Quiconque aurait vu à ce moment cette apparition aurait certainement été terrifié !
On aurait dit le corps d’un homme enterré, surgissant de tombe, et venant demander aux vivants compte de ce qu’ils faisaient.
L’extraordinaire enseveli semblait peu disposé à se dépêcher à sortir ainsi de la terre.
Toutefois, ses yeux s’étant accoutumés à l’obscurité, il aperçut à l’autre extrémité de la cave le sinistre bandit en train de commettre son vol.
— Cette fois, songea-t-il presque à mi-voix, je crois bien que je le tiens !
Lentement, avec des précautions extraordinaires pour ne point faire de bruit et s’efforçant de ne point attirer l’attention, l’homme surgissait peu à peu du sol.
Comment était-il arrivé là ?
Et quel était l’extraordinaire phénomène qui faisait que la terre de la cave vomissait pour ainsi dire un être vivant ?
Si les louis lancés par Fantômas dans le tuyau de fer s’en allaient jusqu’à la Seine, l’homme qui désormais apparaissait dans la cave où agissait le bandit, avait en réalité pris un semblable chemin et fait le trajet en sens inverse.
À quelques heures de là, au cours de la nuit précédente, cet homme, qui rôdait sur les bords de la Seine, avait soudainement plongé dans les eaux noires du fleuve, à l’entrée de la bouche d’un égout, et si des gens l’avaient vu disparaître, ils auraient pu croire à une noyade, à un suicide, car l’homme n’avait point reparu à la surface des eaux.
Excellent nageur et se guidant au sein de l’onde glauque avec une lampe électrique d’une puissance extrême, cet homme s’était engagé dans l’égout. Il avait remonté juste au moment où, la voûte étant plus élevée que le niveau de l’eau, il avait pu sortir la tête et respirer.
L’homme avait empli ses poumons de l’atmosphère âcre et fétide qui régnait dans l’égout et n’avait point semblé y prêter la moindre attention tant le but qu’il poursuivait paraissait lui tenir au cœur.
Au fur et à mesure qu’il s’avançait, le niveau de l’eau baissait dans l’égout.
Et, dès lors, l’homme finissait par marcher à pied sec dans le cloaque immonde.
Ce n’était certes pas la première fois qu’il y venait, et il semblait fort bien connaître ce chemin, car à un moment donné, sans la moindre hésitation, à un carrefour où deux égouts venaient se joindre au premier, il s’engagea dans celui de gauche, non sans avoir pris au préalable, à côté d’un mur, une pioche et une marteau qui se trouvaient là.
Sans doute les avait-il apportés préalablement dans ce lieu ?
L’homme, désormais, s’engageait dans l’égout de gauche dont le diamètre était juste suffisant pour livrer passage à son corps et à ses robustes épaules.
Il s’enfonçait alors dans le trou sombre, se glissant péniblement, manquant d’air à chaque instant, pris à la gorge par les odeurs méphitiques qui s’exhalaient en maints endroits.
À deux ou trois reprises, il était obligé de livrer de véritables batailles à d’énormes rats d’égout qui, loin de fuir à son approche, semblaient vouloir s’opposer à sa marche en avant.
La pioche et le marteau faisaient leur œuvre et, sur son chemin, l’homme laissait quelques cadavres de ces bêtes répugnantes.
À un moment donné, l’homme s’arrêta, se coucha sur le dos, et, après avoir pris quelques minutes de repos car il était exténué, avec son marteau d’abord et sa pioche ensuite, il attaqua la voûte de l’égout !
Les coups qu’il portait à la muraille se répercutaient sourdement au lointain.
Pour ménager sa lumière sans doute, l’homme travaillait dans l’obscurité. À deux ou trois reprises cependant, il allumait sa lampe électrique, consultait un plan qu’il sortait de sa poche.
— Je suis bien au-dessous de la cave, reconnaissait-il, je dois continuer à creuser !
Il creusait toujours.
L’excavation s’agrandissait. À un moment donné, l’extraordinaire travailleur poussa un cri d’épouvante.
Un jet d’eau puissant venait de jaillir et menaçait de remplir l’égout, d’étouffer l’homme qui s’y trouvait.
Celui-ci, dans un malencontreux coup de pioche, avait en effet perforé une conduite d’eau…
Il se rendit compte que l’eau montait toujours – il en avait désormais jusqu’à la ceinture – et qu’elle ne tarderait pas à arriver jusqu’à ses épaules, car l’égout dans lequel elle tombait était si étroit qu’elle menaçait de le remplir complètement. Le premier instant de terreur passé cependant, l’homme reprit courage.
— Il faut que je creuse, se disait-il, que je creuse suffisamment pour arriver à réserver un orifice au-dessus du niveau de l’endroit où j’ai crevé le tuyau d’eau.
Et c’était désormais une lutte de rapidité entre la redoutable cascade et le travail de perforation auquel se livrait cet audacieux individu.
Enfin il atteignit son but !
Dès lors, constatant qu’il était sauf, il continua malgré la fatigue. Les moellons s’effritaient, les blocs de pierre tombaient autour de lui, puis ce fut, au-dessus de sa tête, une chute de terre meuble et de sable fin qui faillit l’aveugler et l’étouffer à la fois.
Mais, en dépit de ces difficultés, l’homme ne perdait pas courage, bien au contraire. Assurément, il devait se rendre compte que plus il creusait, plus il approchait du but qu’il poursuivait si ardemment.
Enfin, il parvint à rencontrer au contact de sa pioche une sorte de croûte de béton qui rendit un son creux lorsqu’il l’eut attaquée.
Cette fois, l’homme s’arrêta, et, accroupi sur les détritus qu’il venait d’extraire du sol, il souffla longuement.
— Je n’ai plus, songeait-il, qu’à briser cette croûte d’asphalte, et je suis dans la place.
Une heure après, l’homme faisait comme il l’avait dit, et c’était à ce moment que sa tête surgissait du sol de la cave, que ses yeux, étant accoutumés à l’obscurité, apercevaient Fantômas en train de dérober des milliers de louis d’or…
L’homme avait fini par s’extraire complètement du sol et désormais il se leva, s’avança lentement, longeait les murs et, de ses vêtements déchirés, souillés de boue, absolument informes, il extrayait un revolver, l’arme était chargée.
— Point de quartier ! pensa-t-il. Six balles d’abord dans la peau de Fantômas, puis ensuite on verra !…
Mais il n’avait pas le temps de réaliser son projet, il venait de faire un pas en avant, lorsqu’un cri terrible s’échappa de sa poitrine, cependant qu’une effroyable douleur manquait de le faire défaillir.
Fantômas avait entendu le cri poussé dans le silence de la cave…
En l’espace d’une seconde, le bandit avait deviné qu’on le traquait, qu’on était à ses trousses. Plus vif que l’éclair, il bondit en avant, gagna la porte par laquelle il était entré et s’en alla, la fermant à double tour.
L’homme cependant se mordait les lèvres, serrait les poings pour s’empêcher de crier, encore que la douleur qu’il éprouvât fût presque insurmontable. Il avait l’impression qu’il était immobilisé sur le sol, qu’au moindre mouvement qu’il faisait quelque chose serrait sa cheville, lui déchirait la jambe…
L’homme enfin, parvenant à surmonter sa souffrance, s’éclaira de sa lampe et regarda à ses pieds.
Un nouveau cri d’horreur s’échappa de sa poitrine ; il était pris dans un piège dont le ressort s’était refermé sur lui.
— Eh bien, reconnut-il après son examen, j’aime encore mieux cela ! On se tire d’un piège lorsqu’on a eu la maladresse d’y tomber, mais si, au lieu de percer le sous-sol de cette cave à l’endroit où je l’ai percé, je m’étais avisé de creuser sous ce piège, c’est ma gorge qui désormais serait écrasée entre ses deux mâchoires de fer, et alors…
L’homme, qui était devenu blafard, tant la douleur qu’il éprouvait était violente, parvenait à s’accroupir au prix de mille difficultés, et dès lors, de ses deux mains, nerveusement, il s’efforçât d’écarter les terribles ferrures du piège qui l’immobilisaient là où il venait d’être pris.