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Pendant le cours de son audacieuse expédition, Juve avait recueilli des détails qui, désormais, lui permettraient d’agir car, en effet, à l’instant où il était sorti des caves de la manutention, il ne paraissait aucunement fâché d’avoir eu l’idée d’y aller faire un tour.

Que savait-il au juste, toutefois ? Qu’avait-il deviné ?

Lui seul aurait pu le dire, ce n’était pas certainement aux membres de l’Enfer qu’il allait risquer de semblables confidences.

Et Juve, qui n’avait pas voulu se laisser arrêter par la police parce qu’il méditait très probablement quelque nouvelle aventure pour laquelle il avait besoin de son incognito, Juve avait préféré pénétrer dans le bouge, et risquer une fois encore les terribles aventures pouvant survenir en raison de la férocité de la bande qui gîtait là.

Juve, après avoir pénétré dans l’Enfer, avait d’ailleurs fait preuve, une fois encore, de cette extraordinaire présence d’esprit qui le rendait réellement incomparable.

En un instant, en effet, alors que fuyant, sur les berges, la police qu’il sentait sur ses talons, Juve s’était demandé comment se tirer de la fâcheuse situation où il se trouvait, Juve s’était souvenu de l’Enfer.

Il connaissait le bouge depuis le jour où, dans une précédente affaire, Bouzille l’y avait conduit afin d’enquêter sur le vol d’un cadavre, le cadavre du policier Daniel, dérobé par Fantômas à la morgue.

Juve s’était nettement souvenu de la situation du repaire ainsi que du mot de passe qui décidait ses hôtes à ouvrir leur porte d’entrée.

Il s’était souvenu surtout, et cela était le principal, qu’il passait, aux yeux des habitants de l’Enfer, pour Job Askings, le « Roi des voleurs ».

Et c’était alors tout naturellement que Juve avait décidé de se réfugier là. C’était tout naturellement encore qu’il répondit à l’interrogation anxieuse qu’on lui posait :

— Qui je suis ? Job Askings !

Qu’allait-il se passer cependant ?

Les misérables qui se trouvaient devant le policier se laisseraient-ils duper encore une fois ? Admettraient-ils, encore une fois, que Juve était bien Job Askings ?

Le policier, maintenant, se le demandait non sans une certaine frayeur.

Il contemplait en même temps ce bouge, ce bouge effroyable dans lequel il venait d’entrer. L’Enfer n’avait point changé d’aspect. C’était toujours un trou noir, lugubre, éclairé par la lueur clignotante d’une chandelle de suif fichée à la muraille.

Sur le sol, il y avait toujours la vieille paillasse qui servait de lit. Et les hôtes eux-mêmes, toujours armés jusqu’aux dents, hommes à la face de brute, bêtes féroces véritables, épuisés de misères, affolés de crimes étaient, comme jadis, capables de tout, toujours prêts au meurtre, toujours avides de sang.

Juve, tranquillement s’asseyait.

Il ne s’étonnait point du silence qui avait accueilli son arrivée. Il savait que les brutes en face desquelles il se trouvait avaient l’esprit lent, la réflexion pénible.

Ces malheureux vivaient en réalité dans une telle misère, dans une si sévère pauvreté, qu’ils n’étaient plus guère des hommes, qu’ils étaient tombés peu à peu au rang de l’animal, qu’il leur était pénible, impossible presque, de risquer une phrase.

Juve, cependant, assis sur un billot de bois, demandait :

— Et les affaires, ça va ?

Il sentait le besoin d’engager la conversation. Il fallait, pour détourner les soupçons, qu’il dît quelque chose, qu’il prononçât quelques paroles, qu’il se mît bien avec la bande.

Or, à la question de Juve, d’un coin de la paillasse où il était étendu, fumant une grosse pipe, un homme se soulevait, le chef, celui-là même que Juve, jadis, pour accréditer son personnage de Job Askings, avait proprement volé. Il répondit :

— Les affaires, non, ça n’va pas ! On n’fait rien ! On s’serre la ceinture ! Pas même de quoi s’emplir les dents creuses ! Et toi, du pèze ?

— Oui, du pèze ! répondit Juve.

Le vieux se rapprocha curieusement… Une flamme de convoitise brillait désormais dans ses yeux.

— Ah ! faisait-il, tu as du pèze sur toi ?

Juve, à ce moment, frémit. Peut-être bien venait-il de commettre une terrible imprudence en se vantant ainsi ! Qui prouvait que ces gens qui l’entouraient, qui étaient des bandits, n’allaient point se jeter à l’improviste sur le policier ?

Ils n’hésiteraient certainement pas devant un crime ! Ils ne reculeraient pas devant un meurtre !

Et Juve, à les contempler, comprenait que pour ces misérables la vie d’un homme pesait si peu qu’ils tueraient sans hésiter pour quelques sous, pour quelques pièces d’argent.

Juve, pourtant, comprit qu’avant tout il ne fallait pas laisser deviner son émoi.

La gaffe est faite, estima-t-il, il faut maintenant marcher jusqu’au bout !

Et, tranquillement, il affirma :

— Assurément, j’ai du pèze !… J’ai plus de cinquante mille balles sur moi !

Mais, en même temps qu’il disait cela, Juve, bien ostensiblement jouait avec la crosse de son revolver.

Le vieux reculait. Ce que venait de dire Juve le laissait haletant. Pareillement, les autres occupants de l’Enfer semblaient stupéfiés d’admiration. Une flamme brillait dans leurs yeux, une rougeur empourprait leurs joues.

— Cinquante mille balles !…

Ils répétaient cela d’un air effaré.

Le vieux déclara :

— Eh bien ! tu n’t’embêtes pas !… Mais, tout d’même, mon vieux, on est heureux d’ta veine ! Un type comme toi, faut pas que qu’ça traîne la misère !

Il y avait, dans cette simple parole, toute l’admiration, tout le respect aussi de l’apache misérable pour un voleur du talent et du génie de Job Askings.

Le vieux déclarait encore :

— Ici, tu ne risques rien ! Tu es en sûreté !…

Juste à ce moment, et comme si un démenti sinistre avait dû être opposé aux paroles du bandit, un vacarme retentit.

La porte de l’Enfer s’étoilait. Elle se trouait à un endroit, une balle blindée s’écrasait contre le mur.

Juve l’avait sentie siffler près de son visage. Il se levait, fronçant les sourcils, mais ne tremblant pas.

— Je suis en sûreté… dit-il, hum ! c’est à voir…

Une fusillade éclatait. Les habitants de l’Enfer se prirent à trembler.

— Je crois que cela va chauffer ! dit Juve simplement.

Mais qu’arrivait-il donc encore ?…

XIX

Fâcheuse posture

Il était dit cependant que, cette nuit-là, toutes les prédictions, toutes les prophéties de Juve recevraient de cruels démentis.

Le policier, en effet, n’avait pas fini de déclarer que cela allait chauffer, qu’il semblait tout au contraire qu’il n’allait rien se passer du tout. La fusillade cessait, le calme se rétablissait et c’était brusquement le silence impressionnant de la nuit, un silence que troublait à peine le ruissellement léger de l’eau coulant sous les ponts.

— Ma foi, j’y comprends plus rien ! murmura une voix derrière Juve.

Le policier alors se retournait.

Il éprouvait à cet instant une impression qu’il ne devait pas oublier de toute sa vie.

Lorsqu’il était entré dans l’Enfer, en effet, quelques instants plus tôt, il avait tout juste aperçu quatre ou cinq individus assis sur la paillasse et mangeant des croûtes de pain qu’ils trempaient dans une sorte de marmite où l’on devinait une innommable soupe.

Or, au bruit de la fusillade, au bruit de l’alerte, il semblait que l’Enfer se fut brusquement peuplé d’une foule surprenante !

Juve n’avait jamais été jusqu’au bout du souterrain aménagé en repaire. Il imaginait à vrai dire que ce souterrain n’était pas profond, qu’il s’arrêtait à sept ou huit mètres de là.