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Le chef de la Sûreté s’inclinait devant Mme Drapier.

— Veuillez m’excuser, madame, du dérangement que je vous occasionne, je me retire !

Il ajoutait cependant d’un air pincé :

— La faute en est à M. Drapier, je l’avais catégoriquement prié de m’attendre, de se tenir à ma disposition ; il n’a pas cru devoir le faire, c’est bien !

L’air du chef de la Sûreté était si significatif que Mme Drapier s’alarma :

— Oh ! monsieur ! supplia-t-elle, qu’entendez-vous par là ?

— Rien du tout, madame, fit sèchement le chef de la Sûreté, si ce n’est que je m’étonne fort du départ de votre mari cette nuit. Il y a là tout au moins de sa part, notez que je dis : tout au moins, un manque de courtoisie à mon égard, que je ne puis m’empêcher de noter !

M. Havard était déjà sur le seuil de la porte, lorsque Michel le rappela :

— Pardon, chef ! un instant…

— Qu’y a-t-il ? fit le haut fonctionnaire de la Sûreté.

M. Havard rebroussait chemin et venait à côté de Michel.

L’inspecteur de police était accroupi devant un petit coffre-fort sur lequel on avait mis, quelques jours auparavant, les scellés. Il regardait les cachets de cire rouge, ainsi que la bande blanche du papier qui dissimulait la serrure du meuble.

Il paraissait plongé dans une contemplation mystérieuse et celle-ci, qui durait trop longtemps au gré de la patience de M. Havard, attira à Michel cette question de son chef :

— Eh bien quoi ? Comptez-vous vous endormir devant ces scellés ?

Michel ne répondit pas directement, mais il demanda à son chef :

— Dites-moi, chef, quel était donc le juge d’instruction qui a mis les scellés sur ces meubles ?

— Ma foi, fit Havard, je ne sais plus très bien… C’est M. Cheminal, je crois.

— C’est bien ce que je pensais, fit Michel.

Dès lors, l’inspecteur de la Sûreté se relevait, il paraissait prêt à s’en aller.

— Eh bien ? interrogea M. Havard, continuez !

Michel secoua la tête.

— Oh ! ce n’est pas la peine, je n’ai plus rien à vous dire !

Le chef de la Sûreté n’insista point, mais malgré lui, il ne put s’empêcher de remarquer que, au regard qu’avait lancé son inspecteur à Mme Drapier, celle-ci brusquement était devenue livide.

— Partons-nous ? insistait Michel, qui, désormais, semblait avoir grande hâte de s’en aller.

Pour la seconde fois, le chef de la Sûreté gagnait le seuil de la porte.

Cette fois, il le franchissait et, s’étant incliné à nouveau devant Mme Drapier ainsi que ses subordonnés, il quitta l’appartement.

Lorsque les trois hommes furent dans l’escalier, séparés par deux étages de l’appartement de M. Léon Drapier, Havard questionna Michel :

— Qu’avez-vous donc remarqué ? lui demanda-t-il.

— Ceci, chef ! fit l’inspecteur. Les cachets rouges portent bien l’initiale de M. Cheminal, c’est-à-dire un C, mais j’ai l’habitude de la signature de ce magistrat et il me semble que le C des cachets diffère légèrement du C qui constitue l’amorce de la signature habituelle de M. le juge d’instruction.

Havard sursauta :

— Oh ! Michel ! mais c’est très grave, ce que vous dites là ! Cela tendrait à supposer qu’on a enlevé les scellés puis qu’on les a remis en faisant un faux cachet !

— C’est bien ce que je me demande, poursuivit Michel, mais je n’ose l’affirmer, et c’est pour cela que je n’ai rien voulu dire devant Mme Drapier.

Les trois hommes descendaient silencieusement, ils se faisaient ouvrir la porte de la rue. Lorsqu’ils se retrouvèrent dans une voie déserte à cette heure tardive, ils s’arrêtèrent encore au milieu de la chaussée pour conférer de leur démarche.

— Cette affaire, articula M. Havard, est de plus en plus étrange. J’ai beau essayer d’y comprendre quelque chose, je n’y parviens guère. Il est vrai, ajouta-t-il, pour s’excuser de son impuissance, que j’ai tellement d’affaires à suivre qu’il m’est impossible de les connaître toutes à fond !

— Évidemment, reconnut Léon.

Michel articula lentement :

— Nous-mêmes, nous sommes peu au courant… n’ayant pas suivi les opérations à leur début. Il faudrait, sur cette piste mystérieuse, quelqu’un accoutumé aux enquêtes les plus compliquées, quelqu’un comme…

M. Havard coupait la parole à son inspecteur.

— Je vois, s’écria-t-il, qui vous voulez dire. D’après vous, seul Juve pourrait tirer au clair cette histoire compliquée ?

Et, d’un commun accord, Léon et Michel approuvaient la suggestion de leur chef.

— Seul Juve, en effet, disaient-ils, est capable de faire la lumière !

Il était quatre heures du matin, Mme Drapier ne dormait pas ou, pour mieux dire, ne dormait plus.

Depuis la visite du chef de la Sûreté et de ses inspecteurs, la malheureuse femme était plus encore alarmée que précédemment.

Elle avait été considérablement troublée en apprenant que son mari avait donné rendez-vous au chef de la Sûreté et qu’il était parti.

— Ce départ, pensait-elle, a tout l’air d’une fuite ! Or, il n’y a que les coupables qui s’enfuient !…

Une autre chose avait également terrifié Mme Drapier, c’était l’examen minutieux auquel s’était livré l’inspecteur Michel, accroupi devant le petit coffre-fort.

Eugénie Drapier, sans en être absolument sûre, avait eu le pressentiment que, quelques jours auparavant, son mari, d’accord avec le détective Mix, avait fait dans le cabinet de travail quelque chose d’irrégulier et de pas correct.

Elle se souvenait être entrée dans cette pièce et, à ce moment, les deux hommes, qui s’y trouvaient depuis longtemps, s’étaient brusquement arrêtés dans un travail auquel ils se livraient.

Mme Drapier avait alors senti dans la pièce une odeur très précise, celle de la cire que l’on vient de brûler.

Elle n’y avait alors point prêté attention à ce moment-là, elle n’avait tiré de ce détail aucune conclusion, mais voici qu’en constatant l’examen auquel se livrait l’inspecteur de police elle s’était soudainement demandé si l’on n’avait pas modifié quelque chose aux scellés apposés par le juge d’instruction sur certains meubles du cabinet de travail quelques heures après la découverte de l’assassinat du valet de chambre Firmain.

Mme Drapier en était là de ses réflexions lorsqu’elle sursauta.

Le grand silence de la nuit venait d’être troublé par un léger craquement qui se produisait dans le cabinet de toilette attenant à la chambre à coucher de Mme Drapier.

La malheureuse femme sentit son cœur battre et s’arrêter soudain.

Qu’arrivait-il encore ? Quel était ce nouveau mystère ?

Un drame inattendu allait-il se produire ?

Mme Drapier prêtait l’oreille, écoutait encore ; elle ne perçut plus rien.

— Je deviens folle ! se dit-elle en prenant sa tête à deux mains pour comprimer la brûlure de son front, auquel perlaient des gouttes de sueur froide.

Mais elle sursauta de nouveau.

Des craquements plus précis, plus nets se faisaient encore entendre.

— Oh ! cette fois, cette fois, balbutia-t-elle, je suis sûre de ne pas me tromper…

Elle s’avança lentement, plus légère qu’une ombre, le tapis de sa chambre étouffait le bruit de ses pas.

Elle avait éteint la lumière de la pièce dans laquelle elle se trouvait, et cela depuis quelques instants, au moment où elle avait voulu, terrassée par la fatigue, s’assoupir dans son fauteuil. De ce fait, sa chambre était plongée dans l’obscurité.

Mme Drapier s’approcha de la porte donnant dans le cabinet de toilette et constata avec une surprise effrayée que l’ampoule électrique était allumée dans cette pièce.