Le chef de la Sûreté toutefois s’arrêtait de parler. Au moment où il arrivait dans le couloir du bureau, un homme qui paraissait sommeiller sur une banquette, se leva :
— Monsieur Mix ! s’écria le chef de la Sûreté.
C’était en effet le détective.
Il étouffa un bâillement, il parut s’arracher au sommeil, phénomène étrange en vérité pour quiconque aurait su que, quelques secondes auparavant, Mix était arrivé haletant dans ce couloir et avait juste eu le temps de s’étendre sur la banquette avant de la quitter pour voir le chef de la Sûreté.
— C’est moi, en effet, déclara-t-il, d’une voix calme et tranquille, cependant qu’il s’inclinait respectueusement devant M. Havard.
Celui-ci, naïvement, proféra :
— Vous sortez donc de dessous terre, monsieur Mix ! Nous étions dans ce couloir il y a environ dix minutes, et nous ne vous avons pas remarqué !
— Moi non plus, fit le détective, et je sais pourquoi en ce qui me concerne. C’est que je dormais.
— Vous ne dormiez pas sur cette banquette ?
— Je dormais à l’intérieur, fit Mix. J’ai découvert que cette banquette était un coffre et qu’on s’y pouvait dissimuler à merveille. Vous n’ignorez pas, monsieur le chef de la Sûreté, que moi aussi je cherche, pour mon compte, l’auteur des mystérieux vols. Il y a quelques instants, je suis sorti de ce coffre, ayant un peu chaud, je me suis étendu dessus, espérant reposer en paix, car je suis très fatigué… Vous ne m’en avez pas laissé le loisir !
— Je le regrette, fit d’un ton bourru le chef de la Sûreté, nous avons autre chose à faire ici qu’à dormir. Le voleur vient de nous échapper en se sauvant par les toits, il y a quelques instants à peine.
— Vraiment ! fit Mix, et d’où venait-il donc ?
— Ma foi, déclara le chef de la Sûreté, je n’en sais rien ; des combles de l’immeuble, je crois.
— Vraiment ! fit encore Mix en réfléchissant.
Et il ajoutait, sceptique :
— Ce n’est pourtant pas dans les combles qu’on l’on vole, mais dans les caves !
— C’est vrai, reconnut le chef de la Sûreté.
Et soudain il se tournait vers Léon et Michel.
— Le propos que vient de tenir M. Mix m’ouvre des horizons, messieurs. Il est évident que le voleur a dû être dérangé au moment où nous sommes intervenus, peut-être se rendait-il dans la cave, peut-être même en revenait-il. Il serait bon d’y aller voir, dans le cas où il aurait laissé des complices au fond de ce sous-sol.
— Voire même… insinua mystérieusement Mix.
— Voire même quoi ? interrogea le chef de la Sûreté.
— Eh bien, fit le détective privé, voire même des traces, par exemple, vous permettant d’identifier, sinon sa personnalité absolue, du moins quelque chose d’approchant.
Havard posa ses deux mains sur les épaules de Mix.
— Monsieur, fit-il, je n’avais pas l’honneur de vous connaître jusqu’à présent, mais plus je vous fréquente et plus je vous apprécie. Votre idée est excellente, nous allons descendre ! Venez-vous avec nous ?
Quelques instants après, le petit groupe d’hommes était dans les sous-sols. La première chose qu’ils constataient, en s’approchant de la cuve placée à proximité du tuyau percé par lequel Fantômas faisait disparaître les louis d’or, c’est que la cuve était aux deux tiers vide.
— L’or ! s’écria le chef de la surveillance, que l’on avait apporté cet après-midi, a presque entièrement disparu !
Le chef de la Sûreté et ses inspecteurs se considéraient abasourdis.
Mix ne disait rien et, sans en avoir l’air, il orientait vers le sol le faisceau lumineux de sa lampe électrique. Machinalement, les yeux des personnes présentes suivaient le faisceau électrique.
Tout d’un coup, M. Havard poussa un cri :
— Des empreintes ! s’écria-t-il. Voici des empreintes toutes fraîches ! Quelqu’un s’est promené dans cette cave, il n’y a pas longtemps !
— D’autant moins longtemps, articula le chef de la surveillance, que j’ai fait ratisser le sol à six heures ce soir, au moment où l’on venait d’apporter les louis d’or qui ont disparu désormais de la cuve auprès de laquelle nous nous trouvons.
Il était environ sept heures du matin et, dans le cabinet de M. Havard, au quai des Orfèvres, se tenait une mystérieuse conférence.
Il y avait là les deux inspecteurs Léon et Michel, le chef de la Sûreté, et enfin M. Mix.
— Alors ? interrogea Havard triomphant en se tournant vers M. Mix, que concluez-vous de ces traces ?
— Que voulez-vous ! fit M. Mix d’un air qui paraissait accablé, je suis obligé de me rendre à l’évidence. Les traces que vous avez relevées, ces empreintes de pas concordent évidemment de la façon la plus exacte avec celles de M. Léon Drapier, le directeur de la Monnaie !
— N’est-ce pas ? s’écria Havard. Il apparaît donc bien certain que M. Léon Drapier est venu dans cette cave après six heures du soir, que c’est lui et lui seul qui a fait disparaître les louis d’or, et que c’est encore lui qui s’est sauvé sur les toits ou, pour mieux dire, dans la rue Guénégaud en y descendant par le tuyau de la gouttière, s’enfuyant devant nos poursuites !
— Je ne puis pas vous dire le contraire, articula M. Mix, cela paraît évident !
Havard ajoutait, toujours triomphant :
— J’ai une preuve de plus, que je me dois de vous faire connaître.
— Laquelle ?
— Hier soir, expliquait Havard, j’ai téléphoné à M. Léon Drapier de rester à son domicile et de m’y attendre. Lorsque je me suis présenté à ce domicile, Léon Drapier n’y était pas. Il s’est donc enfui, il est venu à la Monnaie ; peut-être, à l’heure actuelle, le misérable est-il en fuite ! Car, il n’y a pas de doute, c’est lui le voleur…
— Hélas ! murmura M. Mix, j’ai longtemps voulu croire le contraire ! Je m’étais mis à sa disposition pour le tirer d’affaire. Depuis, plus je connais sa manière d’être, sa façon de vivre, les détails de son existence, plus je suis obligé de me rendre à votre raisonnement. Évidemment, monsieur le chef de la Sûreté, vous aviez découvert le mystère. Le coupable, c’est Léon Drapier ! Le directeur de la Monnaie est un voleur ! Dieu veuille qu’il ne soit pas autre chose !
— Qu’entendez-vous par là ? interrogea Havard.
— Rien, monsieur, c’est une parole imprudente !
Le chef de la Sûreté insistait :
— Je veux connaître le fond de votre pensée, parlez, je vous l’ordonne !
— Eh bien, fit M. Mix, qui paraissait de plus en plus troublé, il y a des choses qui maintenant me reviennent à l’esprit. Votre découverte de la culpabilité de Léon Drapier éclaire pour moi d’un jour nouveau certaines affaires, certains crimes jusqu’à présent demeurés mystérieux.
— Ah ! s’écria M. Havard, vous songez à l’assassinat du valet de chambre Firmain…
Mix hocha la tête.
— J’y songe, en effet, monsieur.
Michel intervenait dans la conversation :
— Souvenez-vous, monsieur le chef de la Sûreté, dit-il, que cette nuit nous avons remarqué que les scellés apposés dans le cabinet de travail de M. Léon Drapier ont été arrachés, puis replacés, et que l’on a fait un faux cachet.
— Est-ce possible ? s’écria Mix, qui jouait merveilleusement la stupéfaction.
Havard, cependant, poursuivait :
— Du vol à l’assassinat, il n’y a qu’un pas. Il est prouvé, à mon avis, que Léon Drapier est le voleur de la Monnaie. Croyez-moi, nous ne tarderons pas à découvrir le meurtrier de Firmain !
Mix interrogea :
— Et cette malheureuse Paulette de Valmondois ?
Le chef de la Sûreté s’approchait de Mix :
— Assassinée, monsieur ! assassinée, elle aussi ! Et assassinée par son amant, j’en mettrais la main au feu désormais. Il la manqua une première fois, lorsqu’il tira sur elle le coup de revolver, il réussit à l’achever en lui envoyant, détail horrible, par son fils, ce bouquet de fleurs empoisonnées.
Havard se tournait vers ses inspecteurs :
— Messieurs, déclarait-il, nous n’avons pas une minute à perdre. Il s’agit de nous élancer au plus vite sur les traces de Léon Drapier. Qu’on téléphone à toutes les gares ! Que l’on prévienne les postes-frontières, les ports d’embarquement ! En tout cas, nous allons tenter une démarche qui vraisemblablement ne sera pas couronnée de succès, mais il ne faut rien négliger !
Havard se tournait vers Mix.
— Monsieur, fit-il, mes inspecteurs vont aller remplir les missions que je leur donne. Quant à moi, je me rends, sans perdre un seconde, au domicile de Léon Drapier. Voulez-vous m’y accompagner ?
— Ah ! monsieur ! fit le détective privé, c’est une cruelle épreuve que vous m’imposez là ! J’ai cru longtemps à l’innocence de ce misérable et si, par hasard, il se trouve chez lui, lorsqu’il me verra en votre compagnie, il s’imaginera que je l’ai trahi…
— Il s’imaginera tout ce qu’il voudra ! articula Havard. Lorsqu’il s’agit de démasquer un coupable, la trahison n’est pas une infamie, c’est un devoir social, c’est un honneur !
Puis Havard ajoutait, se penchant vers Mix :
— Vous connaissez la disposition de la maison mieux que moi, vous me rendrez service en m’accompagnant. Je vous disais tout à l’heure que j’étais à même d’apprécier votre habileté, je ferai reconnaître votre dévouement, et s’il vous plaît d’accepter une situation d’inspecteur au nombre de mes dévoués collaborateurs, votre nomination sera signée en même temps que l’ordre d’écrou de Léon Drapier !