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Nalorgne hochait la tête, il questionna :

— Ouais ! mon garçon, tu nous crois trop bêtes !… Et si tu t’débinais, hein ?

Mais Mon-Gnasse avait une figure d’innocence absolue.

— Comment que j’me débinerais, murmurait-il, puisque vous seriez d’vant la porte et qu’il n’y a qu’une entrée !

Nalorgne, cette fois, ne répondit pas. Il ignorait à vrai dire si le bouge comportait plusieurs entrées. Il ne voulait pas convenir de son ignorance, et pourtant il tremblait à la pensée que Mon-Gnasse et la Puce pouvaient disparaître et s’évader.

À la fin, une réflexion décida Nalorgne.

— Parbleu ! songea-t-il, si Mon-Gnasse me dit qu’il n’y a qu’une entrée, c’est que c’est la vérité, il n’oserait pas me mentir ainsi !

Nalorgne était peut-être bien confiant, pourtant il se décida.

— Supposons que l’on fasse ainsi, dit-il. Après qu’est-ce qui se passera ?

La Puce répondit à son tour :

— Dame, on s’coll’ra à licher…

Et Mon-Gnasse complétait l’explication :

— Bien sûr, on aura pas l’air d’se connaître !… Puis, comme ça, quand c’est qu’viendra l’mec qui nous a r’filé les pièces d’or, la Puce et moi, on vous f’ra signe.

Pérouzin trouvait cela très bien. Il le déclara nettement.

— Affaire entendue ! disait-il. Nous allons procéder ainsi.

Et, pour se concilier les bonnes grâces des apaches, Pérouzin, qui était généreux à ses heures, décida sans hésiter :

— Vous pourrez boire d’ailleurs tant que vous voudrez, c’est Nalorgne et moi qui paierons les tournées.

Le petit groupe arrivait à ce moment devant le Cochon-Gras. Il était temps de se séparer.

Très fiers, ayant l’air parfaitement innocents, Mon-Gnasse et la Puce quittèrent les deux agents et entrèrent dans le cabaret. À ce moment, Nalorgne claquait des dents.

— Pourvu qu’ils ne s’enfuient pas ! murmurait-il.

Mais Pérouzin riait d’un grand rire de confiance.

— Ils n’oseraient pas ! répétait-il, ils n’oseraient pas !…

Et les deux inspecteurs, quelques instants plus tard, pénétraient à leur tour dans le bouge.

Quelle que fût d’ailleurs leur confiance dans Mon-Gnasse et la Puce, ils poussaient un véritable soupir de soulagement en constatant que les deux misérables étaient toujours là. Le gibier n’avait pas fui, il était encore à portée de leur main.

— Là ! vous voyez bien, Nalorgne ! souffla Pérouzin.

Pérouzin hochait la tête, cependant qu’il commandait d’autorité deux mominettes et de quoi écrire.

Les deux mominettes s’expliquaient assez bien. Pour être inspecteurs de la Sûreté on n’en est pas moins hommes, et Nalorgne et Pérouzin depuis quelque temps, à force de fréquenter les apaches, à force d’enquêter dans les bars, avaient fini par contracter la déplorable habitude de l’absinthe.

Si, d’autre part, ils demandaient en plus de leur consommation de quoi écrire, c’est que Juve leur avait appris récemment un truc policier qui les ravissait.

— Quand vous faites une enquête ensemble, avait dit Juve, et que, vous trouvant dans un milieu suspect, vous désirez vous communiquer des choses que personne ne doit entendre, vous n’avez qu’à les écrire, Nalorgne, par exemple, tracera quelques mots, passera la feuille à Pérouzin. Celui-ci, ayant l’air d’examiner le brouillon d’une lettre, lira le plus naturellement du monde ce que son collègue a écrit et, faisant mine de raturer, répondra tout ce qu’il voudra…

Nalorgne et Pérouzin, en possession de ce qu’il fallait pour écrire, commencèrent immédiatement à correspondre.

— Fichue clientèle ! écrivit Nalorgne.

Pérouzin, maladroit comme tout, lut immédiatement ce mot et écrivit en-dessous :

— Ils ont tous des têtes d’assassins !…

Puis il passa le porte-plume à Nalorgne et, souriant, attendit que celui-ci lui communiquât une nouvelle remarque.

La manœuvre était si simple et si grossièrement faite qu’il eût été véritablement impossible qu’elle échappât à la perspicacité du plus obtus des misérables.

Ce qui pourtant sauvait Nalorgne et Pérouzin, c’était tout bonnement qu’il n’y avait aucun misérable dans le cabaret du Cochon-Gras et que Pérouzin se trompait complètement en imaginant voir des têtes d’assassins.

Il n’y avait là, en réalité, que de braves gens, d’honnêtes travailleurs des abattoirs, qui buvaient un coup en passant.

Comment cela se faisait-il ?

L’explication était bien simple.

Le Cochon-Gras, en réalité, ne recevait la clientèle louche qu’à partir de quatre heures du soir. Mon-Gnasse et la Puce, d’ailleurs, avaient donné l’adresse tout à fait au hasard. Ils n’avaient personne à voir, personne à rencontrer dans le bouge, et lorsque Juve avait dit qu’il fallait les y conduire, lors de l’interrogatoire qu’ils avaient subi le matin même, Mon-Gnasse et la Puce avaient été les premiers surpris de l’ordre du policier.

Mon-Gnasse avait parlé du Cochon-Gras pour gagner du temps, et sans croire que cela allait prendre. Cela n’avait pas pris en effet, mais Juve, lui aussi, voulait gagner du temps, et c’est pourquoi il avait accepté la proposition.

Désormais, Mon-Gnasse et la Puce, séparés par quelques tables de Nalorgne et de Pérouzin, pouvaient causer sans être entendus.

— Quels ballots !… disait Mon-Gnasse. Ils coupent dans tous les ponts !… Et comment qu’on les balade en bateau ! Si on a un peu d’veine, demain, on d’mandera à aller dans un aut’caboulot…

La Puce approuvait.

— Ah, t’es rien bath, mon homme ! disait-elle avec admiration. T’as des idées de costaud tout d’même !… On contera comme ça qu’on a pas rencontré l’type en question et on s’f’ra vadrouiller ailleurs. C’est quinze jours de lichage aux frais d’la princesse… Veine, alors !

Le plan était très simple. Restait à le mettre à exécution, d’autant que, bien probablement, Mon-Gnasse l’estimait du moins, les agents se lasseraient de les promener et l’on finirait par les remettre en liberté.

Ils en étaient là de leurs projets lorsqu’un homme entrait brusquement dans le cabaret à la façon d’un habitué. Cet homme marchait droit à Mon-Gnasse et à la Puce.

— Tiens, les poteaux ! criait-il. Et comment qu’ça va, les vieux ? Ça circule toujours ?

À la vue de cet homme, Mon-Gnasse et la Puce se trouvaient fort interloqués. Qui diable était-ce ? Ils ne le connaissaient aucunement. Ils pensaient ne l’avoir jamais vu !

Mon-Gnasse, pourtant, ne perdait pas trop son sang-froid.

— Ça, y a pas d’doute, jugea-t-il en un instant de réflexion, c’est un trafalgar qui s’prépare ; c’est des copains qui nous envoient c’type-là, histoire de nous faire barrer !

Mon-Gnasse se fit aimable en conséquence.

— Eh oui, ça circule ! déclarait-il. On n’est pas bons encore pour les pissenlits !… Et toi, ma vieille, quoi d’neuf ?

Mon-Gnasse, d’un petit geste de la main, avait fait signe à Nalorgne et Pérouzin. Les deux agents tressaillaient d’aise.

— Cela doit être l’individu ! écrivit Nalorgne.

Pérouzin répondit :

— Ouvrons l’œil, et le bon !

Ils furent tout yeux, tout oreilles.

La conversation continuait.

— J’ai pas longtemps à moi, déclarait le poteau de Mon-Gnasse et de la Puce, tout juste le temps de faire un cafouillou. Ça colle-t-il ?

Mon-Gnasse n’ignorait pas qu’il n’y avait pas de billard dans l’établissement. La proposition de l’inconnu le confirma donc dans cette pensée qu’il avait des propositions à lui faire.

— Ça colle ! répondit-il.

— Alors, cavale dans la salle du fond !