— Il faut pourtant, grommela-t-il, que je sorte d’ici coûte que coûte !
Et il se traîna jusqu’à la porte de fer par laquelle était sorti Fantômas.
En vain essayait-il de la secouer, il se rendit compte qu’elle était fermée et qu’aucune puissance humaine ne parviendrait à faire sauter la serrure ou à l’arracher de ses gonds.
— Malédiction ! gronda-t-il, je vais être surpris comme un imbécile dans cette cave, trop heureux que j’en sois quitte pour le ridicule !
Mais soudain son visage s’éclairait.
— Ce n’est que partie remise, dit-il, et l’essentiel c’est que je disparaisse, que nul ne soupçonne la façon dont je me suis introduit dans ce lieu… Par où je suis venu, je m’en irai !
L’homme, en même temps qu’il prononçait ces paroles, s’arrêta net.
Des bruits de pas se faisaient entendre de l’autre côté de la porte de fer, il eut l’impression nette que quelqu’un venait.
Un instant, il eut l’idée d’attendre de pied ferme, le revolver au poing, le personnage qui s’approchait.
Sa première idée lui revenait à l’esprit.
— Non ! non ! se dit-il. Il faut à tout force que l’on ignore que je suis venu dans ce lieu, que j’ai découvert la façon dont Fantômas vole le trésor de la Monnaie !
Et, faisant un effort suprême, l’homme se rapprochait du trou qu’il avait creusé dans la terre pour pénétrer dans la cave.
— Hélas ! articula-t-il, on va s’apercevoir qu’il y a eu un trou de creusé, on va se rendre compte que c’est par là que je suis venu, par là que je me suis enfui… Voilà tout mon plan détruit !… Non ! non !
L’homme, à ce moment, réfléchissait avec une intensité violente, cherchant une solution.
Les secondes avaient une importance considérable, car les pas s’étaient rapprochés, il entendait que l’on introduisait une clé dans la serrure…
Machinalement, pour soulager sa jambe du poids de son corps, il s’était accroché par la main tout à côté du trou qu’il avait creusé, à une grande cuve de verre remplie d’or et placée presque en équilibre sur une autre cuve.
L’homme faisait à ce moment une constatation désastreuse.
Des terres meubles, du sable fin, des gravats de toutes sortes étaient venus, pour ainsi dire, remplir le trou qu’il avait creusé jusqu’à son orifice.
Pour s’en aller par là, il faudrait à nouveau creuser la terre, déblayer le trou, travail, au bas mot, qui prendrait plusieurs heures…
Comme il réfléchissait, l’homme éprouva une sensation affolante… En même temps, il était projeté violemment sur le sol.
La grande cuve remplie de pièces d’or à laquelle il s’était appuyé et qui tenait presque en équilibre sur une autre cuve basculait et, soudainement, une pluie de louis d’or tombant sur le dos du mystérieux prisonnier le projetait la face contre le sol.
En l’espace d’une seconde, son corps disparaissait sous une pile de louis. L’homme suffoqua, paralysé par l’émotion, terrassé par le poids du métal sous lequel il était enseveli.
Mais alors qu’il allait essayer de s’extraire de cet amas de pièces de monnaie, l’homme résolut de ne point bouger.
Il respirait parfaitement et, s’il était immobilisé, il pouvait voir et entendre ce qui allait se passer autour de lui ; il ne risquait d’être découvert que si l’on s’avisait de venir ramasser les pièces d’or pour les remettre dans la cuve.
Or, il espérait que, pendant un certain temps au moins, nul ne songerait à le faire.
La porte de la cave s’ouvrait à ce moment, quelqu’un y pénétra, qui s’avança avec précaution. Il tenait une lanterne d’une main, de l’autre un revolver…
Cet homme s’avançait lentement, regardait autour de lui.
— Ah ! s’écria-t-il d’un ton de surprise affolée, lorsqu’il aperçut l’amas d’or renversé sur le sol, sans se douter assurément qu’un homme était caché dessous.
Mais à ce cri de surprise succédait une exclamation de désespoir. Le personnage, en effet, qui venait de s’introduire dans la cave remarquait, à côté du tuyau métallique dans lequel Fantômas avait introduit tant de louis comme dans une tirelire, une autre cuve de verre, complètement vide, celle-là…
— Encore un vol ! s’écria-t-il, mon Dieu !… mon Dieu !
Puis il s’arrêta net de bouger, de parler…
De l’autre côté de la porte par laquelle il venait d’entrer, il percevait des voix, des rumeurs…
Répondant à l’appel téléphonique qui lui avait été adressé un quart d’heure auparavant par M. Mix, M. Havard, chef de la Sûreté, était accouru jusqu’à la Monnaie. Il était accompagné de deux de ses meilleurs inspecteurs, Léon et Michel, et il y avait encore cinq autres agents de la brigade spéciale des vols et assassinats.
Dès que le chef de la Sûreté se présentait à l’hôtel des Monnaies, il y était reçu par Mix qui lui présentait le chef de la surveillance et le brigadier.
— Monsieur le chef de la Sûreté, déclara le détective, je crois que cette fois le voleur est pris au piège que nous avions disposé dans la cave ! Voulez-vous que nous allions voir ? Dans l’espace d’un instant, nous serons édifiés…
— À vos ordres, monsieur ! déclarait Havard qui ordonnait à ses hommes :
— Préparez vos cabriolets, et surtout vos revolvers…
La petite troupe alors, guidée par Mix, descendait par un escalier privé du service des monnaies vers la cave où l’on réservait les trésors.
On n’entendait aucun bruit, et déjà l’on approchait de la porte de fer qui faisait communiquer le couloir avec la cave, lorsque soudain M. Mix, qui marchait en avant avec le chef de la Sûreté, s’arrêta :
— Qu’y a-t-il ? demanda M. Havard.
— Il y a, fit le détective, qu’il importe d’être prudent. Cette porte est ouverte, assurément quelqu’un est là…
Ils prêtèrent l’oreille ; on n’entendit aucun bruit… Mais tout d’un coup, comme ils s’approchaient, des cris épouvantables retentirent.
— Au secours ! au secours ! Ah, mon Dieu ! C’est affreux ! Que je souffre ! On m’assassine ! Au secours ! Venez ! Venez !
Cette fois, les hommes se précipitaient, pénétraient en se bousculant dans la cave. Un spectacle extraordinaire s’offrait à leurs yeux : un homme se tordait littéralement sur le sol en proie aux plus vives souffrances, un homme qui avait le pied pris dans le piège, un homme que tous reconnaissaient à ce moment :
Léon Drapier ! le directeur de la Monnaie !…
On se précipitait autour de lui.
Des exclamations s’entrecroisaient.
— Ah ! par exemple !
— Ah ! voilà qui est extraordinaire !
— Mon Dieu ! mon Dieu ! Que s’est-il passé ?
En vain essayait-on d’arracher quelques paroles à l’infortuné Léon Drapier ; les hurlements qu’il avait poussés l’avaient exténué, Léon Drapier demeurait désormais inerte, ayant perdu connaissance.
M. Havard, les inspecteurs, les employés de la Monnaie étaient abasourdis. Seul le visage de M. Mix restait impassible ; sur ses lèvres errait un ironique sourire.
— Dégagez-le donc, tout d’abord ! commença-t-il.
Et, machinalement, on s’occupait à défaire le piège qui lui tenait la jambe.
— Emportons-le hors d’ici, suggéra Havard, qu’on le ramène à son bureau et puis on s’expliquera !
— On s’expliquera, en effet…, déclara Mix.
En l’espace de quelques instants, Léon Drapier était dégagé du piège. Sans donner signe de vie, il se laissait aller, secoué sur les épaules des hommes qui le transportaient.
Mix sortit le dernier de la cave, ferma la porte à clé, non sans avoir au préalable jeté un coup d’œil de méfiance sur le tas d’or qu’il venait de remarquer renversé sur le sol.