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Par l’entrebâillement de la porte elle regarda, et elle vit, tournant le dos à cette porte, un homme, le dos courbé, qui brossait avec un soin extrême le bas de son pantalon et ses chaussures couvertes de poussière.

Il y avait à côté de lui, sur la table de toilette, une cuvette remplie d’eau.

— Mon mari ! articula tout bas Mme Drapier.

C’était en effet le directeur de la Monnaie qui se trouvait là.

Comment donc était-il rentré sans que sa femme l’ait entendu ?

Une seule hypothèse était possible : Léon Drapier était revenu chez lui par l’escalier de service.

Mais pourquoi ?

Après s’être brossé, Léon Drapier se rapprocha du lavabo et se disposait à plonger ses mains dans l’eau préparée. Mme Drapier, qui ne perdait pas un seul de ces gestes, poussa un cri d’épouvante.

Les mains de son mari étaient couvertes de sang !…

Drapier cependant, ayant pris le savon et la brosse, se lavait les mains avec autant de précaution et de minutie qu’il en avait mis à enlever la poussière de ses chaussures et de ses vêtements.

Eugénie Drapier crut qu’elle allait défaillir à la vue du spectacle qui la terrifiait.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! songea-t-elle, d’où vient Léon ? Qu’a-t-il bien pu faire ? D’où vient cette poussière sur ses vêtements ? Pourquoi ce sang répandu sur ses mains ?

Involontairement, Mme Drapier s’appuyait sur la porte du cabinet de toilette et celle-ci grinça sur ses gonds.

Alors, brusquement, tout d’une pièce, Léon Drapier se retourna.

Son visage prit une expression effrayante et féroce.

Le directeur de la Monnaie, après avoir mis brusquement la main à la poche, en sortit son revolver et se précipita dans la direction de la chambre à coucher plongée dans l’ombre.

— Léon ! Léon ! s’écria Eugénie Drapier en s’effondrant sur le sol, grâce ! Ne me tue pas !… C’est moi !…

XXI

Sacrifice d’épouse…

Eugénie Drapier reculait effrayée. Son mari, qui s’était interrompu de se laver les mains, s’avança vers elle, d’un air hagard.

Eugénie Drapier s’était reculée dans sa chambre à coucher, elle se laissa choir sur un canapé et, au paroxysme de l’émotion, elle articula, devenue livide :

— Léon Drapier, ne me tue pas !… Je t’en supplie, grâce !… Grâce ! Au secours !

Léon Drapier, qui s’était avancé dans la pièce et qui, machinalement, tenait son revolver dans sa main droite, posa l’arme sur un guéridon et demeura abasourdi.

— Ah çà ! interrogea-t-il en regardant sa femme avec des yeux stupéfaits, qu’est-ce que cela signifie ?… Aurais-tu peur de moi, maintenant ?

Eugénie Drapier avait peur, très peur même, de son mari, peur au point qu’elle était incapable d’articuler une seule parole, peur au point que ses dents claquaient lorsqu’elle le regardait.

En fait, Léon Drapier avait une allure sinistre. Malgré les coups de brosse qu’il avait donnés à ses vêtements, ceux-ci étaient en désordre.

Son pardessus, qu’il n’avait pas encore ôté, portait de nombreuses déchirures. Le col de sa chemise était froissé, cassé en plusieurs endroits, sa chevelure défaite. En outre, comme d’un geste machinal, il avait passé sa main sur son front et, de cette main qui était encore tout humide de sang, il avait souligné son visage de larges lignes rouges.

Eugénie Drapier, sans répondre, se contentait de lui désigner d’un doigt tremblant une glace.

Léon Drapier se regarda dans cette glace et ne put dissimuler un mouvement de surprise, même de violente émotion, en apercevant son visage reflété dans le miroir.

— C’est vrai ! murmura-t-il, j’ai l’air d’un malfaiteur !

Il voulut se rapprocher de sa femme.

Mais celle-ci poussait un cri rauque.

— Non ! non ! hurla-t-elle avec épouvante, ne me touche pas… Ne me touche pas !

— Que t’ai-je fait ? interrogea douloureusement Léon Drapier. Pourquoi donc as-tu peur de moi ?…

Il apparut que Mme Drapier faisait un violent effort sur elle-même pour articuler enfin une parole.

Elle parvint, non sans peine, à s’exprimer :

— Mon Dieu ! mon Dieu ! bégayait-elle. Tout à l’heure, je le sais, j’ai deviné ton intention, tu as voulu me tuer…

Léon Drapier, abasourdi, répétait l’accusation portée contre lui par sa femme.

— J’ai voulu te tuer, moi !… moi !… Ah çà, tu es folle !

Mais Eugénie Drapier reprenait, l’œil fixe, comme si elle n’entendait pas les dénégations de son mari :

— Tu as voulu me tuer, oui, j’en suis sûre !… Lorsque tu m’as entendu venir dans le cabinet de toilette, tu t’es précipité vers moi le revolver au poing, tu avais l’air farouche de l’homme résolu à tout !… Ah ! si je ne t’avais pas regardé alors, si tes yeux ne s’étaient pas croisés avec les miens, je suis sûre que tu m’aurais frappée !

« Tu as eu peur de mon regard ! Il paraît que tous les criminels sont comme cela, ils commencent à avoir peur des yeux de leur victime, mais ils s’habituent ensuite… Mon Dieu !… Mon Dieu !… Vas-tu t’habituer, vas-tu m’assassiner tout à l’heure ? Au secours, au secours ! Je ne veux pas que tu fasses de moi comme tu as fait de l’autre !

En dépit de la terreur folle qu’il inspirait à sa femme, Léon Drapier s’était précipité vers elle, il s’était jeté à ses pieds, lui prenait les mains dans les siennes.

— Eugénie !… Voyons, Eugénie ! commençait-il.

Mais, aux dernières paroles de sa femme, il s’était redressé, frémissant.

Il interrogea durement :

— Que dis-tu ? Comme j’ai tué l’autre ! Qu’est-ce que cela signifie ?

La terreur donnait des forces à Mme Drapier.

D’une voix haletante, au paroxysme de l’émotion, elle exprima nettement sa pensée :

— Oui, fit-elle, je sais ce que tu as fait… Je connais ton mensonge, je n’ignore point que la fameuse nuit du crime, la nuit à l’issue de laquelle on a trouvé Firmain, le valet de chambre assassiné, tu ne t’es pas couché dans ton lit. C’est donc que tu étais dans ton cabinet de travail avec Firmain, avec la victime… J’ai compris cependant qu’il était dangereux pour toi de le reconnaître, de l’avouer, parce que l’avouer c’était… te reconnaître coupable… Précisément, pour faire croire aux domestiques que tu avais couché dans ta chambre, j’avais, moi, défait ton lit !

« J’étais seule à le savoir ! Or, n’as-tu pas profité de cette circonstance et de cet incident absolument imprévu pour affirmer que tu t’étais couché ? Tout le monde t’a cru, moi seule je savais… Je sais que c’était un mensonge… et c’est pour cela que j’ai peur de toi !

Léon Drapier était devenu très pâle. Il interrogea, faisant sa voix aussi douce que possible :

— Pourquoi as-tu peur de moi à ce propos ?

Mme Drapier eut un rire de folle.

— Parce que les criminels, lorsqu’ils se sentent découverts, cherchent à faire disparaître tous les témoins de leur crime. Tu es au courant, tu sais que je connais la vérité, tu as cherché à me tuer pour m’obliger à me taire !

Accablé, Léon Drapier prenait sa tête dans ses mains :

— Mon Dieu, mon Dieu ! balbutia-t-il, tout m’accable, décidément… Quand je pense que ma femme elle-même en est à m’accuser, à me croire coupable !… Non, non !… C’est trop horrible !… Je ne peux plus lui cacher la vérité, il faut que je lui dise, elle me pardonnera !

Léon Drapier s’était remis à genoux devant sa femme.