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À genoux maintenant, car il cessait de ramper, Juve avança jusqu’à l’inconnu. Celui-ci d’ailleurs paraissait l’attendre. Les deux hommes furent côte à côte.

La nuit toutefois était si noire que Juve, pendant quelques secondes, cherchait en vain à deviner les traits de ce rôdeur qui devait l’examiner lui aussi.

Et c’était une chose brusque, soudaine. L’homme, brusquement, faisait un geste ; il tenait un browning, il tira un coup de feu au hasard, en l’air, si près de la figure de Juve que celui-ci fut brûlé par la poudre.

Le coup de feu, toutefois, avait pour une seconde projeté une vive lueur. C’était comme un éclair de lumière qui trouait l’obscurité de la nuit.

Et, encore que Juve ne se fût pas attendu à cette clarté soudaine, elle lui suffisait pour voir, pour comprendre quel était le personnage qui le frôlait.

Deux cris, deux exclamations, furent poussées…

Et c’étaient deux noms, deux noms surprenants à entendre qui résonnaient dans la nuit !

Le policier avait crié :

— Fantômas !…

Une voix lui avait répondu :

— Juve !…

Et Juve, certes, était assuré de ne pas se tromper. À la lueur fulgurante du coup de feu, il avait vu, nettement vu quel était le septième individu qui s’était ainsi mystérieusement joint à la bande. Cet individu, c’était Fantômas !… C’était le Maître de l’effroi, le Roi de l’épouvante, c’était le Génie du crime !…

Alors une colère folle, une rage indicible, une fureur insensée s’empara de Juve.

Une fois encore, il était en face du misérable que depuis tant d’années il s’acharnait à poursuivre ! Ah ! la lutte allait être terrible, sans pitié, sans merci !

Juve bondit en avant. Il voulait se jeter sur Fantômas, l’empoigner à la gorge, l’étrangler…

Juve, qui, d’ordinaire, était toujours maître de lui, perdait la tête et, grisé peut-être par l’odeur de la poudre, voyait rouge, voulait tuer…

— Fantômas ! Défends-toi !…

Juve avait fait un bond. Il s’élançait sur le bandit, il croyait le tenir déjà, mais il ne rencontrait que le vide.

Fantômas s’était jeté de côté. Le misérable, en même temps, tirait. Juve sentit une vive douleur à l’oreille. Fantômas l’avait visé au front, et sa main peut-être avait tremblé, sa balle avait seulement écorché le policier.

À ce moment, d’ailleurs, et tandis que Juve, emporté par son élan, allait buter dans un tas de matériaux contre lesquels il roulait, des cris s’élevaient de toutes parts.

Les Grouilleurs, stupéfiés, s’étaient brusquement redressés eux aussi. La voix de Fantômas appelait :

— À moi !… À moi !… Tirez donc, c’est Juve !

Et le policier, cependant, entendant cette clameur, ne bougeait plus. Tapi sur lui-même, ramassé, prêt à bondir, Juve écarquillait les yeux, s’efforçait de percer l’obscurité.

Où était Fantômas ?

Où étaient les Grouilleurs ?

Juve entendit ceux-ci qui répétaient :

— Juve est là ? Allons donc ! Tu te moques de nous, Fantômas !

— Non, ripostait le bandit. Il était là, il s’est mêlé à vous à la sortie de l’Enfer !

À ce moment, Juve se prit à sourire. Malgré l’effroyable danger qu’il courait, il ne pouvait s’empêcher de s’amuser de l’erreur où était Fantômas. Ainsi donc, celui-ci imaginait que Juve avait épié les Grouilleurs à l’instant où ils surgissaient sur les berges !

Il ne savait pas que Juve sortait de l’Enfer !

Et le policier, qui déjà songeait à tirer parti de la situation, s’applaudissait de cette erreur.

— Très bien ! très bien ! pensait-il. Il ne faut pas que Fantômas se doute de la vérité !

Juve, à ce moment d’ailleurs, éprouvait brusquement une extraordinaire émotion.

— Ah ça ! mais n’y avait-il pas un rapprochement à faire entre les extraordinaires habitants de l’Enfer, entre les Grouilleurs qui fréquentaient les égouts et les larves qui jadis, au moment des affaires du Japisme, avaient si fort épouvanté Paris ?

Juve, alors, avait multiplié les enquêtes pour savoir ce qu’il était advenu du terrifiant royaume des ténèbres que Fantômas avait fondé à cette époque. Il n’en avait jamais eu de nouvelles. Les complices de Fantômas avaient ou semblaient avoir disparu. Les Grouilleurs n’étaient-ils pas leurs successeurs ?

Ce n’était pourtant pas le moment de réfléchir, et Juve, d’ailleurs, ne mettait qu’une seconde à peine à penser à toutes ces choses.

Fantômas était à deux pas de lui ! Il était là dans l’ombre, à la merci de ses coups, si d’aventure il pouvait l’apercevoir.

Cela affolait Juve au point que, marchant au hasard, étendant le bras, il s’avança.

— Fantômas !… Fantômas ! criait le policier. Si tu n’es pas un lâche, viens t’attaquer à moi !

Mais à ce moment, et comme Juve s’attendait à ce que le Maître de l’épouvante bondît contre lui, comme il était prêt à supporter son assaut, Juve se sentit soudainement saisi par des mains vigoureuses qui l’immobilisaient, le ligotaient, l’emportaient comme un paquet.

— Sûrement, il est de bonne prise ! disait une voix.

— Parbleu ! en répondait une autre. J’ai cru entendre qu’il appelait Fantômas à l’aide !

Un troisième personnage ajouta :

— C’est peut-être l’homme qui était à la Monnaie.

Et Juve alors se rassura.

Cette dernière voix qui venait de parler, il l’avait parfaitement reconnue. C’était la voix du policier Mix !

Juve, certainement, venait d’être fait prisonnier, mais il avait été fait prisonnier par les policiers, cela vraiment n’était pas bien grave !

Juve, s’étant rassuré en reconnaissant la nature et le caractère de ceux qui l’emportaient, se gardait de protester. Instinctivement même, l’excellent policier se félicitait à cette minute des aventures qui survenaient et du caractère qu’elles présentaient.

— Après tout, se disait Juve, puisqu’il ne m’a pas été permis d’arrêter Fantômas, puisque le monstre s’est échappé à la faveur de l’obscurité, puisqu’il a profité de la nuit pour s’enfuir, j’aime autant être prisonnier de la police que libre ! Cela coupe court à mes scrupules de conscience. En ce moment, je ne peux rien faire, et par conséquent je n’ai pas à me mettre martel en tête sur la conduite que je dois tenir !

Juve ne se débattait donc pas. Sagement, il se laissait bousculer, pestant seulement en lui-même contre la façon un peu brusque dont on le transportait.

On l’avait pris par les pieds et par les épaules, on le secouait pas mal, et cette façon de voyager n’avait rien de particulièrement agréable.

La fusillade, d’ailleurs, continuait. Elle semblait toutefois diminuer d’intensité, les coups de feu devenaient de plus en plus rares.

— Fantômas, peut-être, songea Juve, s’occupe à rallier ses hommes… Il les oblige à faire retraite, il les fait reculer !

Et, en disant cela, en le pensant plutôt, car Juve n’articulait pas une parole, le policier ne pouvait s’empêcher de sourire d’un sourire mystérieux.

Juve, en effet, pendant qu’on le transportait et alors qu’on le brutalisait tant soit peu, paraissait véritablement heureux, enchanté au possible.

— Il me semble que je comprends, disait-il, que je comprends bien des choses…

Ces réflexions, toutefois, étaient fort brusquement interrompues. À côté de lui, une voix venait de murmurer :

— Derrière ce tas de briques, nous sommes à l’abri des balles. Déposez le prisonnier à terre, il faut l’interroger !