— Assassinée, monsieur ! assassinée, elle aussi ! Et assassinée par son amant, j’en mettrais la main au feu désormais. Il la manqua une première fois, lorsqu’il tira sur elle le coup de revolver, il réussit à l’achever en lui envoyant, détail horrible, par son fils, ce bouquet de fleurs empoisonnées.
Havard se tournait vers ses inspecteurs :
— Messieurs, déclarait-il, nous n’avons pas une minute à perdre. Il s’agit de nous élancer au plus vite sur les traces de Léon Drapier. Qu’on téléphone à toutes les gares ! Que l’on prévienne les postes-frontières, les ports d’embarquement ! En tout cas, nous allons tenter une démarche qui vraisemblablement ne sera pas couronnée de succès, mais il ne faut rien négliger !
Havard se tournait vers Mix.
— Monsieur, fit-il, mes inspecteurs vont aller remplir les missions que je leur donne. Quant à moi, je me rends, sans perdre un seconde, au domicile de Léon Drapier. Voulez-vous m’y accompagner ?
— Ah ! monsieur ! fit le détective privé, c’est une cruelle épreuve que vous m’imposez là ! J’ai cru longtemps à l’innocence de ce misérable et si, par hasard, il se trouve chez lui, lorsqu’il me verra en votre compagnie, il s’imaginera que je l’ai trahi…
— Il s’imaginera tout ce qu’il voudra ! articula Havard. Lorsqu’il s’agit de démasquer un coupable, la trahison n’est pas une infamie, c’est un devoir social, c’est un honneur !
Puis Havard ajoutait, se penchant vers Mix :
— Vous connaissez la disposition de la maison mieux que moi, vous me rendrez service en m’accompagnant. Je vous disais tout à l’heure que j’étais à même d’apprécier votre habileté, je ferai reconnaître votre dévouement, et s’il vous plaît d’accepter une situation d’inspecteur au nombre de mes dévoués collaborateurs, votre nomination sera signée en même temps que l’ordre d’écrou de Léon Drapier !
Caroline venait d’ouvrir la porte ; elle reconnut le chef de la Sûreté.
— Votre maître est-il là ? demanda celui-ci.
— Oui, monsieur, fit la vieille cuisinière, même que monsieur est bien fatigué, bien malade. Si monsieur savait ce qui s’est passé ! Voilà madame qui a disparu, rapport à ce qu’elle a découvert que monsieur avait une maîtresse !… Je demande un peu à monsieur si madame devait agir de la sorte !… Surtout que la maîtresse de monsieur est décédée… Là où il n’y a plus personne, le diable y perd ses droits !…
Havard avait jeté un coup d’œil de triomphe à Mix, il pénétra dans la chambre de Mme Drapier, où le malheureux directeur de la Monnaie était demeuré, abasourdi, atterré, depuis le départ subit et inattendu de sa femme.
Lorsqu’il vit entrer le chef de la Sûreté en compagnie de Mix, Léon Drapier se leva.
— Monsieur, déclara le chef de la Sûreté, je suis heureux de vous trouver enfin à votre domicile ! Je m’aperçois que j’arrive à temps et que, décidément, la justice aura le dernier mot ! Au nom de la loi, je vous mets en état d’arrestation, car vous êtes inculpé non seulement des vols commis à la Monnaie, mais encore du double assassinat du malheureux Firmain et de votre infortunée maîtresse, la fille Poucke, dite Paulette de Valmondois !
À ces paroles, Léon Drapier devint livide.
Il écarquilla les yeux, remua les lèvres, d’abord incapable d’articuler une seule parole, enfin il murmura d’une voix blanche :
— Vous avez perdu la tête ! Vous êtes fou !
— Je ne suis pas fou, déclara sévèrement M. Havard, je crois au contraire que j’ai raisonné selon les plus sûrs principes de la logique et de la vraisemblance, et c’est pour cela que je vous mets en état d’arrestation. L’enquête prouvera si je me trompe, l’instruction établira votre culpabilité.
— Mais je suis innocent ! hurla Léon Drapier.
M. Havard rétorquait ironiquement :
— Vous le prétendez !… Et je reconnais que vous avez fait preuve d’une habileté telle, dans l’exécution des différents forfaits que l’on vous reproche, que les policiers les plus subtils s’y sont trompés !
À ce moment, Léon Drapier jetait un regard inquiet et interrogateur sur son détective privé, sur Mix, qui assistait, sans mot dire, à la tragique discussion.
Havard suivit le regard de l’infortuné directeur de la Monnaie.
— Vous vous adressez à M. Mix, dit-il, vous cherchez en lui un appui, une sauvegarde, vous espérez trouver en sa personne un allié ? Vous faites erreur, monsieur Drapier ! M. Mix, détective privé, est un honnête homme que j’honore et que j’estime. Il fut dupe, comme bien d’autres, de votre prétendue innocence, mais, à la suite des découvertes que nous avons faites, des arguments convaincants que j’ai déployés devant lui, il s’est rendu compte qu’en vous défendant il faisait fausse route et il reconnaît comme moi que vous êtes coupable. Je tiens M. Mix pour un homme sincère et je sais qu’il ne me démentira pas !
Stupéfié par cette déclaration, Léon Drapier, qui sentait sa raison chanceler, demeura quelques instants interdit.
Mais soudain une violente colère gronda dans son cœur. Quel avait été le rôle de Mix dans toute cette affaire ? Il ne le comprenait pas encore très exactement, mais il avait l’impression, peu à peu, que cet homme, loin de l’aider, l’avait compromis, que ce détective avait fait tout ce qu’il fallait pour le perdre…
Certes, Léon Drapier ne savait pas encore qu’on allait invoquer contre lui ses propres traces dans la cave, mais il se souvenait qu’à deux ou trois reprises, sous prétexte d’écarter de son chemin des éléments compromettants, Mix lui avait fait commettre des fautes graves, telles que le bris des scellés chez lui, telles que le véritable cambriolage de l’appartement de Paulette de Valmondois.
— Ah ça, commença Léon Drapier en regardant Mix, ah ça ! seriez-vous un misérable ?
Léon Drapier s’arrêta.
Une porte de la chambre venait de s’ouvrir, et il vit quelqu’un se profiler dans l’entrebâillement de cette porte.
M. Havard et M. Mix ne voyaient point cette personne, ils lui tournaient le dos.
Léon Drapier, cependant, ne pouvait détacher son regard de ce nouveau venu.
Il avait un visage souriant, des yeux qui pétillaient de joie, et il mettait son doigt sur ses lèvres, signifiant à Léon Drapier de ne plus prononcer une parole, de ne pas formuler une observation.
Il avait à peine achevé ce geste que M. Havard, surpris par la fixité du regard de Léon Drapier, se tournait pour voir ce que le directeur de la Monnaie regardait.
Mix fit de même. Le chef de la Sûreté et le détective privé poussèrent ensemble un cri de surprise :
— Juve !…
— Juve !…
Le célèbre policier s’avança dans la pièce.
— Eh bien ! s’écria M. Havard, vous arrivez comme un carabinier, mon cher Juve ! Et cette fois, votre présence n’est pas inutile, je viens de mettre en arrestation M. Léon Drapier ; veuillez exécuter cet ordre et lui passer les menottes !
Juve n’articulait pas une parole.
Il s’était légèrement incliné devant M. Havard, son regard se croisa avec celui de M. Mix qui paraissait légèrement inquiet, Juve considéra enfin d’un œil de pitié Léon Drapier.
Toutefois, le célèbre policier sortait un cabriolet de sa poche, et s’approcha du directeur de la Monnaie.
— Donnez-moi vos deux pouces ! fit-il.
Comme le malheureux obéissait, Juve, à voix basse, murmura à son oreille ces étranges paroles :
— Laissez-vous faire, ne dites pas un mot, n’accusez personne, tout va pour le mieux !
XXIII
Un apprenti voleur
— Jean ?
— Monsieur ?
— Tu es un animal !