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Celle-ci, toute révérence parlée, raisonnait avec une certaine naïveté. Elle s’imaginait qu’il suffisait pour elles d’avoir changé de costume pour ne plus ressembler à des religieuses et que le couvent qu’elles avaient acheté, du moment qu’il était dépourvu de son clocher et de sa plus petite croix, n’avait plus l’air d’un couvent.

Assurément, la police était parfaitement renseignée sur ce qui pouvait se passer dans cette demeure clandestine, mais la police, en dépit des décrets, savait également se faire indulgente, se rendant bien compte que les quatre ou cinq pauvres femmes qui se trouvaient dans cette maison étaient bien incapables de nuire le moindrement à l’ordre public et à la sécurité de la liberté de conscience.

Quelques instants après, Eugénie Drapier voyait entrer, dans le grand parloir glacial où elle attendait, une femme encore jeune, au visage souriant, aux yeux pétillants d’esprit.

Elle était vêtue d’une grande robe noire, dont la coupe à peine dessinait la taille, et qui, sans être à la mode, n’avait rien de particulièrement suranné.

Les cheveux de cette femme, qui grisonnaient légèrement aux tempes, étaient tirés, serrés de très près, mais la coiffure cependant restait féminine ; sinon faite avec recherche, du moins elle n’était pas dépourvue d’élégance.

Eugénie Drapier courut à la nouvelle venue.

— Sœur Sainte-Eudoxie ! s’écria-t-elle, ah ! ma pauvre, ma pauvre sœur !

Puis elle tomba dans ses bras, et pleura éperdument.

Deux amies d’enfance, deux amies de Poitiers que ces deux femmes aux cheveux grisonnants qui, désormais, s’étreignaient avec une affectueuse tendresse, dont l’une cherchait à consoler la douleur de l’autre.

Elles avaient été intimes comme deux sœurs et, lorsque leurs jupes étaient encore courtes, elles formaient le projet de ne jamais se séparer dans l’existence et de toujours vivre l’une à côté de l’autre.

Puis les hasards de l’adolescence les avaient séparées, Eugénie Drapier était venue à Paris, tandis que Marguerite, son amie, s’en allait à Marseille où son père avait de gros intérêts financiers.

Les amies, toutefois, restaient en correspondance. Or, au bout de quelques années de séparation, elles apprenaient réciproquement de grandes nouvelles.

Eugénie se mariait, Marguerite entrait en religion, devenait carmélite sous le nom de sœur Sainte-Eudoxie.

Et dès lors, l’une d’elles ayant renoncé au monde, c’était la séparation cruelle, inexorable…

La dissolution des congrégations avait jeté le trouble dans les couvents les plus fermés, on avait connu, par le fait des procès, le nom, l’existence et la résidence de certaines religieuses. C’est ainsi qu’au bout d’une quinzaine d’années, Eugénie Drapier avait retrouvé son amie Marguerite, devenue sœur Sainte-Eudoxie.

La carmélite avait quitté son habit de religieuse et, avec quelques-unes de ses compagnes, elle avait fondé clandestinement, dans l’impasse de Vaugirard, une petite annexe de son ordre.

Les religieuses défroquées vivaient là depuis, perpétuellement inquiètes à l’idée qu’elles pourraient être surprises, respectant en secret les règles de leur ordre, mais obligées néanmoins de se mêler au monde extérieur.

Cependant, sœur Sainte-Eudoxie avait, par ses tendres paroles, fait taire les sanglots d’Eugénie Drapier.

— Je sais, articula-t-elle lentement, combien la vie a de douleur et c’est auprès de Dieu que je cherche les suprêmes consolations. Mais, pauvre petite Eugénie, que t’est-il arrivé ? Pourquoi ce visage bouleversé ? Pourquoi cette visite à une heure si matinale ?

Les deux femmes s’installaient alors sur les chaises de paille qui meublaient l’austère parloir, n’ayant pour auditeur qu’un grand Christ d’ébène suspendu au mur blanchi à la chaux. Eugénie Drapier racontait à son amie, la sœur Sainte-Eudoxie, les malheurs de son existence.

Elle ne lui cachait rien de ses appréhensions premières. Elle ne dissimulait point qu’elle avait pris son mari pour un assassin, qu’elle avait été prête à lui pardonner ses crimes et que, lorsqu’elle avait appris sa trahison et sa duplicité, elle avait résolu de rompre avec lui, de ne jamais le revoir, jamais, au grand jamais…

— Je veux entrer dans les ordres ! articulait Eugénie Drapier, je veux être carmélite comme toi !

— Hélas ! articulait la religieuse, tu sais bien que nos couvents n’existent plus !

— Ils n’existent plus en France, articulait Eugénie, mais il y en a à l’étranger ! Aide-moi à partir, à fuir d’ici, je te jure que j’ai la vocation…

La religieuse esquissait un geste vague. Elle en avait vu beaucoup, de ces néophytes enthousiastes, et peut-être avait-elle assisté à bien des scènes de désespoir, à bien des regrets !

Toutefois, c’était un esprit supérieur qui savait que plus les désirs de ce genre sont spontanés et farouches, moins il faut les heurter par des refus directs.

Sans répondre par une promesse à la demande que lui adressait Eugénie Drapier, sœur Sainte-Eudoxie voulut se faire préciser les détails, les malheurs d’Eugénie, sachant par expérience qu’à force de dire ses peines on finit par les oublier.

C’est ainsi qu’elle apprenait dans ses détails la mystérieuse histoire des assassinats survenus et la tragique mort de celle qui avait été la maîtresse de Léon Drapier, de cette infortunée Paulette de Valmondois.

Eugénie Drapier était bien trop troublée pour remarquer quelque chose, sans quoi elle se serait aperçue, en prononçant le nom de la demi-mondaine, qu’elle avait involontairement fait tressaillir la religieuse qui l’écoutait.

Au bout de quelques instants, sœur Sainte-Eudoxie demandait à son amie :

— Tu es mariée depuis quinze ans, mon amie ; c’est une bien grave décision que celle que tu viens de prendre ! Quitter ton mari, mon Dieu ! Passe encore ! Mais tu dois avoir des enfants ?

Eugénie rétorqua, l’œil sec :

— Le ciel n’a pas béni notre union, je n’ai pas d’enfants, c’est peut-être de là que vient tout le mal. Si j’étais mère, je serais plus indulgente et la trahison de mon mari m’inquiéterait d’autant moins que je serais sûre de l’affection des enfants nés de notre amour. Tandis que, maintenant, étant donné que nous sommes l’un en face de l’autre, jamais je ne pourrai me résoudre à la moindre concession et j’ai décidé de le quitter… J’ai décidé d’entrer dans les ordres.

Eugénie Drapier s’arrêtait de parler pour prêter l’oreille à des exclamations soudaines qui venaient de retentir.

Elle regarda la religieuse, sœur Sainte-Eudoxie se mit à sourire.

— Ce n’est rien ! dit-elle, la classe vient de finir et c’est la récréation qui commence.

Sans en avoir l’air, la religieuse attirait insensiblement son amie vers la fenêtre du parloir. Elle l’avait prise par le bras, elle l’obligeait à regarder.

Dans le jardin, derrière la maison, se trouvaient une demi-douzaine de petits enfants, garçons et filles, qui jouaient joyeusement.

Le plus âgé pouvait avoir cinq ou six ans peut-être. Trois braves femmes les suivaient pas à pas, s’occupant d’eux sans cesse, veillant sur leur sécurité.

Les petits n’avaient pas l’air d’être des enfants de riches, on les devinait pauvrement vêtus sous leurs grands tabliers uniformément pareils, à carreaux bleus et blancs.

Sœur Sainte-Eudoxie expliqua :

— Vois-tu, Eugénie, nous nous adonnons désormais à l’éducation, à renseignement. Ces petits que tu vois là nous sont à charge, car nous ne sommes pas riches, et nous ne voudrions pas nous en séparer car ce sont de pauvres petits déshérités de la nature. Leurs parents ont disparu, morts, souvent dans de tragiques circonstances, ils ont des origines qui leur feraient le plus grand tort, qui fait que ceux qui s’en occupent ne veulent point se mêler aux autres enfants.