve, d’une double affaire d’assassinat assez bizarre : assassinat d’un valet de chambre, tentative d’assassinat et assassinat d’une demi-mondaine, dans laquelle se trouve impliqué, je ne veux pas dire compromis, précisément M. Léon Drapier. Tout cela fait un ensemble extraordinaire, occasionne une confusion équivoque, il faut en sortir !

La façon dont le ministre disait qu’il fallait en sortir était vraiment significative. Il y avait de l’exaspération dans sa manière de parler. Il y avait aussi de l’entêtement. Sa main avait eu un geste net et catégorique, balayant l’air, comme s’il eût voulu mieux marquer l’intention où il était de faire table rase des événements surprenants.

— C’est à ce moment, continuait-il enfin, que je vous ai fait prier, monsieur Havard, d’organiser une filature discrète et de tâcher de savoir de façon exacte qui émettait et comment on émettait ces louis de vingt francs qui sont, si j’ose m’exprimer ainsi, des louis antidatés.

Le ministre se taisait, regardant d’un rapide coup d’œil ses collègues pour s’assurer qu’ils avaient bien suivi ses explications et qu’ils étaient au fait, maintenant, de la difficulté nouvelle.

— Monsieur Havard, déclarait-il, je vous laisse la parole. Vous m’avez prévenu hier que vous aviez du nouveau, j’attends vos déclarations.

— Monsieur le ministre, je suis à vos ordres et je vais contenter votre curiosité.

M. Havard sonnait, Cuche apparut.

— Faites entrer l’inspecteur Léon !

Cuche disparut, l’inspecteur Léon entrait quelques minutes après.

Léon n’avait pas changé. C’était toujours l’habile et diligent inspecteur, c’était toujours le sous-ordre préféré de Juve, qui appréciait de plus en plus son dévouement, sa fidélité, son intelligence aussi.

Il y eut une rapide présentation, puis M. Havard demanda :

— MM. les ministres vous écoutent, Léon, racontez-nous votre enquête d’hier.

Juve, à ce moment, tapotait d’un air distrait le coin du bureau de M. Havard, auquel il s’était accoudé. Le policier ne paraissait pas prêter très grande attention aux paroles que l’on prononçait devant lui. Son attitude indifférente, toutefois, était peut-être plus voulue que réelle, car Juve, en réalité, n’avait pu s’empêcher de tressaillir en écoutant les déclarations du ministre, en entendant prononcer le nom de Léon Drapier.

Juve prêtait donc une attention soutenue aux paroles de Léon.

Celui-ci, fort simple, comme à son ordinaire, exposait brièvement ses recherches à la façon dont il eût fait un rapport quelconque en tête-à-tête avec M. Havard.

— Voici ce que je sais, messieurs, disait-il. J’avais un ordre de service m’enjoignant de découvrir les individus émettant des louis d’or antidatés. On m’avait donné le modèle d’un de ces louis d’or. L’ordre était vieux de trois jours ; hier au soir je commençais à me désespérer et à me demander si j’arriverais à un résultat, lorsque, en compagnie de mon ami, l’inspecteur Michel, j’eus une très agréable surprise…

Une quinte de toux coupait la parole à Léon, qui était horriblement grippé. Un peu calmé, il reprenait :

— Nous nous promenions, Michel et moi, à la fête foraine qui se tient sur les boulevards extérieurs à la hauteur de la rue de Flandre. Nous étions venus là avec l’idée que, les faux monnayeurs cherchant tous les endroits possibles pour écouler leur marchandise, il était après tout admissible qu’ils viennent faire un peu la bombe au cours de la soirée… Dans la pègre, quand on a de l’argent, on s’amuse, quand on s’amuse, on fait des imprudences ! Le tout, c’est de deviner les imprudences !

— Très bien ! ponctua Juve comme malgré lui.

— Nous nous promenions donc sur le boulevard, lorsque tout à coup je heurtai au passage un couple qui n’était autre qu’un couple d’apaches fort connu de moi pour être susceptible de tous les mauvais coups. Je n’aurais cependant rien eu à dire, car je n’avais aucun mandat à l’endroit de ces individus, lorsque, les ayant heurtés, j’ai eu la surprise d’entendre un tintement extraordinaire dans leurs poches. On eût dit que ces gens-là étaient remplis de monnaie. Cela attira mon attention.

— Très bien ! dit encore Juve.

Léon continua :

— Michel, immédiatement, me proposa une filature. Cela ne devait pas être difficile, d’ailleurs. La femme était grise, l’homme paraissait un peu gai. Nous leur emboîtâmes le pas.