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Le directeur de la Monnaie en était là de ses réflexions, lorsque M. Valleret entra dans son cabinet.

L’employé de la comptabilité se confondit en salutations plates et obséquieuses devant le grand chef, mais Léon Drapier mettait fin, d’un geste bref, à ces cérémonies.

— De quoi s’agit-il, monsieur Valleret ? dit-il. Parlez rapidement, je suis très pressé.

M. Valleret déposa son dossier sur le bureau du directeur. Il l’ouvrit lentement, puis, mouillant son doigt, se mit à tourner des pages et des pages sur lesquelles figuraient d’interminables colonnes de chiffres.

Quelques secondes, Léon Drapier le regardait faire, puis, impatienté, nerveux, il interrogea :

— Voyons, de quoi s’agit-il, monsieur Valleret ?

— De la balance de l’enquête, monsieur le directeur !

— Eh bien, quoi, la balance ? Qu’est-ce qui se passe ?

— Il se passe, monsieur le directeur, que je ne suis pas d’accord avec le trésorier.

— Allons, donc ! À quel point de vue ?

M. Valleret prit un temps pour répondre. Au fond, il était très satisfait d’avoir quelque chose d’important à signaler à M. le directeur. Il semblait que cela le rehaussait dans l’esprit de son chef, et que désormais il allait être dépositaire d’un de ces graves secrets comme il en est parfois dans les administrations et que tout le monde connaît dans les bureaux au bout de cinq minutes.

— Monsieur le directeur, commença-t-il, mon service, ainsi que vous ne l’ignorez pas, est chargé d’établir chaque jour au point de vue comptable, et d’après les états fournis quotidiennement par les ateliers de fabrication, le montant de l’encaisse or et argent. Je ne m’occupe point du bronze, qui doit figurer à la trésorerie. Voilà douze ans que j’appartiens à l’administration, et pendant douze ans nous avons toujours été d’accord, M. le trésorier et moi. Mais, hélas ! les meilleures choses ont une fin, comme dit le proverbe…

Léon Drapier s’exaspérait, il frappa du poing sur son bureau.

— Quand vous aurez fini de discourir ! gronda-t-il. Est-ce que par hasard vous vous moquez de moi ?

— Oh ! monsieur le directeur ! fit Valleret d’un air profondément scandalisé. Comment pouvez-vous penser un seul instant que je sois capable d’une telle incorrection !

— Résumez ! fit sèchement M. Léon Drapier. En deux mots, qu’est-ce qu’il y a ?

— Il y a, monsieur le directeur, qu’il manque vingt mille francs d’or au trésorier, comme il en manquait vingt mille, d’ailleurs, il y a trois jours !

Léon Drapier considéra le comptable d’un air hagard.

— Il manque vingt mille francs d’or ! fit-il, comme il y a trois jours !… Que dit le trésorier ?

— Le trésorier affirme, monsieur le directeur, que c’est moi qui me trompe… Moi j’affirme que c’est lui !

Léon Drapier appuya sur un timbre, l’huissier se présenta.

— Je ne recevrai personne ce matin, déclara-t-il, renvoyez tout le monde !

Puis il ajoutait :

— Faites venir immédiatement le trésorier, dites que je l’attends dans mon bureau !

Tandis que les solliciteurs, qui étaient venus dans l’espoir d’être reçus par M. le directeur de la Monnaie, se retiraient maussades, indifférents ou furieux selon l’importance qu’ils attachaient à leur visite, un groupe de personnes se présentait quai Conti à la façade principale de l’hôtel des Monnaies.

La grande porte venait de s’ouvrir, car il était dix heures du matin, et dès lors le concierge de l’important immeuble faisait pénétrer tous ces gens dans une petite salle à côté de sa loge.

À voir ces gens, on déterminait aisément leur nationalité et leur profession. C’étaient des touristes, pour la plupart des étrangers, des Anglais et des Allemands, qui, respectueusement fidèles à un programme arrêté d’avance par leur guide, s’étaient réunis ce matin-là au quai Conti dans le but de visiter la Monnaie.

Le concierge s’approchait d’un des leurs, un personnage aux cheveux très bruns, à la moustache hérissée comme une moustache de chat.

— Salut, monsieur ! lui dit-il en lui tendant la main, voilà longtemps qu’on ne vous avait pas vu !

Le personnage sourit, il serra cordialement les doigts du fonctionnaire.

— Que voulez-vous, monsieur le concierge ! il faut bien vivre de son métier ! Voici les autorisations du ministère pour que je puisse faire visiter à ma clientèle les salles du musée et les ateliers de la frappe.

Le concierge vérifiait les documents que lui tendait le guide.

— C’est parfait ! déclara-t-il, vous allez pouvoir commencer !

Le guide, dès lors, articulait d’une voix tonitruante, qui résonnait dans la salle vide de meubles :

— Mesdames et messieurs, vous êtes ici à l’hôtel des Monnaies, dont la construction remonte aux années les plus reculées. Autrefois, le droit de battre monnaie appartenait à certains seigneurs, mais, depuis l’abolition du régime féodal, vous voyez que cela ne remonte pas à hier, quelques villes de la France, qui était alors gouvernée par un roi, bénéficiaient de ce privilège. Peu à peu, les hôtels des Monnaies, dans les provinces, disparurent, et là frappe des pièces d’or, d’argent et de bronze, fut réservée à l’hôtel de Paris…

Le guide alors quittait la salle, s’avançait dans une cour intérieure, qu’il faisait traverser par sa troupe de clients.

— Nous allons commencer maintenant la visite, déclarait-il, par la salle dite musée des Médailles. Celle-ci est ouverte au public sans autorisation préalable, n’importe qui peut venir contempler les modèles qui ont été établis pour commémorer certains événements notoires de l’histoire de France… Nous déplorerons, mesdames et messieurs, avec le conservateur de l’établissement, que bon nombre de ces médailles aient été enlevées de ce musée, transportées à la Bibliothèque nationale, où il est à peu près impossible aux amateurs de les examiner. Ceci fut fait lorsqu’on créa la Bibliothèque nationale. Elle était alors une personnalité très bien en cour, si je puis m’exprimer ainsi, et elle obtint de faire transporter chez elle les médailles qui n’auraient jamais dû quitter l’hôtel des Monnaies !

En trois quarts d’heure environ, le guide fournissait à ses clients toutes les explications nécessaires. Il leur montrait la plus grande médaille qui ait jamais été frappée et après celle qui est réputée pour être la plus petite de toutes et qui, ô ironie des choses, consacre la loi qui accorda la liberté de la presse en France !

Les visiteurs allaient et venaient dans le paisible musée de l’hôtel des Monnaies, sans se douter un seul instant des événements qui se passaient dans ce même hôtel et des préoccupations qui hantaient ses hauts dirigeants.

Une dramatique discussion venait d’avoir lieu dans le cabinet de M. Léon Drapier.

Après les déclarations du comptable, le directeur de la Monnaie avait jugé indispensable de faire venir le trésorier. Il avait confronté les deux hommes, et il s’était rendu compte que tous deux étaient également de bonne foi, que chacun d’eux, en outre, avait pleinement raison.

L’encaisse indiscutable de la trésorerie était inférieure de vingt mille francs à l’encaisse accusée par les chiffres du contrôle !…

Léon Drapier était anéanti par ces constatations.

— On nous vole ! hurlait-il, allant et venant dans son cabinet, en proie à une nervosité inexprimable, et il nous est impossible de savoir qui nous vole, comment surtout ces vols sont commis !