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Juve, qui n’avait rien dit, se leva brusquement :

— Ah ! tu veux écrire au ministre ! faisait-il, tutoyant Mon-Gnasse avec l’autorité et le sang-froid d’un homme qui en a vu de plus rebelles et de plus durs… Eh bien, mon petit, ce n’est pas la peine de te gêner. Allez, vas-y, parle !… Voilà précisément le ministre de l’intérieur, le ministre de la Justice et le ministre des Finances !

Or, à ces mots, Mon-Gnasse, stupéfait, reculait. Brusquement, il se sentait mal à l’aise. C’était d’une voix beaucoup moins assurée qu’il rétorquait à Juve :

— Des ministres, ces mal fichus-là ?… Non, mais ça n’prend pas ! Faudrait la faire à d’autres ! On est d’Pantruche !…

M. Havard se sentit défaillir.

Les ministres ne bronchaient pas.

Juve, de son côté, ne se troublait aucunement. C’était malgré lui qu’il était intervenu, et parce qu’il trouvait que M. Havard conduisait mal l’interrogatoire.

Il déclara nettement :

— Mon-Gnasse, tu es un imbécile ! Tu veux nier l’évidence, mais cela ne sert à rien. Quand le bifteck est là, il faut se mettre à table !

Les ministres, à cet instant, ne comprenaient peut-être pas, mais Mon-Gnasse, en revanche, saisissait parfaitement l’argot de Juve.

Se mettre à table, c’était avouer… Et ce que Juve désignait par le bifteck, c’était évidemment le corps du délit…

Mon-Gnasse pourtant voulut ruser :

— Le bifteck, quoi ? dit-il. Où c’est qu’il est ? J’le zieute pas, moi !… On n’a rien contre nous !

Mais dès lors que l’apache commençait à discuter, dès lors qu’il répondait aux questions qu’on lui posait, il était d’avance perdu.

Juve ne lui laissa pas le temps de réfléchir.

— Le bifteck, déclarait-il, ce sont les pièces d’or que vous aviez hier soir, toi et ta femme. D’où viennent-elles ? Allons, parle !

Le teint de Mon-Gnasse était devenu terreux. L’apache, à ce moment, sentait que les choses tournaient mal pour lui. Bien sûr, il se rendait compte que ces pièces d’or découvertes dans sa poche, trouvées dans les bas de la Puce, constituaient une charge inquiétante. Comment expliquer leur présence ?

D’une voix qui hésitait déjà, Mon-Gnasse expliqua :

— Eh bien quoi, les jaunets y n’devaient rien à personne ! J’ai pas à expliquer ma fortune !

— Si, fit Juve. Quand on n’est pas propriétaire, il faut…

Mais Mon-Gnasse venait d’inventer une explication, il se hâta de la donner :

— Eh bien, voilà ! commença-t-il. Ce pèze-là, je l’ai gagné aux courses. J’voulais pas l’dire, parce que mes théories sont contre les courses et que j’suis honteux d’la chose…

En parlant, Mon-Gnasse jetait des coups d’œil sournois pour s’assurer de l’effet que produisaient ses paroles.

Juve, tranquillement, venait de se lever.

Sans hausser la voix, il disait à Léon :

— Faites donc conduire ces bonnes gens-là au cachot. Après tout, nous sommes bien bêtes de perdre du temps avec eux !

Or Mon-Gnasse, en écoutant ce propos, perdait toute son assurance.

Une peur affreuse lui venait.

Des fois, est-ce que les cognes ne l’auraient pas filé depuis Robinson ? Est-ce que la rousse ne savait pas qu’il turbinait pour Fantômas ? Ils étaient tous là à lui tirer les vers du nez ; peut-être bien qu’ils faisaient les imbéciles mais qu’ils en savaient long !…

Et Mon-Gnasse fut pris d’un désespoir violent à la pensée qu’on allait le reconduire dans sa cellule, qu’il y resterait peut-être au secret pendant sept ou huit jours et que, tout ce temps, il ne saurait rien de ce qui se tramait contre lui…

Mon-Gnasse ouvrit la bouche pour parler, mais la Puce le devança :

— Ah ! bien, zut alors ! déclarait la femme. Si c’est comme ça, moi, j’aime mieux jacter ! Bien sûr, qu’on sait des choses !…

Mon-Gnasse, à son tour, reprit la parole :

— Pour en savoir, se hâtait-il d’ajouter, ça, on en sait !… Seul’ment, nous autres, on est innocents…

Puis, d’un coup d’œil, Mon-Gnasse invitait la Puce à se taire.

— On n’peut même pas jacter ce qui s’appelle des renseignements, rapport à ce que l’type qui nous a r’filé les pièces, on l’connaît à peine…

— Ah ! fit Juve. On vous a donc refilé les pièces, maintenant ? Vous ne les avez plus gagnées aux courses ?

Mon-Gnasse se troubla tout à fait.

— C’est que, voilà, commençait-il.

Puis, il se décidait soudain et il parlait d’un ton ferme :

— Est-ce pas, on pourrait vous dire des choses, et vous en faire trouver beaucoup d’autres !… Seul’ment, la Puce et moi, rapporta c’qu’on est des honnêtes types, on connaît pas les noms des bougres qui font les coups… Est-ce qu’on pourrait pas, d’hasard, nous m’ner au cabaret du Cochon-Gras ? Dame, c’est là qu’on vous en montrerait, des pantes !… là, que vous en feriez, un coup de filet !… Ça s’peut-il ?

— On verra ! fit Juve.

Le policier faisait un signe à Léon. Éberlués, Mon-Gnasse et la Puce, se demandant pourquoi l’on coupait court à leur interrogatoire, furent emmenés hors du cabinet du chef de la Sûreté.

Ils étaient à peine partis que Juve expliquait aux ministres :

— Ces gens-là avoueront, messieurs. Ils n’avoueront pas aujourd’hui, évidemment, car ils espèrent encore pouvoir nous tromper, mais je devine qu’ils avoueront… Ils vont demander à se promener dans la pègre dans l’espoir de nous lasser. Quand ils verront qu’on ne les lâche pas, ils se décideront certainement à entrer dans la voie des aveux. C’est bien votre avis, monsieur Havard ?

M. Havard était au fond de son cœur très vexé de l’attitude qu’avait eue Juve, inconsciemment, car, emporté par son intelligence, le roi des policiers avait agi tranquillement, sans trop s’occuper de son chef.

M. Havard riposta avec un peu d’aigreur :

— Si vous m’aviez laissé le temps de parler, Juve, j’aurais exactement dit cela à ces messieurs !

À ce moment, le policier sourit. Il sentait le reproche ; il voulut calmer la jalousie du chef de la Sûreté.

— Fichtre ! murmura Juve tout haut… Et mon rendez-vous chez le juge d’instruction !

Rapidement, Juve prenait congé et partait. Il laissait le chef de la Sûreté reconduire les ministres ; c’était une compensation que M. Havard apprécierait certainement…

XV

Une leçon de discrétion

Juve s’avançait peut-être un peu ou encore ne confessait pas entièrement sa pensée lorsqu’il se déclarait certain que Mon-Gnasse et la Puce, d’ici peu de temps, se décideraient à reconnaître qu’ils n’étaient point aussi innocents qu’ils voulaient bien le dire et se résoudraient à apprendre quelle était la provenance exacte des pièces d’or saisies sur eux.

Juve partait, pour raisonner ainsi, d’un point de départ discutable.

Il n’avait point varié d’opinion, il estimait de plus en plus que le directeur de la Monnaie, autour duquel les soupçons semblaient se resserrer, était un malheureux innocent, victime d’un ensemble de circonstances ou, ce qui était pis encore, victime des plans ténébreux de quelque crapule acharnée à sa perte.

— L’histoire des faux certificats est louche, pensait-il. L’histoire du valet de chambre assassiné est plus louche encore… Enfin, le double attentat commis contre Paulette de Valmondois est si louche lui-même que cela dépasse les bornes permises.

Et Juve finissait par déclarer :

— On n’est pas bête à ce point-là ! Si Léon Drapier était le coupable, il n’aurait pas accumulé autant de maladresses certaines, autant d’indices constituant des charges terribles contre lui !