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L’inconnu se retournait vers le patron, il criait :

— Eh, tôlier ! On s’en va au cafouillou… Tu porteras les verres là-bas !

Le tôlier poussa un grognement qui pouvait être à la rigueur une réponse affirmative.

Mon-Gnasse et la Puce se levaient cependant. Ils suivaient l’inconnu, adressant toujours des petits gestes à Nalorgne et Pérouzin qui ne se tenaient pas d’aise. La correspondance reprit entre les deux personnages.

— Ça marche ! écrivait Nalorgne.

— Ça galope ! affirmait Pérouzin.

Et, prenant une feuille neuve, Nalorgne écrivait encore :

— Sûrement l’individu qui vient d’entrer est un apache intéressant. Ils ont fait des signes, attendons !

— Attendons ! acquiesça Pérouzin.

Ils attendirent, en effet, sans inquiétude, car ils étaient persuadés qu’il n’y avait point d’autre sortie, pendant un bon quart d’heure. C’était à peine s’ils trouvaient le temps long et s’ils commençaient à se demander s’il ne serait pas bon d’aller voir dans la salle basse ce qui se passait, lorsqu’un événement, à coup sûr imprévu, se produisit brusquement.

Enfoncée d’un coup d’épaule, la porte de la salle basse s’ouvrait.

Un homme apparaissait dans l’embrasure. C’était Juve !

Juve était livide, et Juve criait :

— À l’aide, nom d’un chien ! Nalorgne, allez vite chercher une voiture ! Pérouzin, aidez-moi !… On s’assassine là-dedans !

Alors, une scène horrible se passait.

Tandis que Nalorgne, affolé, obéissait machinalement, quittait le cabaret et courait chercher un fiacre, Pérouzin, accompagnant Juve, se précipitait dans la salle basse.

L’aspect de la pièce était épouvantable.

Par une fenêtre située à mi-hauteur, une fenêtre dont les grilles étaient arrachées et qui avait servi à Juve pour entrer, un jour pâle pénétrait. Il éclairait une scène abominable.

Le sol était couvert de sang. Le sang avait d’ailleurs giclé jusqu’au plafond, souillant les murs, écrivant un horrible carnage.

Mais ce n’était point le sang qui retenait les regards. Ce qui laissait Pérouzin muet d’effroi, ce qui l’épouvantait au point qu’il pensait défaillir, c’est qu’il apercevait, à l’instant même, deux formes humaines, deux corps qu’agitaient de convulsifs mouvements, le corps d’un homme, le corps d’une femme, le corps de deux malheureux qui étaient Mon-Gnasse et la Puce et qui, tous deux souillés de sang, râlaient à moitié !

— Mon Dieu ! gémit Pérouzin.

Et, machinalement, il cherchait un troisième personnage, le costaud qui avait accompagné Mon-Gnasse et la Puce.

— Imbéciles ! Brutes ! Comprenez-vous votre maladresse, au moins ? Vous les avez perdus de vue !… Ah, sang Dieu, dire que je suis arrivé trop tard !

Juve, en fait, était parvenu au Cochon-Gras juste à l’instant où Mon-Gnasse et la Puce suivaient l’inconnu pour entrer dans la salle basse ; le policier, qui allait pénétrer dans le cabaret, avait vu, à travers la porte, Nalorgne et Pérouzin laissant tranquillement s’éloigner les deux apaches dont ils avaient la garde.

— Les imbéciles ! avait pensé Juve.

Sans perdre de temps alors, et soupçonnant qu’une évasion était possible, Juve, au lieu d’entrer dans le cabaret, s’était rejeté en arrière, voulant faire le tour de la maison.

Il avait perdu du temps à traverser des cours, à s’orienter. Quand il était arrivé sur la façade opposée du Cochon-Gras, il avait trouvé la fenêtre ouverte, avait compris que quelqu’un avait fui par là, s’était hissé jusqu’à cette lucarne et, par elle, avait aperçu les deux victimes étendues sur le sol…

Que s’était-il passé au juste, cependant ?

Juve ne le savait pas. Il avait vu que Mon-Gnasse et la Puce vomissaient le sang à flots. Ils étaient ligotés. Juve alors donnait l’alarme, envoyait chercher une voiture, puis s’occupait avec Pérouzin de transporter les blessés.

Juve, d’ailleurs oubliait complètement à cet instant qu’il s’agissait de misérables fort peu dignes d’intérêt. Il bousculait même Nalorgne et Pérouzin avec fureur :

— Hâtez-vous donc ! hurlait-il. Vous voyez bien que ces gens-là râlent !… Il faut les secourir ! C’est votre bêtise, que diable, qui vient de les faire assassiner !

Transportés dans un fiacre, Mon-Gnasse et la Puce, évanouis et perdant toujours leur sang, ne donnaient guère signe de vie. Juve prit lui-même les guides en main. À l’ahurissement du cocher, qui ne comprenait rien à la façon de faire de ce client, il fouettait la rosse et la lançait au galop dans la direction de l’hôpital.

Par bonheur, le policier était connu. Un interne accourait immédiatement.

— Grave, grave ! fit-il en hochant la tête. De terribles hémorragies !

Et il demandait :

— Que s’est-il donc passé ? Une rixe ?

— Je ne sais pas, dit Juve.

L’interne, aidé de deux infirmiers, déshabillait les blessés.

— Ils doivent avoir des coups de couteau ou une balle dans les poumons pour vomir le sang de cette façon !

Mais aucune blessure n’apparut sur les deux corps déshabillés.

— Sapristi ! déclara l’interne, qu’est-ce que cela signifie ?

De force, il ouvrit la bouche des deux victimes. Avec des tampons d’ouate, il étanchait le sang et soudain le jeune médecin poussait un cri d’horreur…

— Ah ! nom de Dieu ! c’est abominable !… On leur a coupé la langue !

Et, très pâle, l’interne répétait cependant qu’il cautérisait l’horrible blessure :

— Mais, bon Dieu ! qu’est-ce que tout cela signifie ? Qu’est-ce que cela signifie donc ?

Il interrogeait du regard Juve, Nalorgne et Pérouzin.

Les trois hommes se taisaient.

Nalorgne et Pérouzin n’y comprenaient rien du tout. Juve réfléchissait.

L’interne, à la fin, déclara :

— Ils en réchapperont peut-être, mais voilà des gens muets pour toujours !

Alors, brusquement, Juve se tordit les mains.

Les dernières paroles de l’interne venaient de lui faire deviner la vérité :

— Ah, c’est horrible ! soupira Juve. Sûrement, il s’agit encore d’un crime de Fantômas ! Il n’y a que Fantômas pour avoir osé rêver cela ! Fantômas, sans doute, se méfiait de leurs bavardages ! Oui, c’est bien cela, il a voulu les rendre muets, muets pour toujours !… C’est une terrible leçon de discrétion qu’il vient de donner à des complices trop bavards !

Et Juve, à ce moment, devinait en effet la vérité…

XVI

Sous un monceau d’or

— Il n’est pas encore arrivé ?

— Pas encore !

— Il est pourtant déjà neuf heures un quart, et d’ordinaire le patron est fort exact !

— M. le directeur est, en effet, fort exact à l’ordinaire, je ne comprends pas pourquoi il n’est point là ! Il y a une quinzaine de personnes qui l’attendent, et pour peu que ces gens aient bien des choses à lui dire, nous risquons fort d’aller déjeuner à une heure de l’après-midi !

Le personnage qui s’exprimait ainsi était un majestueux huissier, décoré de plusieurs ordres étrangers, dont le rôle consistait à défendre l’entrée du couloir attenant au cabinet de M. le directeur de la Monnaie.

Il échangeait ces propos et émettait ces craintes en présence d’un employé du personnel, M. Valleret, qui arrivait avec un gros dossier sous le bras.

M. Valleret reprit :

— Dites donc, mon brave, vous allez vous arranger pour m’introduire auprès du patron avant tous ces visiteurs ! Vous savez, nous, les employés, nous n’avons guère le temps d’attendre et j’ai une communication excessivement importante à lui faire !