Cette cave était une des caves de la Monnaie, elle contenait une partie du trésor de l’atelier de fabrication.
Quant au personnage qui venait de s’introduire dans ce local aux collections extraordinaires et précieuses, c’était un être dont la réputation était mondiale, dont la cruauté n’avait d’égale que celle des bêtes féroces, dont l’audace n’avait été approchée par personne.
Le personnage vêtu de noir, armé d’un revolver et porteur d’une lampe électrique, qui s’était adroitement introduit dans ce merveilleux sous-sol, n’était autre que Fantômas !…
XVII
Situation compromettante
Ainsi donc, les suppositions les plus extraordinaires étaient fondées ! Ainsi donc, les pressentiments les plus redoutables étaient justifiés !
Fantômas, comme certains l’avaient craint, était réellement dans la place, et c’était évidemment lui qui dérobait dans les sous-sols de la Monnaie l’or dont la disparition stupéfiait tellement le personnel du contrôle et de la trésorerie.
Il avait eu beau martyriser cruellement les deux apaches auxquels il avait donné de cet or en paiement pour les empêcher d’avouer l’origine de ces louis qu’ils possédaient, on avait réussi, sans grande difficulté, à se rendre compte que cet or provenait de la Monnaie et, comme cela coïncidait avec des disparitions de fonds, la filière était établie.
Toutefois, il restait à trouver le coupable, l’auteur de ces vols audacieux, et nul n’y parvenait.
Fantômas, à maintes reprises, s’était introduit dans l’hôtel des Monnaies, si rigoureusement gardé cependant, et avait réussi à déjouer toutes les surveillances.
Or, ce jour, le lendemain même de l’effroyable mutilation qu’il avait fait subir à la Puce et à Mon-Gnasse, Fantômas avait pénétré dans l’intérieur de l’hôtel en se mêlant tout simplement à la foule des touristes étrangers qu’un guide amenait visiter le palais de l’or.
Fantômas, toutefois, avait été obligé d’aviser soudainement de la conduite à tenir.
Un ordre était survenu au cours de la visite habituelle, ordre inattendu, inopiné, qui obligeait les touristes à rebrousser chemin et les empêchait d’achever leur visite, de donner le coup d’œil que l’on faisait jeter d’ordinaire sur les caves dans lesquelles étaient enfermées des quantités incommensurables de pièces de toutes sortes pour des valeurs inappréciables.
Mais Fantômas ne manquait jamais de présence d’esprit, pas plus qu’il était à court d’audace !
C’est pourquoi il s’était dissimulé sous un tréteau, dans l’atelier même de la frappe des pièces d’or, lorsqu’on l’avait fait évacuer par les visiteurs.
Le sinistre bandit s’était tout d’abord rendu, par le moyen du monte-charge, dans les combles du grand immeuble ; après quoi il était descendu par un escalier secret jusqu’à la cave où il opérait, depuis quelque temps déjà, ses mystérieux et productifs larcins.
Comment était-il au courant des dispositions du palais de la Monnaie ?
Comment possédait-il les clés qui ouvraient les serrures les plus secrètes ?
C’était là le secret de Fantômas, et aussi le résultat de la plus extraordinaire et la plus audacieuse machination qui avait jamais été ourdie jusqu’alors par le bandit lui-même, et encore moins par ses imitateurs.
Fantômas savait qu’il ne s’agissait point de chercher à faire sortir de ce sous-sol l’or qu’il pouvait y dérober par le moyen habituel que l’on emploie pour sortir d’un immeuble, c’est-à-dire par la porte ou par les fenêtres.
Le bandit n’ignorait pas que, depuis le directeur lui-même jusqu’au plus modeste des employés, chaque personne était minutieusement examinée, fouillée même, lorsqu’elle se disposait à quitter l’hôtel, surtout lorsqu’elle appartenait à un service par suite duquel on était appelé à toucher de près ou de loin aux réserves des trésors, qu’il s’agisse de pièces monnayées ou encore de lingots d’or ou d’argent.
Fantômas avait trouvé mieux pour extraire de l’or des profondeurs de l’hôtel des Monnaies.
Sans doute le bandit avait dû travailler de longue date le dispositif dont il se servait !
À l’extrémité de cette cave dans laquelle il se trouvait, passait un tuyau métallique qui s’enfonçait dans les profondeurs de la terre et vraisemblablement allait rejoindre un égout se déversant dans la Seine.
Fantômas avait opéré dans ce tuyau une très légère ouverture par laquelle il pouvait introduire à l’intérieur du tube au maximum deux louis d’or à la fois.
Fantômas ne se lassait pas de déverser, dans cette étrange tirelire, le plus de louis qu’il pouvait sans se soucier, en apparence, de l’endroit où cet or allait sortir du tuyau.
En fait, il le savait…
Et si quelqu’un s’était avisé de surveiller les abords de la Seine, à la hauteur du Pont-Neuf, on aurait remarqué qu’à maintes reprises, notamment à la tombée de la nuit, une barque montée de deux pêcheurs venait s’amarrer à un anneau du quai de la rive gauche.
Les pêcheurs jetaient leur ligne patiemment, attendaient un poisson qui ne se faisait jamais prendre, et, tandis qu’ils avaient l’air de se livrer à ce sport pacifique, en réalité, avec une sorte de herse, ils raclaient le fond de la Seine.
Les branches arrondies de leur crampon finissaient par rencontrer l’anneau d’une solide caisse qu’ils attiraient à eux.
Or, c’était dans cette caisse que venait aboutir le tuyau communiquant avec la cave de la Monnaie, dans lequel Fantômas passait des heures à introduire des louis d’or deux par deux !
Fantômas, ce jour-là, agissait avec une fébrile activité.
Il avait découvert non plus des pièces de monnaie qui ne seraient pas mises en circulation avant longtemps, mais tout un lot de louis qui allaient, le mois prochain, être répandus dans le public.
Le bandit avait été rendu sage par l’alerte donnée dans sa bande par la saisie des louis n’ayant pas cours dont il avait été involontairement cause.
Mais, cette fois, il se réjouissait, car une fois les pièces qu’il dérobait mises en circulation, nul ne pourrait reprocher aux porteurs de les posséder sur eux !
Ce travail, toutefois, auquel se livrait le bandit, était fatigant. De grosses gouttes de sueur perlaient à son front, mais Fantômas était si absorbé qu’il dédaignait la fatigue et ne tenait point compte du temps qui passait.
Lui-même l’ignorait, et il était si attentif qu’il n’entendit point un léger bruit se produire, alors qu’il achevait de vider la grande cuve de verre dans laquelle il avait puisé sans discontinuer depuis son arrivée.
Un léger bruit, en effet, s’était produit, et il était dû à une chose singulière…
Sur le sol s’agitait une silhouette humaine, un corps d’homme qui paraissait surgir des profondeurs de la terre battue à cet endroit, où une croûte de ciment léger avait craqué.
Cet homme était d’une saleté sordide, couvert de gravats, de sable et de boue.
Ce personnage risquait tout d’abord le haut de la tête seulement au-dessus de la terre dont il venait d’émerger. Il regarda autour de lui. Tout d’abord, il ne vit rien, mais il entendit parfaitement le bruit cristallin du métal que maniait Fantômas avec tant de désinvolture.
Le visage de cet homme prit une expression de joie satisfaite, et, dès lors, au front et aux yeux succéda le reste du visage.